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Les 3 raisons qui font que Marine Le Pen pourrait gagner

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Le contexte général antisystème, l’affaiblissement de la gauche et de la droite traditionnelles, l’inexpérience d’Emmanuel Macron et la dynamique d’un éventuel second tour… Jamais dans une élection présidentielle, les indicateurs n’ont été aussi favorables à l’extrême droite. Reste la résistance républicaine.

Le politologue Roland Cayrol, dans son dernier livre sur Les Raisons de la colère des Français envers leur classe politique (Grasset), affirme que l’élection présidentielle des 23 avril et 7 mai est la  » dernière chance peut-être pour pouvoir répondre aux colères qui montent du peuple « . Dernière  » chance  » avant quel séisme ? Un échec du prochain président, suggère l’ancien directeur de l’institut de sondages CSA, ouvrirait définitivement la voie au Front national en 2022. Et si, à la faveur d’une campagne atypique comme nulle autre, Marine Le Pen s’imposait dès ce printemps ? L’hypothèse n’est pas la plus probable, tant les enquêtes d’opinion la donnent perdante contre n’importe quel adversaire au second tour. Mais bien qu’ils continuent à dicter les débats dans l’Hexagone sans questionnement, les sondages n’ont-ils pas révélé leurs limites en bout de course aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, il n’y a pas si longtemps ? Alors, l’impensable est-il envisageable le soir du 7 mai ? Jamais en vérité la conjoncture française n’a été aussi propice à un vote extrême. Examen de la conjonction de planètes qui pourrait provoquer une éclipse sans pareil du rayonnement de la France.

1. L’ENVIE DE « RENVERSER LA TABLE »

Thomas Friedman, journaliste et fin observateur de la société américaine, se dit effrayé par la volonté de plus en plus grande de ses concitoyens de  » renverser violemment la table, de rompre les équilibres existants et de tout faire exploser « . L’exaspération que procurent chez eux la récession économique et la politique politicienne les poussent à ne même plus envisager de changements par des  » réformes patientes et tranquilles « . Comme en écho, Roland Cayrol reconnaît que  » ce qui peut attirer vers Marine Le Pen, c’est la posture de celle qui refuse, c’est décidément le désir de renverser la table, de mettre à bas ce système qui n’en finit pas d’échouer « . La crise économico-financière de 2008, la crise de la dette publique entre 2010 et 2012, la crise des migrants de 2015-2016 ont donné aux Européens les plus défavorisés le sentiment d’être pris dans une nasse et de ne pas pouvoir s’en extirper, qu’ils soient dirigés par un gouvernement de droite ou de gauche. Sur cette désespérance, sont venus se greffer les effets pervers de la globalisation et de la révolution numérique. Perte ou précarisation des emplois pour les uns, difficultés d’adaptation pour les autres, poursuite des délocalisations ou disparition du tissu industriel… : le mythe de la mondialisation heureuse a définitivement vécu. Pis, la réussite d’une frange de la population a rendu d’autant plus douloureux le sacrifice des perdants du processus. Les inégalités se sont creusées, créant un profond et légitime sentiment d’injustice.

Ce qui peut attirer vers Marine Le Pen, c’est le désir de mettre à bas ce système qui n’en finit pas d’échouer »

Ce tsunami social ne pouvait pas rester sans conséquence électorale. Le contexte favorise l’émergence de candidats neufs (ou réussissant à donner l’apparence du renouveau) ou providentiels, Trump aux Etats-Unis, Duterte aux Philippines, Erdogan en Turquie… Surtout, il exacerbe les récriminations, parfois justifiées parfois irrationnelles, envers  » le système « ,  » l’establishment « , les pouvoirs établis, et au premier chef cette Union européenne jugée ultralibérale, soumise aux lobbies économiques, trop bureaucratique et même antidémocratique.

François Fillon a hypothéqué une victoire qui lui était promise ; ce qui a provoqué un déplacement d'intentions de votes vers Marine Le Pen. Mais un mouvement inverse n'est pas exclu.
François Fillon a hypothéqué une victoire qui lui était promise ; ce qui a provoqué un déplacement d’intentions de votes vers Marine Le Pen. Mais un mouvement inverse n’est pas exclu.© NICOLAS NICOLAS MESSYASZ/ISOPIX

2. LE CHAMP DE MINES FRANÇAIS

Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et les  » petits  » candidats aux extrêmes, Nicolas Dupont-Aignan, Philippe Poutou et Nathalie Arthaud, prônent tous des politiques antieuropéennes qui visent à détruire l’Union plutôt qu’à la réformer de l’intérieur. La candidate du Front national, la première, a eu le flair d’accompagner cette désespérance des laissés-pour-compte de la mondialisation libérale, endossée par la Commission européenne, en rénovant en profondeur le vieux parti de Jean-Marie Le Pen. Cette mutation de société a contribué à déplacer le marqueur de l’élection présidentielle d’un affrontement gauche-droite à une confrontation entre tenants de l’identité nationale et mondialistes, entre anti et proeuropéens, entre, selon la phraséologie du FN, la décence ordinaire du petit peuple et la conduite obscène des élites…

La confrontation entre identitaires et mondialistes s’est substituée à l’affrontement gauche-droite »

Ce nouveau paradigme, en vérité, n’apparaîtrait pas de façon aussi crue si les Français n’avaient pas assisté concomitamment à l’effondrement des candidatures des deux grandes familles traditionnelles de l’Hexagone. Celle de Benoît Hamon pour le Parti socialiste semblait d’emblée plombée par les errements, pendant cinq ans, du président François Hollande. On n’imaginait cependant pas qu’elle soit fragilisée comme elle l’est aujourd’hui (moins de 10 % d’intentions de vote) par le lâchage des figures de l’aile droite du parti et par l’incapacité du prétendant à recentrer son programme. La candidature de François Fillon, dopée par un succès aussi plantureux qu’inattendu lors de la primaire face aux ténors Sarkozy et Juppé, était promise à une issue inéluctablement heureuse. Elle a été lamentablement entravée par le dévoilement, au départ du Penelopegate, de la figure de l’homme cupide derrière le chantre affiché de la probité et de l’austérité. Et elle ne survit à l’aube du premier tour que grâce au socle de ses fidèles supporters issus de la droite républicaine, séduits par le programme libéral et autoritaire du candidat au point de passer l’éponge sur les présumées faiblesses de l’homme.

Face à un échiquier politique presque pareillement éclaté (entre Jacques Chirac, Jean-Marie Le Pen, Lionel Jospin et François Bayrou), le candidat du Front national, en 2002, s’était qualifié pour le second tour avec 16,8 % des votes mais n’avait grossi les rangs de ses électeurs que d’un pourcent (à 17,79 %) au second. Dans toutes les estimations et quel que soit son éventuel rival, Marine le Pen est créditée, elle, d’une marge de progression potentielle de 15 à 20 points…

Le proeuropéen Emmanuel Macron, adversaire idéal pour Marine Le Pen lors d'un éventuel second tour ?
Le proeuropéen Emmanuel Macron, adversaire idéal pour Marine Le Pen lors d’un éventuel second tour ?© BRUNO KLEIN/ISOPIX

3. LES INCONNUES DU SECOND TOUR

Si elle devait accéder à la joute finale, Marine Le Pen ne l’emporterait dans aucun cas de figure, d’après les études des instituts de sondages qui… appellent à la plus grande prudence au vu du nombre des indécis, plus nombreux à refuser de s’exprimer pour la seconde manche. Affaire pas encore classée, donc.

Cette campagne électorale est définitivement atypique. Une  » surprise Le Pen  » n’est pas à exclure. Qu’est-ce qui plaiderait en faveur de la candidate du Front national ?

La dynamique du second tour. Nul ne peut mesurer l’effet que produirait, par exemple, une victoire de Marine Le Pen ce dimanche 23 avril. Provoquerait-elle une libération de l’inhibition, sans doute encore présente chez certains, qui aurait empêché auparavant un vote transgressif ? Contribuerait-elle à doper la réserve de voix qui lui est déjà promise ?

La recomposition politique. Plus que lors des précédents scrutins présidentiels, la candidate du Front national devrait pouvoir tabler sur un report de voix de ses adversaires. L’électorat du souverainiste Nicolas Dupont-Aignan semble lui être acquis. Selon les analyses d’opinion, une partie de celui de François Fillon (s’il ne se qualifiait pas) aussi : un tiers s’abstiendrait, un tiers rejoindrait Emmanuel Macron et un autre tiers Marine Le Pen.

Le changement de paradigme. Emmanuel Macron est celui qui est crédité de la plus grande avance sur Marine Le Pen, lors d’un éventuel second tour, dans les études d’opinion (62 % contre 38 %, pour 58 % et 42 % pour un duel Mélenchon-Le Pen et 57 % et 43 % pour un face-à-face Fillon-Le Pen, selon le dernier sondage Elabe/L’Express). Pourtant, le candidat d’En marche ! apparaît, aux yeux de beaucoup, comme l’adversaire idéal pour la prétendante du Front national. Il s’inscrirait tout à fait dans la ligne de la confrontation qu’elle a voulu imposer, cette fracture entre une élite qui profite de la mondialisation et les laissés-pour-compte de la France périphérique qui n’en ont tiré aucun dividende… Directeur de l’institut Elabe, Bernard Sananes y décèle la stratégie de Marine Le Pen en cas de second tour. Son objectif sera de modifier la configuration d’une élection classique et de substituer à la lutte antigauche ou antidroite un combat hystérisé contre le système, l’Europe, la mondialisation et la culture cosmopolite. Qui sait alors si, face à un Emmanuel Macron à l’électorat nécessairement plus volatil en raison de son inexpérience, Marine Le Pen ne ferait pas éclater le plafond de verre qui l’a jusqu’à présent contenue dans un rôle de simple trublion ? La deuxième manche du scrutin se transformerait alors en un référendum pour ou contre la mondialisation dont l’issue, à l’image de la consultation sur le Brexit ou de la présidentielle américaine, s’avérerait hautement imprévisible.

On peut certes se rassurer en mesurant le gouffre de voix (quelque 10 millions en 2012 pour François Hollande) qui sépare une position enviable au premier tour d’une victoire finale. On peut certes tabler sur le choix des réformes plutôt que celui de la révolution opéré in fine par des Français inquiets d’une sortie de l’euro et donc d’une dégradation de la position internationale de la France. On peut certes espérer un sursaut des forces démocrates face aux menaces sur les libertés et sur le vivre-ensemble qu’induirait une gouvernance d’extrême droite. Il n’est pourtant pas inutile de rappeler l’enjeu de l’élection de dimanche et les risques que ferait aussi courir à l’Europe et à la Belgique une victoire de la candidate d’extrême droite.

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