François-Xavier Druet

Privautés avec l’argent public

François-Xavier Druet Docteur en Philosophie et Lettres

Les indignations croissent en nombre et en intensité face aux usages indélicats – c’est le moins qu’on puisse dire – de l’argent public. Malversations, corruptions, détournements, fraudes, magouilles, trafics d’influence, tripatouillages en série et en tous genres mâchurent le paysage politique et semblent devenir monnaie courante. Même s’il ne faut pas prendre toutes les rumeurs pour argent comptant, les faits avérés et dénoncés sont assez nombreux pour provoquer un ras-le-bol scandalisé.

Serait-il désobligeant pour tous les astucieux impliqués dans les affaires actuelles de rappeler qu’ils n’ont pas inventé la poudre ? Dans l’Antiquité déjà, le trésor public faisait l’objet de sollicitations diverses, pas toujours recommandables. Démosthène fut soupçonné d’avoir détourné une partie du trésor d’Harpale, trésorier d’Alexandre le Grand, qui s’était lui-même enfui avec la caisse de son employeur. Démosthène a toujours nié – peut-être s’est-il déclaré « serein » et victime d’un complot (L’Histoire ne le confirme pas) – mais fut condamné à une amende de cinquante talents. Ce célèbre précédent antique, parmi beaucoup d’autres, n’offre pas un alibi aux combinards actuels de la finance, qui auraient été prêts, sans doute, à investir avec Vespasien dans les latrines romaines, convaincus comme lui que « l’argent n’a pas d’odeur ».

Un candidat aux élections présidentielles américaines, désormais président, a mis sur le compte de son intelligence, dont il souligne béatement l’ampleur, de s’être soustrait à l’impôt par des procédés variés. Un candidat aux élections présidentielles françaises propose un programme d’austérité : il reproche à l’État de jeter l’argent par les fenêtres. Lui n’est pas sans le sou, si on en juge au manoir qu’il a pour demeure, mais il axe sa campagne sur la richesse intérieure d’une moralité au-dessus de tout soupçon. Sa femme passe du temps à ses côtés et, comme le temps, c’est de l’argent, il lui verse des fonds publics comme argent de poche. Le même aurait en outre créé une société écran pour pouvoir monnayer des conseils, que la loi lui interdit comme élu. Son argument de défense ? « Les autres le font bien. » Il ne voit aucune raison de renoncer à sa candidature. Il attend le verdict des urnes.

La maire d’une grande ville a convaincu l’électorat de la suivre dans la lutte contre la corruption. Moins d’un an après son accession au mayorat, la voici empêtrée dans une série de scandales qui ne sont pas dus aux caprices de la fortune, mais à des accointances coupables avec des financiers véreux. Ici, un parlement obtient une majorité pour voter un décret qui permet de ne plus poursuivre nombre de ses membres intriqués dans des traficotages financiers. Des manifestations véhémentes obligent à retirer la mesure. Là, des rassemblements populaires contre la corruption d’un régime valent la prison à leur organisateur pour « troubles à l’ordre public ».

Une intercommunale belge s’organise pour garder la monnaie malgré le plafond imposé aux rémunérations des élus. Elle se diversifie et multiplie les commissions et donc les mandats rémunérés, sans obligation de présence ; les clients se bousculent devant ce distributeur automatique de deniers publics.

Liste non exhaustive et appelée, inévitablement sans doute, à s’enrichir.

Les intéressés – dans tous les sens du terme – ont beau accuser les « grands méchants médias » de persécution et de chasse à l’homme, voire d’assassinat politique, ces derniers ne se contentent pas d’hypothèses ou de suspicions. Ils comptabilisent des faits. La roue de la fortune a tourné.

La démocratie s’en trouve-t-elle désargentée ? Ou, au contraire, subventionnée ? Par les voies démocratiques advient une certaine clarté, réelle, même si la transparence reste un horizon lointain. Combien d’élus, dans combien de pays du monde, tremblent désormais en pressentant combien de révélations possibles ? Combien d’autres ont décidé d’éviter à tout prix d’alimenter désormais leur caisse noire pour faire croître leur capital de crédit ? Nul ne sait.

Quel gain aussi pour la démocratie, si tous les individus qui sont cette opinion publique tant sondée et tant scrutée ne se limitent pas à dénoncer la rapacité de certains élus face à l’argent public. Quel gain si cette mise en question les renvoie à leur propre pratique. L’élu a dans les mains l’argent public ? Oui, mais le citoyen aussi. De son argent privé, il doit une part publique à ses concitoyens par le biais des contributions, des impôts et de tous les processus de solidarité mis en place par l’État.

Quel gain si le citoyen adopte lui-même l’éthique qu’il attend des élus. S’il renonce aux arguments de quatre sous qui justifient, à ses yeux, les « subtilités » fiscales et réduisent l’État au rôle de machine à sous. Le taux de démocratie n’est-il pas tributaire du taux moyen de conscience citoyenne de l’ensemble de la population, dont les politiciens ? Comment contribuer à le faire progresser ? S’indigner et dénoncer ? Pourquoi pas ? Ouvrir les yeux, chacun, sur ses propres pratiques et les démocratiser ? Aussi. L’équation n’est pas compliquée pour un sou.

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