Joseph Kabila © Dino

Comment les oligarques africains pillent leurs propres pays

Les Panama Papers ont prouvé que de nombreux politiques africains et leur famille possèdent des comptes en banque offshore. Mais comment transfèrent-ils l’argent là-bas ? Une équipe transnationale de reporters de différents pays africains a enquêté sur ces pillages. Knack publie un aperçu de leurs résultats.

Kinshasa, RDC

Officiellement, la République démocratique du Congo adopte une politique de « tolérance zéro » contre la corruption. Elle dispose d’un conseiller présidentiel anticorruption et d’un Observatoire de Surveillance de la Corruption et de l’Ethique Professionnelle (OSCEP) financé par la France et les Nations-Unies qui possèdent des bureaux spacieux à Kinshasa.

Cependant, il semble difficile de découvrir effectivement de la corruption. « J’ai été au Panama et je n’y ai pas trouvé ce nom », déclare le professeur Saint Augustin Mwenda Mbali, le directeur-général de OSCEP quand on l’interroge sur les activités offshore de la soeur jumelle du président Joseph Kabila, Jaynet. « Nous devons nous méfier de fausses accusations. »

Madame Jaynet a effectivement fondé la société offshore sous le nom de partenaires d’affaires et non sous son propre nom. En ce moment, ses affaires minières font l’objet d’une enquête du UK Serious Fraud Office et l’Ontario Securities Commission au Canada.

Son nom figure à plus de deux cent reprises dans les Panama Papers. Mbali hoche la tête. « Certainement, il s’agit de ces navires qui quittent nos ports avec dix tonnes de minéraux, alors qu’ils ne déclarent que quatre tonnes », dit-il. « Mais les enquêtes prennent du temps. »

Quand nous citons encore plus d’exemples, il demande si on peut « apporter des preuves » et de préférence des fonds, « car les enquêtes coûtent cher. »

Les richesses accumulées par la famille Kabila et ses partenaires d’affaires et amis grâce à leur influence politique, ont été plusieurs fois décrites publiquement, mais que l’OSCEP ait du mal à trouver des preuves dans le pays n’est peut-être pas étonnant.

L’administration de l’état congolais est un marais opaque. Les politiques ne sont pas tenus de déclarer leurs possessions et leurs intérêts. Les fonctionnaires d’état ne sont pratiquement jamais jugés sur les budgets qu’ils traitent. Les données d’exports sont gardées dans des livres écrits à la main jamais comparés à d’autres livres écrits à la main.

Les leaders politiques et les bureaucrates opèrent dans un système de faveurs personnelles qui, après réception, doivent être remboursées.

En conséquence, chaque année 15 milliards de dollars sortent illégalement du pays selon le conseiller anticorruption Luzolo Bambi: un montant comparé auquel les sept milliards du compte suisse de Mobotu paraissent assez ternes.

Du coup, il ne reste que cinq à six milliards de dollars par an pour le budget officiel de l’état, dont il ne reste, après le paiement d’une couche supérieure de fonctionnaires et de leurs bureaux, conférences et voyages d’affaires, pratiquement rien pour le service public alors qu’en RDC près de la moitié des enfants sont trop petits et trop maigres pour leur âge.

Montepuez, Mozambique

À Namanhumbir, le lieu principal de la région de Montepuez au nord du Mozambique, les chemins de sable sont déserts. Les gens ne mettent le nez dehors que quand ils ne peuvent être vus par les milices qui bloquent les voies d’accès aux champs de rubis. Ces cinq dernières années, les habitants ont trop souvent été frappés, violés, volés ou chassés violemment de leurs maisons par les unités de police ou de sécurité.

En 2012, l’entreprise minière MRM Gemfields – récemment absorbée par Pallinghurst – a obtenu sa licence des mains du général Raimundo Pachinuapa, un influent général du nord, membre éminent du parti pro-gouvernemental FRELIMO et propriétaire d’un quart de MRM. Il possède également un quart de deux autres entreprises dans la région.

Au nord du Mozambique, les attaques violentes ne sont pas une exception. Si dans le passé, elles étaient souvent commises par des groupes d’opposition, aujourd’hui les extrémistes musulmans locaux commettraient des violences.

Un homme qui possède autant d’influence locale et nationale que Pachinuapa pourrait protéger les gens du nord, certainement s’il est aidé par ses collègues-généraux et hommes politiques. Cependant, ils possèdent tous des licences d’exploitation minières à Montepuez et cela semble compromettre cette idée.

D’après l’administratrice du district Etelvina Fevereiro, le gouvernement de Mozambique s’attend à ce que les exploitations minières à Montepuez apportent « des impôts et la prospérité ». Du coup, Fevereiro et ses collègues censées maintenir l’ordre se tiennent strictement à la politique visant à chasser les mineurs artisanaux – qui tout comme les étrangers illégaux partent à la recherche de rubis.

Mais quand on lui demande quand les gens verront-ils enfin les effets de l’argent du contribuable dans cette région très pauvre, Fevereiro déclare uniquement qu’elle est en train de fonder une commission « pour étudier la question ». Elle ignore où se trouvent les royalties. « Il faut demander cela au département financier de la province. »

Le partenaire de majorité de MRM Gemfields, le géant international de pierres précieuses Gemfields à Londres déclare que jusqu’à présent il a payé – outre l’impôt sur les sociétés ordinaires – 29 millions de dollars au Mozambique. C’est dix pour cent de la vente totale de rubis par Gemfields d’une valeur de 288 millions de dollars depuis 2012.

L’État de Mozambique aurait dû payer un peu plus d’un quart de cette somme, 7 millions de dollars, à la province de Cabo Delgado où est situé Montepuez. Une règle stipule en effet que les régions qui abritent des exploitations minières doivent aussi en profiter.

« Effectivement, on nous paie chaque année 2,75% de la somme totale des royalties », confirme le directeur financier provincial Fernando Djange quand nous lui parlons à Pemba, la capitale de Cabo Delgado. Cependant, dans la comptabilité provinciale, nous ne rencontrons qu’un paiement de MRM Gemfields depuis 2012, réalisé en 2016 : six millions de Meticais mozambicains, l’équivalent de 100 000 dollars.

Malgré l’allégation de Djange que « l’argent doit être quelque part au département finances », nous ne saurons pas où il se trouve exactement.

Lomé, Togo

Les phosphates du Togo en Afrique de l’Ouest, une matière cruciale pour l’agriculture dans le monde entier, sont si importants pour le pays que la nationalisation des mines de phosphates en 1974 est commémorée comme la « libération économique » du peuple togolais. Cependant, la nationalisation n’a pas fait grand-chose pour les employés dans les mines de phosphates.

« Nous gagnons 117 dollars par mois et ne bénéficions pas de soins médicaux », déclare un employé de la mine de Kpémé à l’ouest de la capitale du Togo Lomé. « Les collègues décèdent quelques heures après leur hospitalisation. Cela n’aurait pas lieu si nous avions régulièrement des check up. » L’exploitation minière de phosphate s’accompagne de risques pour la santé, dont un risque accru de cancer suite à l’inhalation de traces de métaux lourds.

Cependant, les phosphates du Togo ont enrichi la famille indienne de transporteurs Gupta. Les Gupta flairent les bonnes affaires. Leur entreprise – aujourd’hui Kalyan, avant Getax – fait l’objet d’une enquête de la Police fédérale australienne pour corruption de dirigeants de gouvernement sur l’île de Nauru en 2008. En échange de pots-de-vin, disent les accusations, les hommes politiques ont distribué les provisions de phosphates du pays pour un dixième de prix : 43 dollars par tonne, alors que cette année-là, le prix du marché s’élevait à 400 dollars par tonne.

Getax/Kaylan nie ces accusations, mais selon les données de vente de la Société Nouvelle des Phosphates du Togo, en 2015 aussi, les Gupta payaient en dessous de la valeur du marché. Les statistiques d’importation et d’exportation des Nations-Unies au cours de la même année démontrent que ce sont surtout les importateurs australiens tels que Getax qui en profitent : celui qui achetait des phosphates d’autres pays payait 166 dollars la tonne, alors que les phosphates togolais étaient achetés 100 dollars la tonne. Pratiquement tous les phosphates du Toto sont achetés par Getax/Kalyan.

La Police australienne fédérale communique que l’enquête pour corruption contre Getax/Kalyan est toujours en cours.

Kalyan n’a pas d’adresse e-mail sur son site où on peut le contacter; il n’y a qu’un numéro de téléphone du bureau à Dubaï. La personne qui prend l’appel nous envoie d’un endroit à l’autre.

À trois reprises, on nous demande ‘what is this all about?’. Notre demande d’adresse e-mail suscite l’étonnement : finalement on nous dit qu’on va nous rappeler. Il y a six semaines de cela, et nous n’avons toujours pas reçu d’appel.

Bujumbura, Burundi

Quand après treize ans de guerre civile, un nouveau gouvernement a accédé au pouvoir en 2013, les nouveaux leaders ont promis une bonne gouvernance et ils ont réellement essayé. Ils ont développé un système d’impôts et des services administratifs. Le PIB de ce pays très pauvre a augmenté. Cependant, les réseaux de ceux – dont un ancien général, ses amis criminels et ses disciples militaires et son président parfois rival, parfois allié Nkurunziza – se sont révélés difficiles à battre.

Gabriel Rufyiri, le président de l’Observatoire de la lutte contre la corruption et les malversations économiques à Bujumbura, a écrit à d’innombrables reprises à « Son Excellence le président ». Pourquoi en mai dernier, toute la réserve de dollars du Burundi a-t-elle été payée à une société d’essence particulière ? Pourquoi les hommes d’affaires non favoris sont-ils continuellement lésés, de sorte que des entreprises qui affichaient de bons résultats ne fonctionnent plus qu’à dix ou trente pour cent de leur capacité ? Les Burundais connaissent la réponse : Nkurunziza n’est pas connu pour rien comme « ‘actionnaire ». Il y a des raisons pour lesquelles il se cramponne fanatiquement à son troisième mandat, qu’il use de violence contre des dissidents, et ne répond jamais aux lettres de Rufiyiri. « Nous avons présenté le dossier sur l’essence au procureur public, soupire Rufyiri. « Mais il a été déclaré ‘sans suite’. »

Johannesburg, Afrique du Sud

« Cela ne va plus durer longtemps », déclare le spécialiste en corruption Themba Mabuyane*. « L’empire Zupta vit ses derniers jours. » Il indique que le mouvement de protestation contre le président Jacob Zuma et ses amis qui font partir de l’argent, la famille indienne Gupta **, grandissent et que le pouvoir judiciaire, les médias, les organisations sociales et le secteur privé luttent ensemble pour une bonne gouvernance. Mabuyane pense que c’est grâce aux journalistes d’investigation sud-africains qu’il y a eu des démarches internationales contre la maffia Gupta. « À présent, la Banque indienne de Baroda a fermé les comptes Gupta. Et même leur entreprise de RP, Bell Pottinger, et leurs comptables KPMG et consultants (McKinsey, NDLR) les ont laissés tomber. »

Si comme le déclare Mabuyane, la pression internationale est si efficace, cela ouvre des perspectives pour les autres pays de notre rapport. Les actions du UK Serious Fraud Office contre Dan Gertler pourraient-elles contribuer à miner le réseau Kabila en RDC ? Des démarches semblables contre les Gupta du Togo, les partenaires de rubis de l’élite à Mozambique et les entreprises préférées du président du Burundi pourraient-elles se révéler utiles pour les forces de bonne gouvernance dans ces pays ?

Nos constatations ne sont pas isolées. D’autres études ont démontré récemment comment les élites dans les pays africains sont devenues des images miroirs d’anciens pilleurs coloniaux. En constatant de gros trous dans le revêtement de l’un des quartiers les plus riches de Kinshasa, l’un de nous s’est étonné que les riches ne semblent même pas se soucier de leurs propres rues, on lui a répondu : « Ces maisons sont à eux, mais ils ne vivent pas ici. Ils habitent en France. »

Cet article a été écrit par Maxime Domegni (Togo), Francis Mbala et Eric Mwamba (République démocratique du Congo), Estacio Valoi (Mozambique), Lawrence Seretse (Botswana), Alois Muvunyi* (Burundi et Rwanda), et Evelyn Groenink (Afrique du Sud et rédaction définitive).

* noms changés à la demande

** Nous étudions encore si les Guptas du Togo et d’Afrique du Sud sont apparentés.

Toutes les personnes, entreprises et instances citées ont été abordées pour commenter à l’exception des présidents de la République démocratique du Congo et du Burundi, dont les gouvernements ne mentionnent pas de données de contact sur leurs sites web. Pour le Mozambique, nous avons également demandé des commentaires au parti du gouvernement Frelimo et aux départements ministériels concernés. Hormis les réactions citées dans le rapport, nous n’en avons pas reçu.

L’interview de Mabuyane remplace un chapitre plus grand sur l’Afrique du Sud dans le rapport complet rédigé par l’African Investigative Publishing Collective en collaboration avec Africa Uncensored et ZAM.

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