Christian Makarian

« La gauche est un loup pour la gauche »

La désignation de Benoît Hamon comme candidat du PS à la présidentielle, profil jugé idéal pour incarner un champ de ruines, n’est pas seulement le symptôme de l’effondrement de la gauche dite « de gouvernement » en France. Ce choix est aussi le prolongement d’un phénomène profond, qui a gagné tout le continent européen. On ne peut pas délier la primaire de La Belle Alliance populaire d’une séquence très parlante, dont voici seulement quelques épisodes.

L’échec récent de Matteo Renzi en Italie, arrêté net dans sa volonté de réformer ; le rabotage électoral du PSOE espagnol, qui l’a conduit à préférer aux  » gauchistes  » de Podemos le soutien au gouvernement conservateur de Mariano Rajoy ; les défaites des travaillistes au Royaume-Uni ; le parcours très chaotique des socialistes néerlandais ; le ligotage du SPD allemand, membre d’une coalition finissante dominée par Angela Merkel et son parti de centre-droit, la CDU. On peut ajouter à cette recension l’Autriche, où il est revenu à un président écologiste de vaincre l’extrême droite, la Grèce, où le Pasok a presque disparu, après s’être longuement confondu avec le retour de la démocratie contre la dictature des colonels, les pays d’Europe centrale, qui ont souvent vu la gauche subir un coup de balai (voire se faire liquider, comme en Pologne).

Le risque principal de ce glissement idéologique est de voir les gauches européennes u0022se sectoriseru0022, se rétrécir dans l’aigreur

On peut sans doute parler d’une usure historique de la social-démocratie, d’un effet mécanique dû à l’épuisement des capacités de redistribution sociale des sociétés postcapitalistes à faible croissance. Mais, même si la contestation populaire de la gauche  » gestionnaire  » prend des formes assez différentes selon les contextes nationaux – on ne trouve pas partout, par exemple, d’équivalent aussi significatif que Syriza ou Podemos -, elle aboutit tout de même à trois caractéristiques communes, assez aveuglantes.

Premièrement, dans toute l’Europe, et de manière assez injuste, l’association entre baisse du niveau de vie et social-démocratie au pouvoir semble mettre en colère des franges massives de l’opinion. On ne pardonne pas à la gauche de gouvernement sa gestion par la contrition, assimilée à une trahison des principes distributifs. A partir de là, des formes diverses de gauche radicale parviennent à conquérir les couches sociales les plus affectées par l’austérité. Dans les pays où tout rapprochement avec un schéma d’inspiration marxiste est proscrit (comme en Allemagne, où le souvenir de la RDA reste vivace), ce sont les verts qui en profitent. Ailleurs, comme au Royaume-Uni ou, surtout, en France, ce sont des idées radicales et des leaders sciemment irréalistes qui émergent de la décomposition des vieux partis de gauche. Deuxièmement, la construction européenne, qui était jusqu’ici indissociable du corpus de pensée social-démocrate, fait directement les frais de ce désenchantement. On voit le sentiment antieuropéen se développer et la gauche radicale s’en emparer pour en faire un de ses thèmes centraux (sans retour possible). Troisièmement, le risque principal de ce glissement idéologique est de voir les gauches européennes  » se sectoriser « , se rétrécir dans l’aigreur et perdre le sens des réalités économiques. Alors que des décennies d’avancées démocratiques ont montré que la gauche avait vocation à gouverner autant que la droite, on pourrait assister à l’inverse : la gauche spécialisée dans les  » exclus « , et la droite réservée aux  » inclus « . Bref, une ligne de fracture des sociétés de plus en plus profonde.

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