Carte blanche

Le « pouvoir au peuple » plus que jamais possible, mais est-il plus que jamais souhaitable?

Pendant des siècles, nous avons cru que le pouvoir se manifestait par une centralisation de son exercice, et ce, tant au niveau géographique qu’au niveau hiérarchique. Aujourd’hui encore, les États-nations du monde entier sont organisés selon ce modèle. Avec l’avènement d’internet, nous assistons cependant à l’émergence de réseaux.

Bien évidemment, l’on réseautait aussi il y a cent ans, mais cela se faisait de manière informelle par les connaissances et les amis d’amis. Ces réseaux étaient toutefois instables, car ils étaient rarement conservés, et par ailleurs, les relations et les informations résultant de ces échanges pouvaient rapidement se perdre.

Wikipedia, Quora et Reddit accumulent aujourd’hui des informations et des opinions de centaines de millions de personnes. Wikipedia est la plus grande encyclopédie créée par l’Homme, Reddit est le plus grand forum jamais créé par l’Homme et Quora se rapproche actuellement de ces deux dernières catégories. Ce sont là de beaux exemples de réussite en matière de ‘crowdsourcing’.

La grande différence avec le passé se trouve surtout dans l’abondance de l’information, mais aussi dans son accessibilité par une simple consultation. Ce système semble encore informel par nature, peut-être même plus qu’auparavant, mais dans les faits, il est beaucoup plus formel sur le plan organisationnel. Le savoir créé dans le réseau Wikipédia est conservé, amélioré et est rapidement consultable. En effet, en une fraction de seconde, on peut retrouver sur Reddit une conversation datant de trois ans. S’agissant de Quora, il est entièrement conçu sur le modèle ‘posez-une question’.

Ces trois organisations tiennent leur valeur ajoutée du crowdsourcing. Les citoyens disposent de savoirs, lesquels sont collectés et structurés par Wikipedia, Reddit et Quora. Le contributeur n’est pas rémunéré et participe par pur altruisme, par fierté d’étaler son savoir, ou simplement pour discuter avec d’autres. Le savoir souvent présenté comme le terreau du progrès et de la richesse est ainsi de plus en plus diffusé et plus facilement accessible. Le plus intéressant est que ce savoir est régulièrement mis à jour. Ainsi les informations obsolètes se retrouvent rapidement en bas de la liste des résultats de recherche, et les citoyens y veillent. En plus de fournir les informations, les citoyens évaluent aussi la qualité des réponses de manière à filtrer les informations obsolètes et incorrectes.

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En Belgique, un groupe Facebook est parfois créé au niveau d’une commune afin d’organiser à ce niveau l’échange d’informations et d’opinions. La commune peut en être l’initiateur, mais bien souvent, ce sont les citoyens eux-mêmes qui en prennent l’initiative. La valeur ajoutée de l’information ainsi créée sur Facebook ne correspond cependant pas au niveau de qualité que l’on retrouve sur Reddit. En effet, les anciens fils de discussion sont difficiles à suivre et les informations partagées se perdent aussi rapidement qu’elles ont été créées. De plus, les réactions des contributeurs ne bénéficient pas d’un suivi de qualité.

Il serait certainement plus simple s’il existait un Reddit, un Wikipédia ou un Quora pour les informations délivrées par l’administration. Ainsi, au lieu de s’adresser à quatre différentes administrations ou de chercher sur leur site web des informations relatives aux conditions d’obtention d’un permis de construire, ou bien celles entourant la mise en location d’une chambre sur AirBnB, l’on pourrait simplement s’adresser à d’autres citoyens. Il y a probablement plusieurs personnes qui, dans la même ville, ont déjà accompli les mêmes démarches ; elles sont bien souvent mieux informées que les agents des services publics eux-mêmes. Ces derniers ont en effet souvent une vue limitée à leur service tandis que le citoyen lambda adopte plus facilement une vue d’ensemble

Des informations et des opinions sont recueillies chaque jour auprès de nos citoyens, mais celles-ci sont rarement partagées, encore moins conservées. Cela entraîne une perte de temps, et pour les citoyens, et pour les agents administratifs.

Certains organismes publics ne sont peut-être pas fans de ce système, ou alors ils craignent les coûts d’une infrastructure numérique, ce qui est compréhensible, mais la question qui se pose est de savoir s’il est grave que les pouvoirs publics n’aient pas de pouvoir dans un tel service. Nos voisins allemands surveillent activement les promesses de leurs politiciens à travers l’association Abgeordnetenwatch, par laquelle ils peuvent directement poser des questions aux politiciens. Plus de 300.000 personnes visitent mensuellement leur site web. Cette organisation a été entièrement conçue par des particuliers.

Les citoyens s’organisent désormais plus que jamais. Certains changements sont prévisibles et il n’est jamais trop tôt pour se demander auxquels d’entre eux le gouvernement souhaite participer et pour lesquels il trouve acceptable que les citoyens créent quelque chose de leur propre initiative. La surveillance des citoyens peut être une bonne raison justifiant une implication active dans l’élaboration de nouvelles plateformes, mais sur le plan financier, il peut être plus intéressant de laisser le développement de certaines affaires entre les mains des citoyens.

Toutes les initiatives citoyennes ou les coopératives ne sont pas si innocentes. Le fonctionnement de Reddit, Quora, etc. repose sur le fait que le groupe peut créer suffisamment d’informations et que les excès sont supprimés dès lors qu’il y a assez de réactions pour le faire. Cependant, il est parfaitement possible que le groupe soit influençable ou incapable de prendre la meilleure décision pour lui-même. Nous avons assisté à une situation assez innocente lors du choix du nom de Boaty McBoatface pour désigner la mission britannique de l’Antarctique. Pour les organisateurs, il était difficile d’ignorer complètement le choix des participants, un compromis a donc finalement été trouvé et le sous-marin sans pilote a eu l’honneur de porter ce nom à la place du vaisseau mère.

Un exemple plus sérieux est la vitesse à laquelle les informations sensationnelles circulent sur Facebook et la façon dont plus que jamais, des informations importantes remontent difficilement le fil de l’actualité. Qui peut remédier à cela dans l’intérêt général ? Et si l’on va plus loin, les intentions politiques peuvent même sous-tendre certaines initiatives. En 2015, au lendemain des manifestations des indignés en Espagne, des élections improvisées se sont tenues en ligne. Le soutien reçu par les représentants du peuple était tel que les vrais politiciens ont dû en tenir compte et qu’en conséquence plusieurs activistes se sont vu attribuer une véritable fonction politique.

Les citoyens peuvent plus facilement s’organiser qu’auparavant et ils le font de plus en plus. II en découle une amélioration du partage des savoirs, un bon fonctionnement et même un sentiment d’appartenance. Cette évolution pourrait également conduire à la formation de nouveaux centres de pouvoir déconnectés d’un lieu ou d’une hiérarchie. Il appartient au gouvernement d’anticiper ces changements et de choisir en conscience les initiatives auxquelles ils souhaitent participer et celles pour lesquelles il ne souhaite pas s’impliquer.

Kjell Clarysse est visiting fellow auprès du think tank Itinera. Il est historien et a obtenu un Master de Management à la Vlerick Business School. Il est le fondateur de la student advertising platform Zerocopy.

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