Malgré une campagne en demi-teinte, Marine Le Pen accède au second tour de l'élection présidentielle. © Chen Yichen/Reporters

Le Pen, un score historique

Le Vif

En accédant au second tour, la candidate du FN évite l’accident industriel et fait mieux que son père en 2002.

Le soulagement est à la hauteur de la fébrilité des derniers jours. Promise par les sondages depuis 2013, la qualification de Marine Le Pen aurait dû n’être qu’une formalité, un pas de plus vers l’objectif ultime : l’explosion du plafond de verre le 7 mai. Et pourtant, son score au soir du premier tour, au coude à coude avec Emmanuel Macron, est presque une divine surprise pour la patronne du FN. Tant le tempo de la campagne avait semblé lui échapper depuis janvier. Marine Le Pen a su retourner dans la dernière ligne droite cette situation mal embarquée. Mais la candidate qui salue, les bras levés, ses partisans réunis à Henin-Beaumont au soir du 23 avril, n’est plus exactement la même que celle qui a lancé sa campagne à Fréjus le 18 septembre 2016.

Fréjus, le nouveau bastion du Front national, la cité du Sud conquise en 2014 par un futur sénateur maire de 26 ans, David Rachline. C’est dans ce laboratoire du nouveau Front que Marine Le Pen se met en scène pour lancer sa nouvelle odyssée présidentielle, dopée par les scores ascendants du FN aux municipales, aux départementales et aux régionales. D’autant plus libre qu’elle a enfin rompu tout lien politique avec son père. Signe que la dédiabolisation continue, Marine Le Pen s’exprime sous le haut patronage d’une nouvelle figure tutélaire. Adieu papa Jean-Marie, mes respects, mon Général ! Il y aura bien quelques nostalgiques de l’Algérie française pour s’en émouvoir, mais c’est à de Gaulle que Marine Le Pen fera maintenant référence dans tous ses discours. Dans le Var, elle défend une vision ouvertement gaullienne de la France dans le monde :  » Une France libre, non alignée, toujours debout quand il s’agit d’affirmer la liberté des peuples à choisir leur destin.  » Son bras droit, Florian Philippot, dont le bureau au siège de Nanterre est autant un lieu de travail qu’un autel à la gloire du général, soupire d’aise. Le message est clair : Marine Le Pen prend de la hauteur, plus présidentielle que jamais. Elle ne s’abaisse plus à moquer ses adversaires. Au risque de dérouter des militants avides de bons mots avec une prestation terne.

La « France apaisée » ne pèse pas lourd dans le coeur des Français

En cet automne 2016, Marine Le Pen ripoline son image et travaille sa stature. Elle ne court plus les plateaux de télévision et les matinales de radio. Diète médiatique, diète personnelle. Elle réapparaîtra, au début de 2017, délestée d’une dizaine de kilos, affûtée pour le combat. Même les vieilles références du Front passent sous le bistouri. Jeanne d’Arc, égérie des identitaires, est priée de cohabiter avec Richelieu, grand réformateur de l’Etat et ennemi notoire de la minorité protestante de l’époque. C’est d’ailleurs au ministre de Louis XIII que la candidate promet de vouer le second porte-avions qu’elle compte construire, et non à la pucelle d’Orléans. Tout un symbole. La vieille flamme tricolore du Front, elle aussi, est reléguée aux archives. C’est une rose bleue qui ornera les affiches de la candidate et le revers de sa veste.  » La rose, c’est un petit coup de pied de l’âne aux socialistes, et un symbole féminin, revendique le beau-frère de la candidate, Philippe Olivier, revenu au premier plan après avoir suivi le dissident Bruno Mégret en 1998. La symbolique de la rose bleue – qui n’existe pas dans la nature -, c’est de rendre possible ce qui ne l’est pas sur le papier. Les chrétiens verront aussi dans la couleur bleue un symbole marial.  »

La campagne de 2017 se veut plus professionnelle que le millésime 2012. Racine, Marianne, Audace… Les collectifs du Rassemblement bleu Marine se sont multipliés. Enseignants, étudiants, entrepreneurs… chaque pan de la population française a désormais un groupe chargé de répondre à ses préoccupations. Et d’abreuver en notes et en propositions la présidente du FN. Après Florian Philippot, voilà qu’un nouvel énarque fait une ascension fulgurante dans la galaxie frontiste. Petites lunettes design, chevalière verte et humour dévastateur, Jean Messiha est chargé de coordonner l’action des Horaces. Calqué sur les Gracques, ce collectif revendiquant 132 hauts fonctionnaires – un chiffre impossible à vérifier – phosphore pour la candidate. Une fois par mois, Marine Le Pen les retrouve discrètement le temps d’une réunion plénière.  » Ils vous pondent la réforme du régime social des indépendants en trois jours, s’enthousiasme Philippe Olivier. On a acquis une maturité qui n’était pas là avant. Cela ne se voit pas forcément, mais tout a été soigneusement étudié.  » Depuis son bureau de Montretout, celui-là même qu’il a retrouvé après en avoir été chassé par Jean-Marie Le Pen en 1994, Lorrain de Saint-Affrique moque l’organisation du nouveau Front.  » Ce qui faisait l’esprit du FN, c’était le côté affectif et le dévouement qui tenaient à la personnalité de Jean-Marie Le Pen. Aujourd’hui, les jeunes cadres sortis de Sciences po ont déséquilibré le dispositif.  » A force de donner des gages de respectabilité, le Front national ne serait-il pas en train d’égarer ses électeurs contestataires ?

En septembre 2016, elle lance sa campagne à Fréjus, une ville conquise en 2014.
En septembre 2016, elle lance sa campagne à Fréjus, une ville conquise en 2014.© J.-P. PÉLISSIER/REUTERS

La solution pour renforcer l’image de proximité de Marine Le Pen passe par la campagne. La vraie. Celle qui fleure bon la vache et le foin. C’est l’une des innovations de 2017 dont son équipe est la plus fière. La candidate arpente la France rurale dans des meetings de poche. Monswiller, Arcis-sur-Aube, La Bazoche-Gouet… autant de granges ou de petites salles des fêtes qui ont abrité les réunions publiques de la patronne du Front.  » On a vu une ferveur beaucoup plus importante, alors que ces réunions sont beaucoup moins organisées que les grands meetings. Les gens sont venus par le bouche-à-oreille « , observe Wallerand de Saint-Just. En bon trésorier du parti, ce dernier sait que le rapport qualité-prix du format rural est imbattable. Pas de location de salle hors de prix, peu de frais logistiques, le tout couronné par un fort retentissement médiatique.

Marine Le Pen et ses troupes pensaient avoir tout prévu. Tout, sauf l’affaire Fillon. La polémique sur la probité de son rival donne à la candidate FN des  » pudeurs de gazelle « . Elle-même est suspectée d’avoir organisé un système d’emplois fictifs d’assistants parlementaires au Parlement européen. Sa propre déclaration de patrimoine fait l’objet d’une enquête préliminaire du parquet national financier depuis janvier 2016. Dissimulée derrière une immunité parlementaire bien commode, elle aussi accuse la justice d’être instrumentalisée par le pouvoir politique. Comme le lui fait remarquer durement Philippe Poutou pendant le débat télévisé du 4 avril, il n’existe pas  » d’immunité ouvrière « . Renvoyée à son appartenance au  » système  » politique, la candidate encaisse. Et ce n’est pas la charge de Marion Maréchal-Le Pen contre un Philippe Poutou  » crasseux, mal rasé, mal élevé « , qui rapprochera la famille Le Pen de l’électorat ouvrier. La campagne de Marine Le Pen semble dans une passe difficile .

Les sondages ne frémissent pas. Pire, ils reculent doucement et semblent faire d’Emmanuel Macron le nouveau favori du 23 avril. Pas encore au point de barrer la route du second tour à Marine Le Pen, mais un constat s’impose : les Français doutent de sa  » France apaisée « , ce cocktail de souverainisme économique et de discours anti-immigration light, concocté sous l’influence de Florian Philippot. La sortie de l’euro les inquiète trop. La mesure ne figure d’ailleurs plus explicitement dans les 144 engagements présentés aux assises présidentielles de Lyon, le 4 février dernier. Elle est repoussée à un référendum organisé après l’élection présidentielle. Pourquoi perdre des plumes sur la sortie de l’euro quand, dans les meetings, les propositions économiques de Marine Le Pen ne suscitent qu’une adhésion polie ? Après tout, il n’y a que ses diatribes identitaires et islamophobes qui électrisent ses troupes.  » Marine Le Pen considère depuis longtemps qu’on peut construire une majorité autour du non à Maastricht. C’est une aberration « , critique un élu du sud de la France, proche de Marion Maréchal-Le Pen. Avant de tenter, l’air de rien, de semer la discorde entre les frères Philippot, le sondeur et le bras droit :  » Damien Philippot est arrivé dans la vie de Marine. Il lui démontre tous les matins, études à l’appui, que sa marge de progression est à droite. C’est la preuve que la ligne de Marion est la bonne. Le mur des réalités a fini par amener Marine à un endroit où elle n’avait pas envie d’aller. Même Florian Philippot a intelligemment compris qu’il ne fallait plus trop la ramener là-dessus.  »

Comme si les errements programmatiques ne suffisaient pas, Marine Le Pen se laisse embarquer dans une mauvaise polémique.  » La France n’est pas responsable du Vél’ d’Hiv « , répond-elle au micro de RTL, le 9 avril. La candidate espérait marquer encore un peu plus ses distances avec son père, condamner le régime de Vichy et imiter la position du général de Gaulle. A la place, elle est violemment ramenée à ses racines d’extrême droite par ses concurrents. Sonnée, Marine Le Pen se terre. Elle annule sa venue dans la matinale de France Inter, cette  » radio bolcho  » qu’elle exècre. Une inoffensive rencontre avec des viticulteurs de Chablis est déprogrammée au dernier moment. Plus question de prendre des risques et de laisser échapper une image non maîtrisée. La candidate se contentera d’interviews millimétrées et de meetings bien calibrés jusqu’au premier tour. Ni bains de foule ni selfies : Marine Le Pen arrive sur scène, prononce son discours, et s’en va aussi sec. Même à Arcis-sur-Aube, devant une petite salle propice aux interactions avec le public, elle ne déviera jamais de son texte. Les  » Marine, on t’aime  » et autres interjections sur l’islam restent sans réponse. L’improvisation est trop dangereuse.

Une autre campagne s’engage dans un pays frappé par le terrorisme

A une dizaine de jours du premier tour, les stratèges de la campagne sonnent le tocsin. La qualification n’est plus assurée. Il faut revenir aux fondamentaux. D’urgence. Lancée le 13 avril, la proposition de Marine Le Pen d’interdire le rassemblement de l’Union des organisateurs islamiques de France (UOIF) ne crée pas la polémique espérée.  » C’est juste que vous, les médias, vous vous êtes habitués, ça ne vous choque plus. On a gagné le combat idéologique « , rit – jaune – un proche de la candidate. Comme un pied de nez, c’est à Paris, l’une des villes les plus rétives à son parti, que Marine Le Pen lance une contre-attaque autrement plus musclée, le 17 avril. Dans un Zénith presque plein, assiégé par des manifestants d’extrême gauche, elle assène :  » Avec moi, il n’y aurait pas eu les terroristes migrants du Bataclan ni Merah le tueur de militaires et d’enfants juifs.  » Pas une fois elle ne prononcera les termes  » France apaisée  » ou  » Etat stratège « . Tant pis pour le souverainisme et la sortie de l’euro. Dans les travées du Zénith, les sondages ont beau placer Marine Le Pen dans une zone de turbulences, ses soutiens n’apprécient pas qu’on le leur fasse remarquer.  » Franchement, sortez de chez vous ! s’énerve Nathalie, une avocate d’une trentaine d’années qui milite à Rambouillet. Sur les marchés, les gens font des détours pour venir nous voir. Ils sortent de leur jardin pour prendre nos prospectus !  »  » J’entends les sons de cloche chez moi, renchérit Dominique, une quinquagénaire aux boucles permanentées venue de Grièges, dans le centre-est de la France. Même des gens dont on ne s’attend pas à ce qu’ils votent FN – les BCBG -, ils votent Marine.  »

Entre granges et petites salles des fêtes, elle enchaîne les meetings ruraux.
Entre granges et petites salles des fêtes, elle enchaîne les meetings ruraux. © S. MAHÉ/REUTERS

Haro sur ces sondages auxquels la direction du parti est pourtant si accro !  » Les Français ont adopté l’attitude de nos amis britanniques et américains de ne pas dire pour qui ils vont voter, théorise le sénateur des Bouches-du-Rhône, Stéphane Ravier. Ils veulent se libérer de l’oppression sondagique !  » Loin d’être aussi rassurée que ses fans, Marine Le Pen poursuit son sprint final sur la même piste identitaire à Marseille. Cette fois-ci, c’est à ceux qui veulent transformer la France  » en gigantesque squat  » qu’elle s’en prend. Encore un clin d’oeil à la droite de la droite.  » Ce pays-ci n’est pas un terrain vague « , expliquait déjà Charles Maurras en 1912 dans un texte sur  » l’hospitalité « .  » Une campagne, c’est un rythme. Le but est de remobiliser son électorat dans la dernière ligne droite « , revendique dans les travées du Dôme de Marseille l’ancien député UMP Jérôme Rivière, rallié au FN fin 2016. Faut-il y voir un aveu implicite ? La campagne menée par Marine Le Pen a-t-elle trop ciblé le second tour jusque-là ?  » Le travail qui a été réalisé consistait à rassurer pour le deuxième tour, poursuit-il. Mais avant cela, on ne pouvait pas faire l’impasse sur le premier.  »

N’en déplaise aux sondeurs, la stratégie s’est révélée payante. Et c’est une autre campagne qui s’engage, dans une France à nouveau frappée par le terrorisme. Faut-il continuer à taper fort en liant islam et attentats, au risque d’effrayer les électeurs modérés ? D’autant que le FN, déjà isolé, ne compte aucun partenaire politique.  » Les attaques contre l’UMPS, il aurait fallu les arrêter dès 2012, regrette son ancien allié Paul-Marie Coûteaux. Il fallait entrer davantage dans le système pour aller chercher Nicolas Dupont-Aignan, Philippe de Villiers et des Républicains droitiers. Avec son ni droite ni gauche, Philippot lui coûtera cher.  » Mais la mauvaise fortune du Siel, le parti de Paul-Marie Coûteaux, risque de ne pas susciter les vocations.  » Le Front a toujours fait preuve d’immaturité avec ses alliés. Il a eu un côté mante religieuse, reconnaît un proche de Marine Le Pen. Cette culture-là, on est en train de s’en débarrasser, mais je comprends que des partenaires, connaissant cette histoire, aient des réticences à faire alliance avec le nouveau Front.  » Union des droites contre ni droite ni gauche, Marion Maréchal contre Florian Philippot… les vieux démons du FN ne demandent qu’à se réveiller.

Par Jean-Baptiste Daoulas.

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