Gérald Papy

« La gauche est exposée à des défis sans précédent en Europe »

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La démission de Matteo Renzi clôt une expérience quand celle de Manuel Valls est censée en inaugurer une autre. Ils font cependant face au même constat d’échec : la difficulté de plus en plus grande pour la gauche de gouverner au temps de la mondialisation et du triomphe des réseaux sociaux.

Le président du Conseil italien promettait de moderniser en 1 000 jours une Italie engoncée dans ses conservatismes. Le rêve du Rottamatore (le démolisseur) s’est fracassé sur ses ambitions un peu trop autocratiques. Avec, dans le rôle d’empêcheur de réformer, le Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo, meilleur défenseur d’un système qu’il n’a cessé de vitupérer. Matteo Renzi n’a pas pris suffisamment de temps pour convaincre, y compris dans son propre camp. Manuel Valls est confronté à la même réalité : un parti leader profondément divisé par l’exercice du pouvoir et, au-delà, une gauche éparpillée à travers ses différents courants. On comprend que, candidat à la présidentielle de 2017, il veuille  » faire gagner tout ce qui nous rassemble « . Mais sa conversion à  » la conciliation et à la réconciliation  » n’apparaîtra-t-elle pas tardive, opportuniste et, du coup, factice ?

A sa décharge, la gauche est exposée à des défis sans précédent en Europe. L’émergence d' » ennemis de l’intérieur  » djihadistes, confirmée par les attentats de Paris et de Bruxelles, met à mal sa croyance dans les vertus du multiculturalisme. L’immigration inhabituelle de ces derniers mois teste la puissance de son inclination naturelle à la solidarité. Surtout, la mondialisation économique éloigne la gauche, elle qui ne s’en est jamais défiée, des nouveaux exclus que l’innovation, inévitablement, produit. Autant de facteurs de fragilisation qui viennent se greffer sur un contexte sociétal a priori rétif aux aspirations de gauche, ce  » monstre doux  » que le linguiste italien Raffaele Simone avait identifié dès 2010.  » L’incitation à l’amusement et à la consommation, la « carnavalisation » de la vie quotidienne entretiennent un climat qui favorise la droitisation « , rappelle au Vif/L’Express l’auteur de Si la démocratie fait faillite

Selon le constat du sociologue François Dubet (dans La Préférence pour l’inégalité),  » la politique de l’égalité (ou des inégalités les plus « justes » possibles) exige qu’une solidarité élémentaire lui préexiste, c’est-à-dire un sentiment de vivre dans le même monde social « . Or, force est de constater qu’avec l’accroissement des distorsions de revenus et l’entre-soi conforté par les réseaux sociaux, cette idée s’étiole. Le défi de la gauche s’en trouve d’autant plus compliqué. Entre une aile centriste, qui duplique peu ou prou les solutions de la droite et réduit l’offre politique, et une aile populiste, qui fonde son programme sur des chimères et est vouée à frustrer ses électeurs, il est urgent de retrouver le chemin d’une gauche réformiste qui, tout en reconnaissant la réalité de la mondialisation, s’attelle à l’amender au nom de ses valeurs. Pour l’heure, c’est, à vrai dire, plus du côté de Paul Magnette (et de sa – un brin pompeuse – déclaration de Namur) que du côté de Manuel Valls qu’on la voit poindre. Mais qui sait…

En tout cas, si une droite forte est le meilleur gage de confinement de l’extrême droite, une gauche audacieuse est tout aussi indispensable à la vivacité de la démocratie, meilleur antidote à d’autres populismes.

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