Franklin Dehousse

La mort très virtuelle de la langue anglaise en Europe

Franklin Dehousse Professeur à l'ULiège

Le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne a suscité certains fantasmes sur la langue anglaise. Certains voient le français reprendre la place dominante qu’il détenait dans les institutions européennes dans les années 1950 et 1960.

D’autres songent à établir la suprématie de l’allemand. Les politiciens se sont engouffrés dans cette brèche. Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, déclarait récemment que l’anglais  » perdait de son importance « . Le président français, Emmanuel Macron, a eu son petit couplet obligé à l’Académie française. La CDU, le parti de la chancelière allemande, Angela Merkel, a ses commentaires linguistiques à finalité électorale aussi.

On peut en discuter pour les langues française et allemande mais, en tout cas, la langue politique semble antipédagogique par essence. Contrairement aux dires du président de la Commission, jamais la langue anglaise n’a été aussi massivement prédominante. Elle a envahi les grandes entreprises. De plus, dans tous les secteurs de haute technologie (télécommunications, Internet, mais aussi big data, automation, intelligence artificielle…), celui qui ne maîtrise pas l’anglais est simplement un mort économique. Dans les institutions européennes (notamment la Commission), tout le substrat de l’activité législative est en anglais. Quinze pages de synthèse dans les 23 langues de l’Union européenne, et les milliers de pages des rapports techniques (sans lesquels la législation ne se comprend pas) exclusivement en anglais. A Bruxelles comme à Paris, les commerces célèbrent les sales au lieu des soldes, Christmas au lieu de Noël. Et ne parlons même pas de la télévision et du… show-business.

Il vaudrait mieux s’accrocher à l’anglais car son concurrent – le chinois – pointe déjà clairement sur la planète et sur Internet

Beaucoup de responsables préfèrent nier cette réalité plutôt que la gérer. Aussi l’Europe vit un grand printemps des replis linguistiques. L’Irlande a promu le gaélique dans les institutions européennes, l’Espagne le catalan, et maintenant le Luxembourg défend le lëtzebuergesch et Malte le maltais. Des revendications qui ne favorisent pas toujours la compréhension dans les débats… et la maîtrise des coûts. Le seul responsable à avoir défendu l’approche inverse était le président allemand, Joachim Gauck, qui a défendu (dans le désert) l’instauration de l’anglais comme deuxième langue européenne obligatoire.

On ne peut qu’inviter les jeunes générations à suivre son analyse. Il faut au minimum être trilingue (une activité qui maintient le cerveau longtemps en vie, selon toutes les études). Les autres langues dans l’Europe sont, non pas secondaires, mais clairement secondes. Et il vaudrait mieux s’accrocher à l’anglais car son concurrent – le chinois – pointe déjà clairement sur la planète et sur Internet.

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