Douma, près de Damas © REUTERS

« On oublie trop l’histoire derrière l’enfant noyé « 

La crise d’accueil en Belgique, et ailleurs en Europe, nous rappelle douloureusement que le conflit syrien nous concerne tous. « Nous sommes choqués par la photo d’un petit enfant noyé, mais nous oublions l’histoire qui est derrière » déclare l’arabiste Chams Eddine Zaougui. « La misère en Syrie s’aggrave tous les jours ».

Ces derniers jours, de nombreux demandeurs d’asile viennent de Syrie. Ce sont des personnes qui fuient un conflit funeste qui s’enlise depuis plus de quatre ans. Un conflit de plus en plus sanglant et désastreux, mais dont paradoxalement on parle de moins en moins. La semaine dernière, une attaque aérienne du régime d’Assad sur un marché à Douma, une banlieue de Damas aux mains des rebelles, n’a suscité pratiquement aucun émoi. Elle a pourtant coûté la vie à 100 personnes, principalement des civils.

Au total, la guerre civile en Syrie a coûté la vie à 250 000 personnes et fait fuir à peu près la moitié de la population (environ 9,5 millions d’habitants). Plus de trois millions d’expatriés résident en Turquie, au Liban et en Jordanie.

Rapport direct

Le conflit syrien fait de plus en plus penser à la guerre en Irak. Au fil du temps plus personne ne s’étonnait d’un énième carnage à Bagdad. « Il semble que les gens, mais surtout les médias, en ont assez du conflit syrien » déclare l’arabiste Chams Eddine Zaougui. « Comme le conflit en Syrie dure depuis presque cinq ans, il n’est plus vraiment neuf « .

Si l’image d’un petit enfant noyé échoué sur une plage turque fait le tour du monde, Zaougui regrette qu’on oublie l’histoire derrière cette photo choquante. « Pour beaucoup de gens, la guerre sanglante ne les concerne pas, même s’il y a un rapport direct avec la crise actuelle des migrants. C’est pour cette raison que je trouve bizarre de constater que nous nous sommes habitués aux horreurs en Syrie. Il s’agit pourtant de la pire catastrophe humanitaire de la décennie « .

La Syrie n’existe plus

Zaougui indique également que la Syrie telle que nous la connaissions n’existe plus. « Bachar el-Assad gouverne un état qui ne fait plus qu’un cinquième de sa taille initiale ». Le pays a éclaté en différentes parties, aux mains du régime d’Assad, de djihadistes, de groupes de rebelles et des Kurdes.

D’après les données les plus récentes, le califat de l’EI couvre à présent une région de 300 000 kilomètres (environ la taille de l’Italie), répartie sur le nord-est de la Syrie et le nord-ouest de l’Irak. En Syrie, il s’agit d’une grande partie de la province d’Alep et des provinces de Racca et Deir ez-Zor avec leurs capitales éponymes. Racca est la capitale du califat proclamée en juin 2014 par Abou Bakr al-Baghdadi. En Irak, le groupement terroriste contrôle les provinces de Ninive, dont Mossoul est la ville principale, et Anbar la plus grande province du pays.

« L’EI est aux portes de Damas »

Pour l’instant, les villes syriennes du sud, Hama, Tartous, Lattaquie et la capitale Damas sont encore aux mains du gouvernement. Cependant, la semaine derrière, Lattaquie, jusqu’ici majoritairement épargnée, a subi des attentats sanglants et plusieurs banlieues de Damas ont été le théâtre de combats entre djihadistes et rebelles. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme basé à Londres, « l’EI n’a jamais été aussi proche du coeur de Damas ».

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Zaougui estime qu’il est difficile à dire si l’EI est plus forte que jamais en Syrie et en Irak malgré les bombardements de la coalition internationale. « L’État islamique est probablement affaibli, mais tient dans la durée : en dépit des revers, il continue à lancer l’offensive. Les bombardements seuls n’en viendront pas à bout. Il est possible que leur progression récente s’explique par la position affaiblie d’Assad. Tant les rebelles que l’EI estiment que l’heure est venue de lancer une offensive contre Damas. »

De plus en plus de voix s’élèvent en faveur d’une intervention militaire plus poussée en Syrie. Zaougui estime cependant que tant que Damas sera aux mains d’Assad, les principaux dirigeants du monde resteront éloignés du conflit.

« Assad est plus dangereux que l’EI »

Bachar el-Assad
Bachar el-Assad© Reuters

Ce qui est certain, c’est qu’il faut mettre beaucoup plus de pression sur Assad. « Au début du printemps arabe en Syrie, on voyait notamment les États-Unis et quelques États du Golfe adopter une position dure à l’égard d’Assad. Mais la donne a changé depuis la montée de l’EI, les priorités ne sont pas les mêmes » déclare Zaougui qui travaille à un livre sur les dictatures arabes.

Il est étonné de ce changement, car selon lui Assad est l’un des principaux responsables de la montée de l’EI. « Il a plus de morts sur la conscience, mais elles ne circulent pas autant sur internet que les décapitations de l’EI ».

« Assad a laissé l’EI se développer intentionnellement, et c’est aussi la raison pour laquelle il n’a pas bombardé les régions aux mains de l’État islamique. Ainsi, il a pu argumenter vis-à-vis de la communauté internationale qu’il devait lutter contre des ennemis terroristes. Assad pensait qu’il pouvait contenir le djihadisme, mais il a sous-estimé le problème. Aussi condamnable que soit l’EI, le noeud du problème c’est Assad. Les leaders comme lui sont plus dangereux que les djihadistes ».

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