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Voitures autonomes, l’inévitable révolution

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Elles auront conquis la planète avant 2030. Les voitures autonomes, que l’on annonce plus sûres et plus fiables, vont-elles révolutionner la mobilité de demain ? Voici les raisons de craindre ou de croire en leur inévitable essor.

Il est 8 heures. Vous roulez vers le boulot en répondant à des e-mails. Vous avez du temps devant vous, même si les embouteillages ont pratiquement disparu. Comme toutes les autres, votre voiture sait à quelle vitesse vous emmener pour répartir au mieux le flux routier, dont elle a connaissance en temps réel. Finis les accrochages et les excès de vitesse. D’ailleurs, il n’y a plus de panneaux de limitation de vitesse, sauf dans ces rares portions où une intervention humaine est encore obligatoire. A l’approche du lieu de travail, un signal retentit. Un utilisateur à proximité vient de repérer pour vous une place de parking. Vous descendez juste devant l’entrée. Votre voiture ira bien se garer toute seule…

Pure science-fiction ? Peut-être pas. Le règne des voitures autonomes et connectées n’a rien d’une utopie. Ces dernières années, les grands constructeurs ont investi massivement pour tester des modèles capables d’avaler les kilomètres sans l’intervention constante d’un chauffeur. Mais dans cette course technologique, le nouveau  » Big 4  » américain composé de Google, Tesla, Apple et Uber a pris les devants. Attendue pour 2020, la Google Car a rendu son premier bilan en décembre dernier : 682 895 kilomètres sur la voie publique en mode autonome, 341 interventions du conducteur dont 13 cas de figure, seulement, auraient pu occasionner un impact. A Pittsburgh, aux Etats-Unis, des taxis Uber sans chauffeur – supervisés par deux analystes à bord – circulent dans la ville depuis la fin du mois d’août.

La Google Car (ici à l'extérieur du laboratoire GoogleX, à Mountain View, en Californie) a déjà été testée sur plus de 680 000 kilomètres. Elle est attendue pour 2020.
La Google Car (ici à l’extérieur du laboratoire GoogleX, à Mountain View, en Californie) a déjà été testée sur plus de 680 000 kilomètres. Elle est attendue pour 2020.© BROOKS KRAFT/GETTY IMAGES

D’après le bureau d’études américain Lux Research, le business de l’automatisation des véhicules pèsera 102 milliards de dollars en 2030 (10 milliards à l’heure actuelle). A cet horizon, les modèles semi-autonomes, pour lesquels la vigilance d’un conducteur reste de mise, auront conquis la planète. Pour les versions les plus abouties, rendez-vous en 2040, pas avant. Voici comment cette inévitable révolution va changer nos vies.

Mobilité

En 2050, 75 % de la population mondiale vivra en ville, si l’on en croit une étude de Navigant Research. La voiture, dont l’usage est tant décrié dans les pôles urbains, va-t-elle faire son retour en grâce ?  » Avec les systèmes autonomes et connectés, on pourrait assister à une scission révolutionnaire entre l’utilisation et la possession d’un véhicule « , analyse Joost Kaesemans, directeur de la communication à la Fédération belge de l’automobile et du cycle (Febiac). Pourquoi disposer à l’avenir de son propre véhicule si quelques minutes suffisent à réserver un module individuel ou partagé, en journée ou la nuit ? Dans un tel scénario, l’optimisation des déplacements pourrait réduire de manière drastique le nombre de voitures sur nos routes. De quoi rendre un RER ringard, avant même qu’il entre en service.

Reste à savoir si la collectivité va emboîter le pas à la technologie. Mario Cools, professeur au département Transports et mobilité à l’ULg, s’est penché sur l’acceptation sociale des véhicules autonomes en Belgique, sur la base de deux mémoires récents. Il apparaît que 40 % des personnes interrogées seraient prêtes à se passer de l’achat d’une voiture si un réseau de taxis autonomes était mis en place. En outre, 47 % des sondés accepteraient de partager le véhicule, et 63 % de faire un détour, si cela permet de rendre le service collectivement plus efficace. Les Flamands semblent moins disposés à partager ou à faire un détour que les Wallons.

De son côté, Volvo (ici, le FMX testé dans un tunnel) expérimente également des camions à conduite autonome.
De son côté, Volvo (ici, le FMX testé dans un tunnel) expérimente également des camions à conduite autonome.© KRISTER SOERBOE/GETTY IMAGES

Une autre hypothèse, relayée notamment par le Victoria Transport Policy Institute (institut de recherche indépendant canadien dans le domaine des politiques de transport), s’avère bien plus préoccupante. Parce qu’elle offre du temps et de la flexibilité, la voiture autonome pourrait amener davantage de monde sur les routes… Sans que les effets positifs de l’automatisation suffisent à compenser la saturation du trafic. Elle risque aussi d’inciter une partie de la population à s’éloigner du lieu de travail.  » Les modules autonomes vont cannibaliser les transports en commun, avance Mario Cools. Dans un sens positif avec les systèmes partagés, mais aussi dans un sens négatif avec les véhicules privés.  » Pour Nicolas Nova, fondateur du Near Futur Laboratory, une agence prospective située à Genève, le  » tout à la voiture autonome  » paraît peu probable en Europe.  » Cette technologie ne pourra pas répondre à elle seule aux problèmes de mobilité. Les pouvoirs publics vont devoir réfléchir à la meilleure manière de la connecter aux autres solutions de transport.  »

Sécurité

Plus de 90 % des accidents de la route surviennent à la suite d’une erreur humaine. Dotées de meilleurs réflexes, la voiture autonome, elle, n’est jamais distraite et ne s’endort pas. La machine va-t-elle supplanter l’être humain ?  » A l’heure actuelle, la voiture est encore perçue comme un vecteur d’expression de la liberté d’un individu « , commente Yves Deville, professeur à l’Ecole polytechnique de l’UCL, spécialiste en matière d’intelligence artificielle.  » Mais quand une technologie parvient à prouver sa plus grande fiabilité, elle prend inévitablement le dessus.  » Aujourd’hui, l’atterrissage en mode automatique d’un avion de ligne ne choque plus personne…

Les incertitudes ne sont pas levées pour autant.  » Notre dépendance à la technologie se développe plus vite que notre capacité à la sécuriser « , confiait récemment à Libération Beau Woods, directeur adjoint du  » Projet pour la gouvernance cyber  » du think tank Atlantic Council, basé à Washington. En juillet 2015, deux chercheurs américains ont pris le contrôle à distance des fonctionnalités d’une Jeep Cherokee. En septembre, des ingénieurs chinois ont piraté une Tesla S.  » Les voitures sont devenues des ordinateurs très puissants, ce qui les rend potentiellement vulnérables, rappelle Yves Deville. Un Boeing 787 comporte 14 millions de lignes de code. Facebook, avec toutes ses composantes, en compte 61 millions. La voiture actuelle, c’est 100 millions.  » Cette notion augure l’extrême complexité des véhicules de demain.

En mai dernier, le pilotage automatique d'une Tesla S (ici dans les rues de New York) a provoqué, en Floride, un premier accident mortel. On est loin du bilan sécuritaire global...
En mai dernier, le pilotage automatique d’une Tesla S (ici dans les rues de New York) a provoqué, en Floride, un premier accident mortel. On est loin du bilan sécuritaire global…© CHRISTOPHER GOODNEY/GETTY IMAGES

En mai dernier, le pilotage automatique d’une Tesla S avait provoqué un premier accident mortel en Floride. Le véhicule n’avait pas pu identifier la remorque d’un poids lourd.  » Entre les voitures assistées et l’autonomie pure, il y a un gap technologique terrible « , souligne Yves Deville. Dans ce contexte, seul un bilan sécuritaire global permettra de consacrer l’usage de la voiture autonome. A une nuance près, relève Nicolas Petit, professeur de droit des intelligences artificielles et de la robotique à l’ULg :  » Notre seuil de tolérance est plus bas pour une erreur provoquée par un robot que pour une erreur humaine.  » Les informations transmises aux voitures connectées devront être certifiées sans failles.

Ecologie

En Belgique, le secteur du transport est le deuxième contributeur d’émissions de gaz à effet de serre (22 % en 2014), derrière l’industrie. La voiture autonome va-t-elle révolutionner le bilan environnemental sur nos routes ? Pas question de miser exclusivement sur des moteurs électriques, pénalisés par le manque persistant de solutions de recharge.  » Nous vendrons ce que souhaitera le client : de l’essence et du diesel modernes, comme aujourd’hui, et, à partir de 2019, de l’électrique de deuxième génération et des hybrides à essence rechargeables « , indiquait fin septembre Carlos Tavares, le patron de PSA (Peugeot-Citroën), au magazine L’Obs.

Les études les plus optimistes prédisent une diminution de 90 % des émissions polluantes si les modules partagés parviennent un jour à faire oublier les véhicules privés. La voiture partagée pourrait en outre servir de vitrine technologique, notamment pour convaincre les sceptiques.  » Qui est déjà monté à bord d’un véhicule électrique ?  » questionne Joost Kaesemans.  » Pourtant, l’essayer, c’est l’adopter.  » Là encore, tout dépendra de la propension de la collectivité future à délaisser la voiture personnelle.  » Mais les services partagés n’ôteront pas l’envie de posséder une voiture qui nous raconte davantage, nuance Alexandra Balikdjian, spécialiste des comportements de consommation à l’ULB. Elle reste un produit coup de coeur, que l’on choisit souvent avec passion.  »

Economie

Joost Kaesemans, directeur de la communication à la Febiac :
Joost Kaesemans, directeur de la communication à la Febiac : « Essayer un véhicule électrique, c’est l’adopter. »© TRIPTYQUE

L’automatisation des véhicules entraînera le déclin irrémédiable d’une partie du secteur automobile.  » Plusieurs marques traditionnelles bien établies vont disparaître « , annonce Joost Kaesemans. La course technologique ne fait qu’accentuer un phénomène perceptible depuis plusieurs années. La digitalisation a occasionné l’effondrement de l’emploi bancaire. Il est probable que les métiers du transport, publics ou privés, connaissent pareil sort. Qu’adviendrait-il si la Stib, le plus gros employeur de Bruxelles, décidait d’opter pour une flotte de modules autonomes ?  » Les autorités doivent réfléchir à un cadre légal permettant de compenser le coût économique, sans qu’il pénalise pour autant le développement technologique « , enchaîne Nicolas Petit.

La généralisation des véhicules sans chauffeur pourrait s’avérer positive sur le plan de la productivité. Dans ce schéma, le temps de parcours deviendrait du temps utile. La commercialisation de bureaux ambulants, à l’habitacle entièrement modulable, n’est pas pour demain. Mais le marché des dispositifs embarqués à vocation ludique, sociale ou professionnelle, monte en puissance. A côté des constructeurs classiques, les Google, Apple, Microsoft ou Amazon préparent déjà le terrain pour les vingt prochaines années.

En 2016, Anvers instaurera une zone basse émission. Verra-t-on un jour des centres urbains réservés aux véhicules autonomes ? Les limites n’émaneront pas tant de la technologie que de sa capacité à cohabiter, pendant plusieurs années, avec les voitures d’aujourd’hui.

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