Sergio Hernandez © Reuters

Un tir, une frontière, un mort: l’épineux problème américano-mexicain

Le Vif

Sergio Hernandez est mort à 15 ans, fauché par un tir du policier Jesus Mesa. Cela n’aurait été qu’un banal fait divers à la sauce américaine si les protagonistes ne s’étaient trouvés l’un au Mexique, l’autre aux Etats-Unis.

La Cour suprême à Washington examine mardi l’épineux problème de droit résultant de cet homicide transfrontalier.

L’affaire revêt une teneur particulière en pleine controverse nationale sur une fermeture partielle des frontières voulue par le président américain Donald Trump, qui compte par ailleurs isoler le Mexique derrière un mur anti-clandestins.

Les faits remontent au 7 juin 2010. Sergio Hernandez s’amuse avec trois de ses copains dans le lit asséché du Rio Grande, qui sépare la ville mexicaine de Ciudad Juarez de sa voisine texane d’El Paso.

Les quatre compères se livrent à un défi consistant à gravir la berge bétonnée du fleuve pour aller toucher la clôture barbelée côté américain, puis à détaler dans l’autre sens. Un jeu qui n’est pas du goût du garde-frontière Jesus Mesa, qui patrouille à bicyclette.

L’agent Mesa parvient à se saisir de l’un des trublions, puis il met en joue le jeune Sergio, fait feu, l’atteignant en pleine tête. Même s’il s’effondre à seulement 18 mètres du tireur, l’adolescent expire côté mexicain.

Le policier expliquera plus tard que Sergio et ses amis avaient refusé d’obéir à ses ordres de s’arrêter et lui avaient jeté des pierres. Il est reparti sans porter secours à sa victime, en compagnie de ses collègues qui avaient accouru en renfort.

Mexico irrité –

L’affaire déclenche à l’époque des manifestations à Ciudad Juarez et suscite une mini-crise diplomatique entre Washington et Mexico.

Le président mexicain d’alors, Felipe Calderon, exige une enquête « en profondeur et impartiale ».

Ce cas « est particulièrement grave car il s’agit d’un mineur, Sergio Adrian Hernandez, qui en outre a été abattu par un coup de feu sur notre propre territoire mexicain », affirme-t-il dans un communiqué.

La semaine précédente, un autre Mexicain, Anastasio Hernandez Rojas, avait succombé à des coups et des décharges électriques infligés par une autre patrouille frontalière près de San Diego, dans le sud-ouest des Etats-Unis, à quelques mètres de la ville mexicaine de Tijuana.

C’est dans ce contexte d’abus récurrents à la frontière que les parents de Sergio Hernandez ont décidé de poursuivre en justice Jesus Mesa, reprochant au policier d’avoir violé le quatrième amendement de la Constitution américaine, qui protège les citoyens d’un usage disproportionné de la force.

Ils ont également fait valoir le cinquième amendement, qui stipule que nul ne peut être privé de sa vie sans procédure légale régulière.

‘Intolérable’ pour Amnesty

Le tribunal de première instance a toutefois refusé d’appliquer une extraterritorialité de ces amendements, en raison du fait que la victime était un Mexicain mort au Mexique, offrant de fait une immunité au policier.

En appel, l’affaire a fait l’objet de deux audiences, débouchant sur des décisions contradictoires mais concluant finalement que l’accusation d’utilisation de force létale injustifiée ne pouvait s’appliquer en l’espèce.

L’organisation Amnesty International a estimé qu’une telle conclusion était « intolérable » et allait à l’encontre des « principes fondamentaux du droit international ».

Après avoir longuement hésité, la Cour suprême s’est enfin saisie du dossier, à l’épaisseur gonflée par les nombreux argumentaires à l’appui des parties.

Le gouvernement fédéral s’est ainsi rangé du côté de Mesa, en avertissant qu’autoriser des poursuites à son encontre « pourrait gravement entraver la faculté des branches de l’exécutif à répondre à des situations à l’étranger » où seraient en jeu des intérêts américains.

Le gouvernement mexicain a lui averti que clôturer l’affaire en l’état pourrait endommager la relation bilatérale.

« Appliquer en l’espèce la loi américaine ne serait pas une ingérence dans les affaires des autorités mexicaines au Mexique. Au contraire, offrir un recours approprié et efficace (à la famille de la victime) serait une façon convenable d’afficher du respect pour la souveraineté du Mexique », a-t-il écrit.

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