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Régulation des perturbateurs endocriniens : comment le TTIP a déjà influencé l’Europe

Marie Gathon
Marie Gathon Journaliste Levif.be

La publication de rapports distincts de deux ONG prouve que les négociations sur le traité de libre-échange (TTIP) ont déjà un impact sur les décisions sanitaires et environnementales prises par la commission européenne.

Depuis 2009, l’Union européenne planche sur un cadre pour règlementer l’utilisation des perturbateurs endocriniens. Depuis une quinzaine d’années, de nombreuses études montrent que des composés chimiques (bisphénol A, phtalates, etc.) présents dans de nombreux objets perturbent le système hormonal, avec pour conséquences des problèmes d’infertilité, d’obésité et des cancers hormono-dépendants. L’Union a d’ailleurs récemment calculé que cela coûtait 157 milliards par an, rien qu’en Europe, souligne l’Observatoir des multinationales. Une bonne raison pour introduire un cadre de régulation pour ces produits.

À l’origine, les critères scientifiques servant à définir les perturbateurs endocriniens (et à en interdire l’usage des plus dangereux) étaient attendus pour fin 2013. Aujourd’hui, on parle de 2016, voire 2017.

Selon deux rapports rendus par les ONG Corporate Europe Observatory et Pesticide Action Network, qui ont cherché à savoir pourquoi le projet de réglementation était (momentanément) passé à la trappe, ce retard est du au travail intensif des lobbies.

Après la publication d’une première mouture du projet en janvier 2012, les secteurs de la chimie et des pesticides, Bayer et BASF en tête, ont bombardé la Commission d’études financées par leurs soins tablant sur un flou concernant les effets des perturbateurs endocriniens. Il ont également fait jouer la corde sensible l’impact économique de telles mesures… Jusqu’à parvenir à s’attirer le soutien d’une bonne partie de la commission et de certains gouvernements dont l’Allemagne (Bayer et BASF sont des sociétés allemandes) et la Grande-Bretagne.

Ils sont ainsi parvenus à faire revoir à la baisse les critères de régulations initialement prévus et à évincer la direction générale Environnement de la Commission mandatée pour définir les critères, au profit de la direction générale Santé, plus perméable à ses désirs, selon l’Observatoir des multinationales.

Le secrétariat général de la Commission a même fini par demander, début juillet 2013, que la publication des critères « soit soutenue par une étude d’impact, incluant une consultation publique », notamment en raison « des impacts potentiels sur l’industrie chimique et le commerce international », souligne Le Monde. Grâce à des pressions venues des États-Unis, les lobbies sont donc parvenus à retarder les discussions jusqu’à l’adoption du traité de libre-échange avec les États-Unis. Sous prétexte que l’adoption de nouvelles régulations ne ferait que compliquer les négociations sur le TTIP. Le but étant que ces régulations sur les perturbateurs endocriniens ne voient jamais le jour.

Les conclusions des rapports des deux ONG illustrent le pouvoir des lobbies sur la capacité décisionnelle de la Commission, s’il était encore nécessaire de le démontrer, mais surtout l’impact qu’à déjà le TTIP sur les normes sanitaires et environnementales de l’Europe alors qu’il n’a même pas encore été adopté.

Comme l’a affirmé député européen Bas Eickhout (écologiste) dans les colonnes du Guardian, « l’affaiblissement des standards européens en raison du TTIP n’est pas une perspective pour l’avenir, c’est une réalité aujourd’hui même, au moment où nous parlons ».

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