George Weah, poing brandi, le 30 septembre à Buchanan, au côté de sa colistière Jewel Howard-Taylor. "Personne ne peut me battre", claironne le Ballon d'or 1995. © N. BOTHMA/EPA/MAXPPP

L’ancienne star du foot George Weah à la conquête de la présidence du Liberia

Le Vif

Ex-star de Monaco et du PSG, légende du football africain, le tenace George Weah pourrait accéder à la présidence d’un pays naufragé. Les premiers résultats partiels du premier tour de l’élection présidentielle lui donnent un avantage substantiel, devant le vice-président sortant Joseph Boakai.

On a frôlé l’émeute. Etrange idée, il est vrai, que d’improviser au crépuscule une séance photo sur le marché de Duport Road, en lisière de la capitale libérienne Monrovia… Ce samedi de septembre, dès que l’énorme 4×4 japonais de George Weah, unique Ballon d’or africain de l’histoire du football et candidat à la présidentielle, dont le premier tour a eu lieu le 10 octobre, pointe son épais museau entre les échoppes, la foule l’assaille, mue non par la rage, mais par un irrépressible accès de ferveur. Voilà le miniconvoi englué dans une marée humaine, qu’un trio d’agents de sécurité s’échine à endiguer. La sortie éclair que tente  » Mister George  » ne fait qu’enfiévrer un peu plus la sarabande.  » Tu vois, soupire la star au crâne poli comme un galet, promptement repliée dans son vaisseau climatisé, je ne peux même plus sortir de ma maison. Sous peine de tomber dans le piège des citoyens. Ils sont tellement avides de changement… Je n’ai pas le droit de les décevoir.  » Pour dérider l’ancien buteur de l’AS Monaco, du Paris Saint-Germain et de l’AC Milan, il faut toute la gouaille des fans qui piaffent dans la lueur de ses phares. Suit un festival de slogans – les uns encensent le demi-dieu des stades, les autres étrillent ses concurrents -, que le champion du Coalition for Democratic Change (CDC), léger embonpoint et lunettes sans monture, scande maintenant en s’esclaffant. Le tout- terrain s’arrache enfin à la cohue. Reste à semer l’escorte pagailleuse que bricole un essaim de motos et de scooters zigzagants. Et à lâcher les plus opiniâtres : quitte à descendre un instant de son piédestal,  » King George  » baisse sa vitre teintée pour sommer rudement les réfractaires agrippés à la galerie de lâcher l’affaire. Idole, un job exténuant.

En novembre 2005, au lendemain de sa défaite face à Ellen Johnson Sirleaf, l'ex-buteur dénonce les fraudes qui ont entaché la présidentielle.
En novembre 2005, au lendemain de sa défaite face à Ellen Johnson Sirleaf, l’ex-buteur dénonce les fraudes qui ont entaché la présidentielle.© A. JALLANZO/EPA/MAXPPP

Du Liberia, on ne sait rien ou presque. Les esprits curieux connaissent au mieux sa singulière genèse. La naissance d’une patrie taillée ex nihilo dans le flanc ouest de l’Afrique en 1822, censée accueillir les esclaves affranchis de retour des Etats-Unis, élevée un quart de siècle plus tard – du jamais-vu alors sur le continent noir – au rang de république indépendante. Utopie en trompe-l’oeil qui vire très vite à l’aigre : d’emblée, la caste ultraminoritaire des  » Américano-Libériens  » – les Congos – astreint les autochtones – ou Natives – à une servitude écrasante, instaurant de fait un régime d’apartheid. Hormis la parenthèse chaotique ouverte en 1980 par le putsch de Samuel Doe, cette aristocratie confisque depuis lors les leviers du pouvoir et du savoir. Au fond, la nation côtière aux 4,5 millions d’âmes ne sort de l’ombre que sous les feux des tragédies qui la dévastent ou, plus rarement, nimbée de l’aura de ses icônes. Dans l’ordre, l’atroce guerre civile qui l’endeuille de 1989 à 2003 (250 000 tués, 1 million de déplacés et réfugiés), puis l’épidémie d’Ebola (plus de 4 800 décès recensés entre mars 2014 et novembre 2015). Au rayon des totems, Ellen Johnson Sirleaf, première femme élue à la tête d’un Etat africain, aux manettes depuis 2006, et… George Manneh Oppong Weah, qui a fêté ses 51 ans le 1er octobre.

Le parcours de ce « Native » a tout du fantasme de scénariste épris de biopics

Le parcours de ce Native de l’ethnie krou – communauté implantée de part et d’autre de la frontière ivoiro-libérienne – a tout du fantasme de scénariste épris de biopics. Pour preuve le décor d’une enfance indigente. Voici l’humble maison basse du quartier de Gibraltar, où le petit George fut élevé, au beau milieu d’une quinzaine de frères, soeurs et cousins, par sa grand-mère paternelle, prénommée Emma. Voici, à deux foulées de là, la modeste école primaire aux murs tout de vert et de blanc vêtus ; puis, dans le quartier voisin de Clara Town, au bout d’un sentier serpentant entre maigres étals et cloaques à ciel ouvert que gonflent les déluges de la saison des pluies, le terrain de foot où le garçon surdoué tricote ses premiers dribbles. Voici, dans Mechlin Street, le collège et le lycée où s’achève tant bien que mal une scolarité à éclipses. D’abord, la Muslim Congress School, théâtre d’une éphémère conversion à l’islam de l’enfant éduqué dans la foi chrétienne, et qui revendique aujourd’hui la dignité de  » bon méthodiste  » ; puis, la Wells Hairston High School, fréquentée de loin en loin à l’époque où le prodige brille déjà au sein de l’attaque des Invincible Eleven, club fameux de Monrovia, comme à la pointe de la  » Lone Star « , le Onze national. Entre-temps, le gamin de la rue avait vendu à la criée pop-corn et chewing-gums, puis déniché, au sein des télécoms locales, un boulot de réparateur.  » Je sais ce que signifie aller en classe pieds nus et le ventre vide, insiste-t-il. Et s’entendre répéter qu’on ne deviendra jamais rien.  »

Le terrain du quartier de Clara Town où George, enfant des rues, enchaîna ses premiers dribbles.
Le terrain du quartier de Clara Town où George, enfant des rues, enchaîna ses premiers dribbles.© © V.H.

Ses héros, en ce temps-là ? Dans l’ordre, le Brésilien Pelé, Nelson Mandela, le Jamaïcain Bob Marley, pape du reggae, et Martin Luther King.  » Mais mon véritable rêve, c’était de m’en sortir pour pouvoir aider les gens.  » Maints témoignages attestent la générosité de la terreur des surfaces. Tel celui d’Oumar Dieng, que l’aîné libérien prend sous son aile en 1994, lorsque l’impétueux défenseur franco-sénégalais débarque au PSG.  » Un grand coeur, tranche le « filleul » d’élection. Au retour d’un match disputé à Kiev, George ramasse les plateaux-repas laissés dans l’avion, les charge dans sa bagnole et m’invite à le suivre discrètement. Cap sur le parvis du Châtelet où, sur le coup de 4 heures du matin, nous distribuons incognito la bouffe aux sans-abri.  » Une autre fois, sur le seuil du centre d’entraînement du PSG, un Africain menacé d’expulsion, flanqué de sa femme enceinte, glisse une supplique écrite au King. Lequel improvise aussitôt une collecte parmi ses coéquipiers.  » Le gars est reparti avec le triple de la somme exigée par son bailleur « , s’amuse  » Mamar  » Dieng. A l’entendre, ce dernier a lui-même contracté auprès de son  » grand frère  » une dette inextinguible :  » Il veillait sur moi, au point de m’offrir le gîte et le couvert, me recadrait quand je partais en vrille, m’a enseigné le sens de la rigueur et de l’exigence, s’inquiétait de l’usage que je faisais de l’argent gagné. « T’as investi ? me demandait-il. T’as construit quelque chose ? »  »  » Ici, répète à l’époque le goleador à ses cadets de couleur, nous, les « blacks », devons en faire dix fois plus que les autres pour réussir.  »

 » Weah est la fierté de l’Afrique « , confie Nelson Mandela lors de sa rencontre avec le Libérien, en 1997. © J. NGWENYA/REUTERS

Le serial buteur est aussi multimécène. Coach, capitaine et trésorier de la Lone Star, qu’il équipe et materne avec l’aide de Michel Denisot, alors président du PSG, Weah règle les billets d’avion, apure la dette de la Fédération libérienne et finance les stages de préparation en Côte d’Ivoire, où il a un temps trouvé refuge quand son pays ployait sous la loi des soudards. Mieux, il lui arrive de payer les traitements des fonctionnaires de l’ambassade du Liberia à Paris, en perdition, voire de leur fournir voiture et carburant. Décèle-t-on déjà chez le bienfaiteur les prémices d’un engagement politique ?  » George s’y préparait, avance l’ancien gardien Bernard Lama, joint en son fief de Cayenne. La plongée dans l’abîme de son pays le hantait.  » Entre le Libérien et le Guyanais, le courant passe.  » Etant l’un et l’autre des combattants de l’émancipation, nous parlions de tout, et beaucoup d’Afrique, poursuit Lama. Comment rendre ses richesses accessibles aux plus démunis ? Comment faire reculer l’injustice ?  »

Peut-être en s’aventurant dans l’arène électorale. Le prétendant Weah n’en est pas à son coup d’essai. Lors de la présidentielle de 2005, il vire en tête au premier tour, mais s’incline – de mauvaise grâce – au second, devancé par Ellen Johnson Sirleaf, politicienne aguerrie passée par Harvard, l’ONU ou la Banque mondiale, et couvée par l’Occident comme par les Excellences africaines. Lesquelles persuadent le recalé de ravaler son dépit au nom de cette cause sacrée : la survie d’une paix précaire.  » Tu es jeune, lui susurrent-ils, ton tour viendra…  » Aurait-on, fraude à l’appui, volé son sceptre au roi George ? Probable. Lui, en tout cas, n’en démord pas. Six ans plus tard sonne l’heure du match retour. A une nuance près : cette fois, le Ballon d’or 1995 s’efface au profit d’un baron de l’establishment, se bornant à convoiter la vice-présidence. Nouveau revers : gratifiée d’un prix Nobel de la paix quatre jours avant le scrutin,  » Mum Ellen  » décroche un nouveau bail. George, lui, hérite d’un lot de consolation.  » Ambassadeur de bonne volonté  » de l’Unicef depuis 1997, le voilà promu, en 2012,  » ambassadeur de la paix  » dans la mère patrie. Statut auquel il renonce deux ans plus tard pour briguer un fauteuil de sénateur dans le comté de Montserrado, le plus peuplé du pays. A la clé, un triomphe, et une cinglante revanche : Weah rafle 78 % des suffrages, atomisant au passage l’un des fils de la nobélisée.

Las ! rien n’y fait. Ni cette onction des urnes, ni la fortune arrondie par ses investissements dans la pierre, la restauration ou les médias, ni le patrimoine immobilier dispersé entre Miami et la vieille Europe, ni les écoles surgies du néant, ni les bourses accordées aux élèves sans-le-sou, ni l’oeuvre de fondations vouées à réinsérer d’anciens enfants soldats. Ni même les diplômes de management glanés sur le tard – en 2011 – sur le campus de Fort Lauderdale (Floride) de la DeVry University, institution privée de seconde zone. George Weah demeure, aux yeux d’une élite méprisante, un  » footeux  » un peu rustre à l’anglais rugueux et au cursus académique insignifiant, un self-made-man à jamais dépourvu de l’étoffe des hommes d’Etat, un intrus disqualifié au regard de la loi pour avoir acquis dans le passé les nationalités française puis américaine… Ce qui ne dispense pas le vice-président sortant Joseph Boakai, rival n° 1 de Mister George, de solliciter l’adoubement d’anciennes gloires du ballon rond, priées de flétrir l’immaturité et l’inexpérience de l’avant-centre naguère vénéré. Pour un peu, on en oublierait que le Liberia doit aussi à ses patriciens bardés de doctorats made in USA d’avoir sombré dans l’abîme.

En trois saisons, il inscrira 55 buts sous le maillot du PSG (ici, en 1995, au Parc des Princes).
En trois saisons, il inscrira 55 buts sous le maillot du PSG (ici, en 1995, au Parc des Princes).© FEP PANORAMIC

Ingérable

Loin de courber l’échine, Weah riposte, griffe et cogne. Sûr de son étoile et de ses talents, il se met en scène à la troisième personne avec un mélange déroutant de sincérité, de candeur et d’arrogance. De là à dissiper les doutes… Citons les faiblesses patentes de son programme embryonnaire, catalogue de voeux pieux dictés par la faillite d’un Liberia rongé par la corruption, où tout reste à bâtir ou à rebâtir sur les fronts de la santé, de l’éducation et des infrastructures. De même, sa stratégie électorale, au mieux erratique, a de quoi intriguer. Mais il y a plus préoccupant : l’entourage du champion de la CDC. Que Weah choisisse pour colistière, par calcul tactique, la très  » réac  » Jewel Howard-Taylor, initiée comme lui à la franc-maçonnerie et ex-épouse de Charles Taylor, passe encore ; après tout, ce caïd milicien, parvenu au pouvoir en 1995 à la pointe du fusil d’assaut, puis condamné voilà cinq ans par un tribunal ad hoc à un demi-siècle de détention pour les horreurs commises par ses séides dans la Sierra Leone voisine, jouit encore d’une robuste assise populaire. Mais fallait-il vraiment que le Ballon d’or délègue de fait la conduite logistique de sa campagne au sulfureux affairiste ivoirien Ousmane Bamba, assez avisé pour avoir, aux dires d’un témoin privilégié,  » injecté beaucoup de fric  » ?

 » George a changé, confie un intime. Il a bossé et appris de ses échecs. Mais il reste ingérable, jusqu’à annuler in extremis un rendez-vous laborieusement calé. Son drame, c’est de ne pas savoir – ou de ne pas vouloir – faire le tri dans la mêlée des vrais amis, des vieux potes, des parasites et des margoulins qui naviguent autour de lui.  »

Chaque vendredi que Dieu fait, George prie dans la chapelle privée de sa résidence du quartier de Paynesville. Le samedi et le dimanche matin, il sacrifie, au sein d’une équipe de vétérans, à un autre culte : celui, intact et impérieux, de Sa Majesté Football. Mais, en cet automne noyé de pluie, Weah l’alchimiste doit encore changer en voix de papier les clameurs éteintes des stades. Le but de sa vie ?

De notre envoyé spécial, Vincent Hugeux.

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