Les sanctions après l'annexion de la Crimée ukrainienne : un tournant dans les relations entre la Russie et l'Occident. © VADIM GHIRDA/ISOPIX

« L’Occident a perdu toute capacité d’influencer le comportement de Poutine »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Selon Nina Bachkatov, auteure de Poutine, l’homme que l’Occident aime haïr, l’Europe et les Etats-Unis ne sont plus des modèles pour une Russie qui partage avec la Chine la même gestion des relations internationales.

Peut-on créditer Vladimir Poutine du  » redressement politique, économique et moral  » dont une majorité de Russes semble lui attribuer la paternité ?

Indéniablement. Il a redressé le pays et rendu confiance à la population. Raison pour laquelle les Russes hésitent à se révolter ou à soutenir un adversaire. De surcroît, au vu de leur histoire et des conséquences de la Révolution de 1917, ils ont une sainte horreur du chaos et des mouvements de rue. Le talent de Poutine a été de réussir à associer son nom aux réformes qui ont apporté un bien-être considérable à la population, même s’il y a actuellement une stagnation qui n’est pas suffisante pour retourner l’opinion publique contre lui.

Comment se traduit cette progression du bien-être ?

Il faut se souvenir de ce qu’était la Russie, en 1999-2000, lorsqu’il est arrivé au pouvoir, après la crise de 1998, traumatisme terrible pour toute la population. A la fin de la période Eltsine, des salaires n’étaient pas payés, des pensions n’arrivaient pas à temps… En un sens, cela a été facile pour Poutine de redresser un pays qui partait de tellement loin. Il a remis de l’ordre, dans le bon sens du terme, dans plusieurs secteurs. Il a bénéficié de la hausse des prix de l’énergie. Et il a inspiré confiance. Mais cela s’érode. C’est le problème de tous les dirigeants qui ne savent pas partir à temps.

Cette confiance s’est aussi forgée en miroir de la méfiance qu’inspirait l’Occident. Au vu des élargissements de l’Union européenne et de l’Otan, du soutien aux révolutions de Géorgie et d’Ukraine et à certaines ONG, celle-ci était-elle fondée ?

Oui, mais cela dépend de l’usage que l’on en fait. Poutine a poussé la méfiance des Occidentaux et le sentiment de forteresse assiégée jusqu’à un point qui est devenu contre-productif. Il est très polarisant entre une majorité de Russes qui estime que l’Occident visait davantage à affaiblir le pays qu’à l’aider et une minorité importante qui, sur la foi d’une approche plus analytique, déplore de voir la Russie se ranger systématiquement du côté des  » Etats voyous  » sous prétexte que les Occidentaux ne l’aiment pas.

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Qu’entendez-vous quand vous parlez de la Russie comme d’une puissance a-occidentale ?

Elle n’est pas antioccidentale parce qu’elle n’a pas la volonté de nouer des alliances contre l’Occident. Elle est a-occidentale parce qu’elle ne se définit pas par rapport à l’Occident, parce qu’elle ne souhaite pas copier le modèle occidental et parce qu’elle se veut différente. D’où l’entente avec la Chine qui prend ce qui est bon de l’Occident sans vouloir lui ressembler. Cet état d’esprit est aujourd’hui dominant au sein des pays émergents.

Poutine a-t-il intérêt à affaiblir la démocratie occidentale comme on a pu le soupçonner à travers des opérations controversées lors de récentes élections aux Etats-Unis ou en France ?

Je pointerais davantage un esprit revanchard des Russes sur le thème  » On va leur montrer « . L’ingérence occidentale est présente en Russie et dans les anciens pays de l’Union soviétique. Le sentiment est le suivant :  » Vous croyez qu’il n’y a que vous qui pouvez utiliser ces techniques ? Détrompez-vous. Nous les avons aussi. Si nous le voulons, vous verrez l’impact d’une interférence d’une puissance étrangère sur l’opinion publique « .

L’Occident en est-il réduit à l’impuissance face à Vladimir Poutine ?

Oui. L’Occident a perdu toute capacité d’influencer le comportement de Poutine à partir des sanctions après la crise ukrainienne. Cela a été un choc perçu comme une guerre économique. Les sanctions ont eu un impact économique et financier. Les Russes ont dû se réorganiser pour avoir des produits de substitution dans l’agriculture ou pour disposer d’infrastructures financières différentes face aux sanctions américaines surtout. Des secteurs ont souffert et continuent de souffrir. Mais les sanctions n’ont pas affaibli le pouvoir, au contraire. Toute personne qui connaît un tant soit peu la Russie aurait pu prédire qu’elles allaient resserrer les liens autour de Poutine et renforcer la paranoïa antieuropéenne. Il est déprimant de voir que les Occidentaux n’arrivent toujours pas à comprendre que les Russes ne répondent pas aux mêmes impulsions qu’eux. Leur comportement dans différentes crises – ils protestent mais ne viennent avec aucune proposition – provoque un discrédit et un déficit d’influence.

L’opération russe en Syrie vous apparaît-elle comme un succès diplomatique ?

A partir de leur victoire militaire, les Russes ont cru pouvoir forger un accord politique : un gouvernement d’union nationale qui adopterait une nouvelle Constitution et, sur cette base-là, organiserait des élections. Mais ils ne semblent pas avoir anticipé le retour du militaire. Le conflit en Syrie est en train de devenir une guerre internationale entre des pays qui n’ont pas intérêt à aboutir à la paix tant qu’ils n’ont pas atteint leurs propres objectifs. Donc, j’aurais pu parler de succès jusqu’à la victoire militaire. Mais on est pour le moment dans une autre phase.

Le projet eurasiatique est-il fondamental dans la diplomatie de Poutine ?

Poutine, l'homme que l'Occident aime haïr, par Nina Bachkatov, éd. Jourdan, 202 p.
Poutine, l’homme que l’Occident aime haïr, par Nina Bachkatov, éd. Jourdan, 202 p.

Il l’est devenu au fur et à mesure de la détérioration des relations avec les Occidentaux et singulièrement l’Union européenne. C’est un projet géopolitique et non le reflet d’une nostalgie du xixe siècle. Le projet eurasiatique témoigne aussi d’une prise de conscience que la richesse économique mondiale se développe vers l’Asie. Et il remplit d’autres objectifs : éviter une trop grande dépendance à l’égard des Européens et des Américains ; proposer une intégration régionale à des pays d’Asie centrale sans que cela ressemble à une reprise en main par Moscou ; et renforcer l’alliance avec la Chine qui partage avec la Russie la même manière de gérer des situations internationales.

Existe-t-il une vraie opposition démocratique pour la course à la présidence ?

En Russie, vous avez toujours eu des opposants mais jamais de vraie opposition. Les opposants sont divisés entre eux, particulièrement dans le camp libéral. Ils peinent à séduire la population faute de programme qui réponde véritablement à ses attentes. Il sera néanmoins intéressant d’observer qui arrivera en deuxième position de l’élection. Je pense que le candidat communiste, Pavel Groudinine, une nouvelle figure, pourrait frôler la barre des 10 %. Il est attrayant aux yeux de beaucoup parce qu’il a réussi dans le domaine agricole en reproduisant le modèle idyllique soviétique et en mêlant succès financier et actions sociales.

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