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Lac Tchad: la malédiction Boko Haram

Le Vif

Le répit a été de courte durée pour Aminu Mohammed. Avec le retour d’un semblant de stabilité dans le nord-est du Nigeria, où sévit le groupe jihadiste Boko Haram, le commerce reprenait doucement et ce pêcheur de 45 ans naviguait à nouveau sur le Lac Tchad.

Mais il y a trois mois, l’activité s’est une fois de plus arrêtée brutalement.

L’armée, qui a lancé en mai une énième opération militaire dans la région, a instauré de nouvelles restrictions le temps de « nettoyer » les îles du lac infestées de combattants jihadistes, au carrefour de quatre pays (Cameroun, Nigeria, Niger, Tchad).

« Interdiction de pêcher, interdiction de vendre le poisson » jusqu’à fin août, date à laquelle l’opération Last Hold est censée s’achever, résume avec colère ce père de 6 enfants qui, comme de nombreux pêcheurs, brave les interdits pour survivre.

Les risques sont immenses. « Boko Haram rôde sur le lac et quand ils ne nous tuent pas, ils prélèvent 10.000 nairas (23 euros) pour nous autoriser à pêcher », témoigne Aminu Mohamed auprès de l’AFP.

Autrefois grouillant d’activité, le marché aux poissons de Maiduguri, la capitale de l’Etat du Borno et plaque tournante de ce commerce, a piteuse allure après neuf années de conflit.

La plupart des étals, vides, sont recouverts de bâches en plastiques et leurs propriétaires, les commerçants haoussa et kanouri qui y ont fait fortune durant des siècles, sont partis vers le sud-est. Ils achètent désormais leur poisson à la frontière camerounaise.

Yakubu Dangombe est l’un des rares à être resté: il a deux millions de nairas (environ 4.700 euros) de marchandises bloquées depuis des semaines à 200 km de là, à Baga, principal port de pêche sur le versant nigérian du lac, les soldats interdisant aux convois commerciaux de prendre la route.

« J’ai 35 enfants, je ne peux plus les nourrir ni payer leurs frais de scolarité, c’est un désastre », affirme ce négociant jadis prospère.

– « Pénurie et inflation » –

De maigres stocks de poissons destinés à la consommation locale parviennent tout de même à Maiduguri, officiellement en provenance de Yola, dans l’Etat voisin d’Adamawa. En fait, c’est de la contrebande venue du lac, par ballots de 10 ou 30 kg « cachés dans les coffres des voitures sous les valises de voyageurs », raconte un vendeur sous couvert d’anonymat.

Résultat, la pénurie a fait explosé les prix du poisson: le tas (7 à 8 poissons) est passé en trois mois de 4.000 à 10.000 nairas.

Les clients se rabattent parfois sur d’autres sources de protéine. Dans les grands bidons en ferraille où l’on séchait et fumait des quantités industrielles de tilapias et de perches, on trouve désormais du varan et du chat fumés.

Avant le conflit, l’industrie de la pêche était la première source de revenus et d’emploi de la région, avec une production de 80.000 à 100.000 tonnes par an, d’une valeur estimée entre 54 et 220 millions de dollars (FAO, mars 2014).

Plus de 200 camions quittaient Baga chaque semaine pour alimenter les marchés de tout le pays, jusqu’aux mégapoles surpeuplées du sud, comme Lagos ou Port-Harcourt.

Mais les malheurs se sont abattus les uns après les autres sur les acteurs de la filière. Selon le principal syndicat de pêche du Borno, plus de 200 communautés de pêcheurs ont été rasées par les jihadistes, qui ont aussi volé ou détruit leurs bateaux et leurs filets.

Au total, plus de deux millions de personnes ont été déplacées et plus de 11 millions dépendent de l’aide humanitaire, souvent insuffisante, pour se nourrir dans les quatre pays riverains du Lac.

Au pic de l’insurrection (2013-2014), alors que Boko Haram régnait en maître sur les pourtours du lac, les autorités nigérianes, tchadiennes et nigériennes ont totalement interdit la pêche pour couper ce qui était devenu une importante source d’approvisionnement pour les jihadistes.

– « Racket généralisé » –

De nombreux pêcheurs ont été arrêtés par l’armée, accusés de financer les insurgés qui prélevaient – de force – des « taxes » et une partie des stocks de poissons.

Les armées de la région ont finalement repris le contrôle de la plupart des territoires, poussant les jihadistes à se retrancher davantage vers l’intérieur du lac, très difficile d’accès.

Grâce à la reprise de la circulation sur l’axe Baga-Maiduguri, suivie quelques mois plus tard de la réouverture officielle du grand marché de Baga, l’activité reprenait progressivement fin 2016.

Mais là encore, les commerçants se plaignaient du racket généralisé, non plus par Boko Haram, mais par les militaires nigérians, avec la complicité d’autorités locales, faisant tripler le coût du transport depuis Baga, selon Assa Yuni, un commerçant de Maiduguri.

Le secrétaire du syndicat des producteurs et vendeurs de poissons du Borno, Mallam Baba Musa, estime que la forte hausse des prix est justifiée.

« Les gens voudraient que tout redevienne comme avant mais ce n’est pas si simple, il faut payer les escortes armées sur la route, car la situation reste volatile », explique-t-il.

« Faux prétexte », rétorque Yakubu Dangombe, dont les poissons sont toujours bloqués à Baga. « Que ce soit avec les militaires ou Boko Haram, nous sommes coincés entre le marteau et l’enclume ».

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