Recep Tayyip Erdogan, président turc. © AFP

Turquie: la relation très forte d’Erdogan au peuple, cruciale dans l’échec du putsch

Le Vif

Le président turc Recep Tayyip Erdogan entretient avec son peuple une relation très forte qu’aucun autre dirigeant turc n’a jamais eue depuis Ataturk et qui a été cruciale pour son maintien au pouvoir lors de la tentative de putsch.

Erdogan s’est appuyé directement sur le peuple, mobilisant dans les villes des marées humaines, drapeaux turcs au vent, pour faire échec aux putschistes, en passant par des médias sociaux qu’il détestait jusqu’à récemment.

« Erdogan savait que le peuple bougerait quand il lui demanderait, en raison du lien fort qu’il a tissé depuis de longues années », estime Can Acun, de l’ONG Seta.

Le moment de pure improvisation où le président est apparu blême, tard le 15 juillet juste après le déclenchement du coup d’Etat, sur la télévision CNN Turk — chaîne privée la plus regardée de Turquie — restera l’une des images marquantes de cette nuit dramatique.

Cette séquence surréaliste où le président, depuis la station balnéaire de Marmaris (ouest), a demandé au peuple de « descendre dans les rues » pour défendre la démocratie a été un moment de bascule dans le putsch.

Le président s’est adressé directement aux Turcs par FaceTime, via le téléphone portable de la journaliste star de la chaîne Hande Firat montré à l’écran.

Une image qui a saisi la population. « Une majorité de gens ont été choqués de voir le président choqué », explique Marc Pierini de la fondation Carnegie Europe.

Le chef de l’Etat « se trouvait isolé, loin des centres de pouvoir » et l’appel sur FaceTime « a été un coup magistral », dit cet ex-ambassadeur de l’UE à Ankara. « Il s’est traduit par une réaction directe » dans la rue, « ça a retourné le coup d’Etat ».

Firat a dit avoir reçu via Twitter une offre de rachat de son désormais fameux téléphone à 220.000 euros.

Alors que les conjurés tentaient de prendre le contrôle des télévisions « avec un manuel des années 60 », ironise M. Pierini, Erdogan a recouru aux réseaux sociaux et « des millions de gens qui pouvaient être hésitants se sont mis en marche », dit Can Acun.

Le lendemain, sur son compte personnel Twitter, le président appelait les Turcs a descendre dans les rues dans un message massivement retweeté. Ils y sont tous les soirs depuis.

Et jeudi, des millions de téléphones portables turcs ont reçu un SMS de « RTErdogan », comme galvanisé par ces événements qui ont pris toute la Turquie par surprise, demandant directement à son « cher peuple » de ne pas « abandonner la résistance héroïque ».

La veille, c’est par téléconférence que le président avait lui-même annoncé à de nombreux citadins l’instauration de l’état d’urgence.

Une « légitimité supplémentaire »

« Le président turc qui a toujours été très méfiant envers les réseaux sociaux et des nouvelles technologies, a réalisé que ces outils ont plus de potentiel que s’ils étaient simplement des outils de propagande », dit Aykan Erdemir, de la Foundation for Defense of Democracies à Washington.

Ainsi, Erdogan, unique dirigeant à avoir autant dominé la politique turque depuis le père de la république Mustafa Kemal Ataturk, est devenu une machine à communiquer avec ce peuple qui lui baise les mains lors de ses bains de foule et avec lequel il entretient une relation émotionnelle, quasi charnelle.

La concentration des pouvoirs par un seul homme est inédite dans la Turquie moderne et beaucoup s’effraient de sa dérive autocratique et liberticide. Mais Erdogan profite du fait qu’une majorité de Turcs est viscéralement conservatrice, très attachée à l’Etat. Et à sa personne.

Elle est séduite par cet « animal politique » charismatique, inoxydable et populiste qui a indéniablement développé le pays et parle au nom du peuple, dont il est issu.

Dans sa relation aux Turcs, M. Erdogan peut aussi se prévaloir de ses 52% à la présidentielle de 2014. Cette « innovation politique majeure » en Turquie, rappelle M. Pierini, lui permet de se présenter comme « le premier président élu direct du peuple, avec une légitimité supplémentaire ».

Et « un chef fort » en période de crise aiguë, « c’est caractéristique de la force de l’Etat en Turquie et du charisme » d’Erdogan, relève M. Pierini.

Mais l’immense personnalisation du pouvoir et l’appel direct au peuple ne sont pas sans risque pour la démocratie.

« Cela va donner à Erdogan la capacité d’enflammer les masses pour prendre les mesures qu’il veut », redoute M. Erdemir, évoquant une « machine infernale ».

« Il ne pourra pas avoir la même capacité à ralentir le mouvement une fois celui-ci lancé », dit-il. « Alors ce qu’il a maintenant (entre les mains) est à la fois très puissant et très dangereux ».

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