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La recomposition de l’Assemblée nationale française, un sacré pari

Le Vif

Il paraît que rien ne sera plus comme avant… Mais le président a tout de même un impératif : obtenir une majorité à l’Assemblée nationale.

Terra incognita… La France a un nouveau chef de l’Etat, mais un paysage politique encore totalement mystérieux. Jamais dans l’histoire récente de la Ve République l’immédiate après-présidentielle n’avait recelé tant d’inconnues. Jamais dans l’histoire récente de la Ve République le résultat d’élections législatives organisées dans la foulée du scrutin présidentiel n’avait été si incertain. Bienvenue dans ce monde de flous !

Jusqu’où la révolution Macron irriguera-t-elle l’Hexagone ? Le nouveau président se fixe un objectif : obtenir la majorité absolue aux législatives des 11 et 18 juin, avec des députés appartenant au parti issu d’En marche ! et des députés du MoDem. Il cherche ainsi à éviter d’avoir ce qu’il appelle, dans Le Figaro du 29 avril dernier, une  » majorité coulissante « , c’est-à-dire instable.  » C’est Jules César qui entre dans Rome, il ne veut négocier avec personne, observe Olivier Faure, président du groupe PS à l’Assemblée nationale. Cela dit, pourquoi s’embêterait-il avec des alliés plus ou moins fidèles quand il peut s’entourer de gens qui lui devront tout ?  »

Le débat persiste, entre les proches du chef de l’Etat, sur la possibilité de réaliser une telle performance.  » Certains pensent que l’étiquette « avec le président » suffit à gagner largement, six semaines après la victoire du 7 mai, raconte un fidèle d’Emmanuel Macron. D’autres estiment qu’il faut faire attention : la droite est plus forte que ne le laisse penser le score de François Fillon le 23 avril. Même démobilisée, elle obtiendra 150 élus, et jusqu’à une centaine de plus si nos premières semaines se révèlent délicates.  » Le sénateur de la Côte-d’Or (est de la France) François Patriat résume :  » Le label Macron vaudra aux candidats un socle de 15 points au premier tour. Ensuite, à eux d’aller chercher les 10 points nécessaires pour se qualifier pour le second tour.  »

La droite espère une cohabitation – qui, quoi qu’il arrive, n’en sera pas vraiment une. Même si le groupe LR disposait de la majorité absolue, les légitimités du président et de l’Assemblée seraient concomitantes, alors qu’elles ne l’étaient pas lors des trois cohabitations précédentes : en 1986, 1993 et 1997, la victoire de l’opposition aux législatives était d’abord une sanction de l’action du chef de l’Etat, qu’il s’agisse de François Mitterrand ou de Jacques Chirac. Ce ne serait pas tout à fait le cas cette fois.

Cela finira-t-il avec une  » coalition « , selon l’expression utilisée par le centriste Jean-Louis Borloo, si aucun groupe ne dispose à lui seul de 289 élus ? L’opposition au Parlement sera-t-elle très différente de l’opposition dans le pays, en valorisant droite et gauche au détriment de l’extrême droite et de l’extrême gauche ? Ce qui poserait, une nouvelle fois, la question de la représentativité des députés, alors que le président a promis l’introduction d’une dose de proportionnelle (qui ne peut entrer en vigueur dès les législatives de juin). Il ne reste que cinq semaines avant le premier tour.

François Baroin, leader des Républicains pour les législatives de juin, a promis l'exclusion aux ralliés à Emmanuel Macron.
François Baroin, leader des Républicains pour les législatives de juin, a promis l’exclusion aux ralliés à Emmanuel Macron.© Francois Mori/isopix

La majorité présidentielle en chantier

 » Il n’y a pas 577 petits Macron, assurait le ministre (PS) Michel Sapin avant le premier tour. Dans une région comme la mienne (le Centre), je ne vois pas un seul député issu d’En marche ! élu le 18 juin.  »  » Chacun raisonne sur ces questions de majorité à périmètre constant, répondait un fidèle du président quand la victoire s’est profilée. Le monde politique a son mur de Berlin. Mais puisque le Mur est tombé, cela change tout.  » La majorité présidentielle est désormais en construction, avec un impératif de calendrier : les candidatures doivent être déposées le 19 mai au plus tard. Renouvellement, ouverture à la société civile et parité sont des engagements fermes. Mais dans quelle proportion y aura-t-il aussi recyclage ?

Le cas de Manuel Valls est emblématique. L’ancien Premier ministre, s’il reste au PS, se retrouvera avec un candidat macroniste face à lui – il en a repéré deux potentiels, un restaurateur d’Evry et un représentant du MoDem. Mais il a martelé son soutien au nouveau chef de l’Etat, avant même le premier tour de la présidentielle, et pronostique d’ailleurs qu’Emmanuel Macron a été élu  » par une majorité de voix de gauche, comme Jacques Chirac en 2002 « . Quitter le PS ? Il réfléchit fortement à cette hypothèse, dès lors que,  » au nom de l’unité, le centre du parti veut empêcher de bouger « .

Faut-il rejoindre l’étendard Macron ? rester au PS ? Faire sécession ?

L’écologiste Barbara Pompili, elle, a sauté le pas. Le 21 mars, la secrétaire d’Etat à la Biodiversité a été le premier membre du gouvernement à soutenir Emmanuel Macron. Avec l’ambition de le faire aller plus loin sur les questions environnementales. L’élue de la Somme était à son côté, le 26 avril à Amiens, pour rencontrer les syndicalistes de Whirlpool. Le dossier lui a permis d’échanger avec Xavier Bertrand, président (LR) des Hauts-de-France. Voir ce dernier nommé Premier ministre après un ralliement ne la rebuterait pas. Elue députée en 2012 avec l’appui des socialistes, l’ex-EELV sollicite l’investiture d’En marche ! et ne doute pas de l’obtenir. Droite et gauche locales s’avançant divisées, Barbara Pompili a de bonnes chances d’être réélue. Et si Bernard Cazeneuve, qu’elle juge  » excellent Premier ministre « , venait soutenir un concurrent PS à Amiens ?  » Il aura d’autres chats à fouetter. Il essaiera d’amener de la raison plutôt que d’alimenter des guerres stériles « , se rassure-t-elle.

La droite peut-elle gagner ?

A droite, comme souvent, il y a les proclamations d’estrade – François Baroin menant Les Républicains et l’UDI à la majorité absolue à l’Assemblée – et les aveux de faiblesse en privé.  » Le seul plan B, c’était le plan Bérézina, confie une figure des Républicains. On a un plancher d’une soixantaine d’élus et des projections positives à 120 députés.  » Ils sont 199 dans l’Assemblée sortante, élus après la victoire de François Hollande, en 2012. Malgré la soixantaine de députés qui raccrochent les gants, le grognard sarkozyste Alain Marleix y voit le signe que tout n’est pas perdu. Certains voudraient revoir avant le 19 mai quelques investitures : trop de femmes désignées au nom de la parité ; trop de place faite aux centristes, à qui on laisse 92 circonscriptions, dont environ 65 gagnables. Au siège des Républicains, on peste contre le président de l’UDI, Jean-Christophe Lagarde, un  » terroriste  » ayant abusé d’un Fillon chancelant. L’accord tient encore, mais la méfiance s’insinue entre alliés. Dans le Tarn (sud de la France), le député (UDI) Philippe Folliot a rejoint En marche ! avec un autre candidat. D’autres vont-ils suivre ? Quid des juppéistes ? Chargé des investitures chez Macron, l’ancien chiraquien Jean-Paul Delevoye dit recevoir beaucoup d’appels de responsables locaux et de  » députés qui s’interrogent « . Les appels du pied de Jean-Louis Borloo ou de Bruno Le Maire, candidat à la primaire de la droite, achèvent de semer la pagaille.  » Bruno est un peu perdu. Au premier tour de la présidentielle, le FN a fait 29 % dans sa circonscription de l’Eure (nord de la France). Mais Macron ne s’intéresse pas à des gens qui ne pèsent rien « , tacle un responsable LR. Pour exister, il faut sauver les meubles. Et des sièges. Le programme rafistolé par Eric Woerth suffira-t-il à faire revenir chez les Républicains des électeurs envolés chez Macron ou Le Pen ? Le parti lui-même se livre au grand écart.  » Certains élus qui ont refusé de choisir entre Macron et Le Pen votent déjà Marine dans l’isoloir, se désole un député. Seront-ils demain dans le même groupe que Nathalie Kosciusko-Morizet ?  »

La recomposition de l'Assemblée nationale française, un sacré pari
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Les vertiges du FN

Le score de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle suspend de facto les querelles internes au FN. Plus besoin de rechercher une victime expiatoire parmi ses dirigeants. Les législatives pourraient pourtant réveiller les tensions, si le nombre de députés élus sous la bannière frontiste n’est pas à la hauteur des espérances. Traditionnellement, le score du parti connaît un reflux quand les législatives sont organisées dans la foulée de l’élection présidentielle. Au-dessous de 15 députés, seuil minimal pour pouvoir constituer un groupe à l’Assemblée nationale, l’accident serait industriel. Compte tenu de l’incertitude politique liée à l’émergence de la France insoumise et d’En marche !, un ancien de l’UMP reste prudent sur le potentiel du FN :  » On aura entre 2 et 80 députés.  » Plus optimiste, l’élu du Gard Gilbert Collard vise pas moins de 150 parlementaires :  » Les gens qui auront voté pour Macron l’auront fait avec méfiance. Ils corrigeront cette méfiance par leur vote aux législatives.  »

Le sort réservé à Debout la France sera scruté avec attention. Conclu dans l’entre-deux-tours de la présidentielle, l’accord attribuant une cinquantaine de circonscriptions au parti de Nicolas Dupont-Aignan résistera-t-il à la défaite de Marine Le Pen ? La réponse aura valeur de test de maturité politique : à charge pour le FN de montrer qu’il est capable de traiter un partenaire en allié et non en vassal. Dans la recomposition qui s’annonce à droite, un stratège frontiste espère que Debout la France pourra attirer les électeurs LR en déshérence qui rejettent encore le bulletin FN :  » En votant pour le parti de Nicolas Dupont-Aignan, ils seront sûrs que leur député sera bien dans l’opposition et ne soutiendra pas des ministres de Macron.  »

Prêt à
Prêt à « candidat de la majorité présidentielle », Manuel Valls doit sauver son siège de député d’Evry.© E-PRESS PHOTO

Le PS face à ses doutes existentiels

Le 23 avril, Benoît Hamon n’a dépassé la barre de 15 % des voix que dans une seule circonscription. Ce paradis socialiste se nomme Wallis-et-Futuna. Dans seulement 38 autres, le candidat du PS a franchi le seuil des 10 %.  » En tant que députée sortante, j’ai du mal à me dire que je ne pèse que 11 % dans ma circonscription « , grimace la Parisienne Sandrine Mazetier. Partout en France, les élus PS ont vu leurs électeurs préférer le vote Mélenchon ou Macron. Pourquoi en irait-il différemment aux législatives ? Les plus optimistes entendent sauver 120 sièges, quand les cassandres prédisent un score inférieur à celui de la déculottée de 1993 : 52 survivants à l’époque.

L’entreprise de démolition de Macron tourne à plein régime. A part la vingtaine de députés qui ont déjà rejoint le mouvement, tous devront affronter un candidat macroniste.  » Ils peuvent nous faire tous perdre, pas nous faire gagner « , redoute Olivier Faure, le patron des députés PS. Chez Macron, on reste inflexible : pas de négociation d’appareils, fût-ce au niveau local.  » On ne va pas sécréter les frondeurs de demain « , lâche un élu.

Du coup, les socialistes courent comme des canards sans tête. Faut-il rejoindre l’étendard Macron comme l’a annoncé Manuel Valls ? rester au PS ? faire sécession ? Porte-parole de l’ancien Premier ministre pour la primaire du PS, David Habib veut encore croire que la  » ligne gouvernementale  » l’emportera dans le parti. Mais le député des Pyrénées- Atlantiques se situe résolument dans la future majorité présidentielle. Le programme Macron lui convient pour l’essentiel, et l’homme entretient des relations cordiales avec son voisin le maire de Pau, François Bayrou. La grande majorité des socialistes n’entend pas déposer les armes tout de suite. Hormis chez les vallsistes, Cazeneuve s’impose pour mener bataille, mais sur quelle ligne ? Rien n’est tranché, à part d’enterrer les utopies de Hamon.

Mélenchon et communistes en chiens de faïence

Sur la gauche du PS, la photographie n’est guère plus nette. Le bon score de Jean-Luc Mélenchon, en tête dans 58 circonscriptions de métropole, suscite bien des revendications de paternité. France insoumise, Parti communiste : chacun réclame sa juste part du gâteau. Malgré plusieurs réunions, les discussions pour désigner des candidatures communes sont au point mort. Même les 10 députés sortants du Front de gauche (7 PCF et 3 indépendants) ne sont pas assurés du soutien des mélenchonistes. Autre question en suspens : l’éventuelle candidature de Mélenchon aux législatives, que la rumeur annonce à Marseille, Lille, Paris ou Toulouse.  » Mais est-il sûr d’obtenir un groupe à l’Assemblée pour en être le tribun ? Ou cherche-t-il juste à placer ses proches ?  » s’agace un responsable communiste. Qui met en garde : aux législatives, une forte abstention pourrait toucher les jeunes électeurs et les quartiers populaires. Ceux-là même qui ont fait le succès de Mélenchon à la présidentielle…

Par Jean-Baptiste Daoulas, Thierry Dupont et Eric Mandonnet.

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