Une page de profil du réseau social Ello. © Ello

« Le succès du nouveau réseau social Ello, un signal de la fin de la croissance de Facebook »

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

Lancé en avril 2014, Ello se profile outre-Atlantique comme le nouveau réseau social qui pourrait remplacer Facebook, parmi d’autres. Sans publicité et permettant des profils anonymes, il revendique actuellement des milliers de membres, séduits par son interface épurée et les valeurs de respect qu’il prône.

« Les annonceurs ont le contrôle de votre réseau social. Nous pensons qu’il existe une meilleure voie. (…) Nous croyons qu’un réseau social peut être un outil de responsabilisation. Pas un outil pour tromper, forcer et manipuler – mais un lieu pour connecter, créer et célébrer la vie. Vous n’êtes pas un produit« . D’emblée, le ton est donné dans le « Manifeste » publié sur la page d’accueil du nouveau réseau social Ello, vite (re)baptisé « l’anti-Facebook » par les médias anglo-saxons. Pas moins de 35 000 personnes par heure tenteraient de rejoindre la plateforme disponible uniquement, pour le moment, en version bêta. L’entrée sur ce nouveau réseau social lancé en avril 2014 aux USA ne se fait que sur invitation. Les fonctionnalités sont très similaires à celles de Facebook ou Twitter : création d’une page de profil, abonnement à des comptes, navigation sur un fil d’actualité et éventuellement, publications de commentaires mais pas (encore) de bouton « like ».

Mais en quoi Ello se démarque-t-il des autres réseaux sociaux ? Par son refus d’intégrer des annonces publicitaires dans ses pages tout d’abord. Ensuite, par son graphisme et sa typographie épurés qui font la part belle aux grandes photos se déployant sur toute sa largeur d’écran. Mais aussi par ses fonctionnalités simples empêchant tout parasitage incongru et toutes dérives de discussions de comptoir propres à Facebook. Le service propose dans cette idée, une distinction entre « amis » et « bruit » (friends/noise), les derniers étant moins susceptibles d’apparaître dans le flux d’actualités.

Un refuge pour les déserteurs du paquebot Facebook

Et surtout, au niveau de la vie privée, par le fait qu’il est possible de s’inscrire sous un pseudonyme à la manière de Twitter ou de Tumblr. La déferlante d’inscriptions de ces derniers jours est d’ailleurs liée au départ de Facebook d’une partie importante des membres de la communauté des lesbiennes, gays, bisexuels et trans (LGBT) de San Francisco, après qu’une drag-queen s’est vu reprocher d’utiliser son nom d’artiste pour son profil Facebook (où il est officiellement interdit d’utiliser un pseudonyme). « Ello est le reflet d’une sous-culture spécifique et répond à la demande d’une communauté donnée « , avance Jean-Charles Nadé, créateur en 2003 de Parano.be, le plus ancien réseau social francophone comparable sous de multiples aspects à Ello (pas de pub, ni de censure, sous invitation, avec pseudo,…), et l’un des précurseurs des réseaux communautaires, actuellement ingenieur Big Data chez Technicolor. Dans ce cas précis, Ello était au bon endroit au bon moment comme un refuge parfait pour les déserteurs du paquebot Facebook. « Maintenant, il faut que l’interface tienne la route, l’équipe de graphistes qui est derrière doit posséder un background technique solide. Il faut aussi qu’elle soit capable de gérer le grand volume de données car sans pub et sans censure furibonde, la clé du succès d’Ello dépendra de sa capacité à gérer la modération dans le futur. Avec le temps, les utilisateurs voudront gérer eux-mêmes le stockage de leurs données et leur vie privé« , analyse Jean-Charles Nadé. Pas gagné d’avance à voir les nombreux bugs que rencontre le site dans sa version test.

Un réseau social « hipster-chic » ?

Certains parlent déjà d’Ello comme un groupe élitiste réservé aux « hipsters-chic » de la Silicon Valley. On pourrait le penser à voir les valeurs prônées par ses concepteurs. Pendant un an, ils ont construit et utilisé le réseau social de manière privée, seule une centaine de membres – essentiellement des artistes triés sur le volet – y étaient présents. Ello se profile donc plus comme un nouvel espace communautaire en ligne rassemblant principalement des profils créatifs – à la manière de MySpace à son heure de gloire – qu’en véritable concurrent de Facebook. Paul Budnitz, l’un des cofondateurs du réseau social, déclarait en mars dernier, sans grande modestie : « En gros, nous avons construit Ello pour des gens comme nous. Donc Ello doit être beau, fonctionner en accord avec ce qu’on est, et, bien sûr, éviter les conneries habituelles « . Paul Budnitz ne semble d’ailleurs pas avoir l’ambition d’attirer des millions de membres: « Si nous arrivons à rassembler 100.000 utilisateurs réguliers d’Ello, nous aurons rempli notre objectif« , déclare-t-il au Monde

« Un signal avant-gardiste de la fin de la croissance de Facebook »

Autre interrogation classique pour ce style de start-up : derrière ses désirs philanthropiques, Ello est-il viable sans publicité et sans marchandisation de ses membres ? La société devra en effet bien rendre des comptes à un moment donné à la société de capital-risque américaine FreshTracks Capital auprès de laquelle elle a levé 435.000 dollars (343.000 euros) en mars dernier. « Au contraire des business angels et des campagnes Kickstarter, les sociétés de capital-risque ne se contentent pas de donner de l’argent« , écrit le site Vox. « Au niveau technique, cela nécessite aussi des serveurs puissants capables de supporter un grand volume de données, en comparaison, Facebook compte des milliers de serveurs connectés, et cela a un coût, qui augmente à chaque nouvel utilisateur« , poursuit Jean-Charles Nadé. Les concepteurs d’Ello indiquent toutefois travailler à un système d’options payantes, qui permettraient d’améliorer l’expérience des utilisateurs contre quelques dollars. « En général, seulement 1 % des utilisateurs sont prêt à payer pour ce genre de fonctionnalités« , précise Jean-Charles Nadé.

On se rappellera que Facebook, Twitter et Tumblr ont eux aussi tous commencé sans aucune publicité, avec l’évolution qu’on leur connaît et que d’autres réseaux sociaux catégorisés « anti-Facebook » se sont déjà cassés les dents auparavant tels Unthink ou App.net, le seul à encore garder la tête hors de l’eau étant Diaspora. « Je prédis à Ello du succès en tant que réseau d’une communauté réunie autour d’un même intérêt, mais pas en tant que réseau social que l’on utilise pour parler entre amis ou avec ses collègues. Ello est tout de même la preuve que les utilisateurs deviennent infidèles et quittent en masse l’usine à gaz Facebook pour se réfugier sur des plates-formes de niche même techniquement moins avancées. C’est un signal avant-gardiste de la fin de la croissance de Facebook », conclut Nadé.

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