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Le français « africain » n’est pas proportionnel à son importance démographique

Le Vif

Il reste « pas mal de chemin à parcourir pour que le français soit une langue plus africaine, wallonne, québécoise… Pour que le français soit plus francophone », estime le linguiste Michel Francard, professeur émérite de l’Université catholique de Louvain.

Le président Emmanuel Macron a récemment dit que la langue française était « aujourd’hui plus africaine que française ». Est-ce exact?

M. Macron relaie, dans cette déclaration, le discours des instances officielles de la Francophonie. Les estimations du nombre de francophones dans le monde par l’Organisation internationale de la Francophonie concluent en effet au poids sans cesse croissant de l’Afrique. Il s’agit d’un point de vue démographique: la natalité est plus forte dans ce continent que dans la « vieille Europe ». Mais cela ne doit pas occulter une autre réalité. Dans certains pays africains où le système éducatif est défaillant, l’enseignement du français ne réussit plus à donner une maîtrise suffisante de la langue, à l’oral comme à l’écrit. Cette précarité est parfois renforcée par le développement de codes mixtes (associant des caractéristiques de plusieurs langues) : le nouchi en Côte d’Ivoire, le francolof au Sénégal, le camfranglais au Cameroun. Ces parlers contribuent à éloigner les variétés de français en usage en Afrique de celles de la francophonie européenne ou nord-américaine. L’avenir du français sera « africain » si l’enseignement du français à Kinshasa, à Dakar ou à Yaoundé permet à ses bénéficiaires une réelle intégration dans la communauté francophone. Avec ce que cela suppose comme compétences d’expression orale et écrite.

Cela se vérifie-t-il dans l’évolution de la langue?

Les difficultés qui viennent d’être évoquées expliquent en partie pourquoi le poids du français « africain » − mieux encore, des variétés du français en Afrique − n’est pas proportionnel à son importance démographique. Dans les représentations linguistiques, le « français de référence » reste souvent associé aux Français de l’Hexagone: les francophones « périphériques » souffrent d’un déficit de légitimité linguistique par rapport à eux.

Si ce déficit de légitimité linguistique est encore perceptible pour des francophones de Wallonie, de Suisse romande ou du Québec, dont les usages peinent parfois à être reconnus, que dire des spécificités du français en Afrique, largement sous-représentées dans les dictionnaires usuels, peu diffusées en dehors de leur aire d’origine? La situation pourrait changer avec les communautés africaines qui vivent sur le continent européen, mais à condition que celles-ci ne restent pas confinées dans un ghetto linguistique, et social. Il reste donc pas mal de chemin à parcourir pour que le français soit une langue plus « africaine », mais aussi plus « wallonne », plus « québécoise », plus « suisse ». Pour que le français soit plus francophone…

Des expressions africaines quittent-elles le continent pour rejoindre d’autres pays?

Les timides influences des variétés du français en Afrique sur le français « de référence » se trouvent principalement dans le domaine du lexique. Naguère, les mots voyageaient avec les colons et les expatriés qui, de retour au pays, partageaient avec leurs proches des mots « de là-bas ». C’est ainsi qu’en Belgique sont connues quelques formes empruntées aux langues africaines et passées en français: poto-poto, mot lingala (langue parlée dans les Congo, ndlr) qui désigne un marais, aujourd’hui employé dans un sens métaphorique pour désigner une situation inextricable; ziboulateur, issu d’un radical kirundi (du Burundi, ndlr), qui désigne un décapsuleur, etc.

Aujourd’hui, le mode de diffusion a changé et fait intervenir les Africains émigrés en Europe. C’est le cas du verbe s’enjailler (« s’amuser, faire la fête »), originaire de Côte d’Ivoire, exemple récent d’un africanisme qui a réussi: il figure aujourd’hui dans la nomenclature du Petit Robert. C’est aussi le cas pour ambianceur (« personne qui aime faire la fête »), enceinter (« rendre enceinte+ », essencerie (« station-service) et quelques autres célébrés comme « mots de la francophonie ».

Mais cette influence reste très marginale (quelques dizaines de mots), très en deçà de la place occupée par d’autres francophonies périphériques (Belgique francophone, Suisse romande, Québec) bien moins importantes d’un point de vue démographique. Et cette influence reste négligeable dans l’ensemble du français « de référence »…

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