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La stratégie secrète de l’Europe pour son divorce avec l’Angleterre

Muriel Lefevre

Il aura fallu neuf mois à Theresa May pour lancer officiellement la procédure du Brexit. En attendant, elle aura déjà largement snobé l’injonction de l’Europe à faire vite.

Pourtant, on ne pourra pas reprocher à l’Europe d’avoir lambiné. Dans les 48 heures qui suivront l’enclenchement effectif du Brexit, les leaders gouvernementaux recevront un projet de mandat pour les négociations. Un document de 10 pages qui aurait été rédigé ces neuf derniers mois par Didier Seeuws. Ce brillant fonctionnaire européen est l’ancien chef de cabinet d’Herman Van Rompuy. Ce serait aussi le secret le mieux gardé de Bruxelles dit De Volkskrant. Seules six personnes en auraient un exemplaire. Tusk et Juncker en feraient partie.

Il s’agirait en réalité d’une proposition qui donnerait un cadre commun aux positions que devraient prendre les États membres face à Londres sur certains sujets sensibles comme l’accès au marché interne et l’acceptation des quatre libertés que sont la libre circulation des travailleurs, du capital, des biens et des services.

Le second chapitre de ce document préciserait, toujours selon le Volkskrant, que l’Europe souhaite que les près de 3 millions de citoyens européens qui vivent en Grande-Bretagne puissent y rester, garder leur emploi et leurs accès aux soins. En échange, l’Europe s’engage à faire de même pour le million de Britanniques sur son territoire.

La partie la plus sensible de ce même document concerne la facture, et plus précisément le fait d’éponger la note que l’Angleterre doit à l’Europe. Des frais qui remontent loin dans le temps et qui s’élèveraient à 60 milliards. Un montant qui fait hurler de l’autre côté de La Manche où le parlement britannique argue que ce serait plutôt à l’Europe de payer le Royaume-Uni et non l’inverse.

Quoi qu’il en soit, le terrain est miné et pourrait exploser à la moindre brise. Par exemple, comment calculer la retraite des 55.000 fonctionnaires anglais qui travaillent pour l’Europe ? Comment aussi évaluer le prix des avoirs de l’Europe (bâtiments, véhicules ou encore réserve de vins aux cantines) auquel le Royaume-Uni a contribué? se demande encore le Volkskrant.

Aussi que se passera-t-il en cas de bagarre ? Quelle institution pourrait être habilitée à régler ce conflit puisque l’Angleterre ne reconnaît plus la Cour de justice européenne ?

Un troisième chapitre aborderait les relations futures et les nouvelles relations commerciales. S’il insiste sur la notion de « coopération de bonne foi », qui ne semble pas aller de soi, le document stipulerait aussi que faire partie de l’UE des 27 doit rester un avantage. Ce qui dans les faits voudrait dire que la Grande-Bretagne risque de perdre une partie de ses avantages commerciaux actuels.

Cette directive autour des négociations devrait être ratifiée lors d’un sommet spécial au mois de mai. Dès que les gouvernants des différents pays auront donné leur accord, le document sera envoyé à la Commission européenne où l’attend avec impatience Michel Barnier, le Français chargé de négocier le Brexit. Il a déjà rendu visite à tous les États membres et sait où sont les points sensibles. Avec son bras droit, l’Allemande Sabine Weyand, ils ont cartographié à tous les niveaux de pouvoirs les modalités de la séparation et avec quelles conséquences. « C’est très impressionnant. Du jamais vu », selon un haut fonctionnaire européen.

Le temps presse et Barnier le sait mieux que personne dit encore le Volkskrant. Car le Brexit enclenché, l’Europe et le Royaume-Uni n’auront qu’un an pour négocier leur nouvelle relation commerciale. Autrement dit à peine le temps d’un soupir lorsqu’on pense qu’il faudra détricoter 44 ans d’histoire commune.

Surtout que Barnier souhaite tout clôturer pour l’année prochaine afin de donner le temps au parlement européen de voter l’acte du divorce avant les élections européennes de mai 2019. Si jamais les deux parties n’arrivent pas à s’entendre, le Royaume-Uni sortira de l’Europe sans accord. Pas impensable lorsqu’on sait que May a déjà annoncé que pas d’accord était mieux qu’un mauvais accord. Ce qui pourrait signifier des retrouvailles devant le tribunal de La Haye où la bataille juridique risque de prendre des années.

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