Myriam Leroy

C’est le moment de…(re)voir « La haine »

Myriam Leroy Journaliste, chroniqueuse, écrivain

L’affaire Adama Traoré, du nom de ce jeune homme mort dans des circonstances floues dans une gendarmerie de la région parisienne, nous invite à nous interroger sur les pratiques policières (de plus en plus dénoncées) plus que borderline. Le film de Mathieu Kassovitz, mêlant drame et humour, évoquait déjà le phénomène, il y a plus de 20 ans.

Dans la version française de Vaiana, le tout dernier Disney, quand le personnage de demi-dieu Maui s’élance dans les entrailles de la montagne, il crie en direction de la jeune héroïne – qui hésite à le suivre dans sa chute libre – un rigolo : « Jusqu’ici tout va bien !  » Clin d’oeil à une réplique mythique (et pas drôle du tout) de La Haine de Mathieu Kassovitz, délivrée en forme de parabole par Hubert à Vinz :

 » C’est l’histoire d’un homme qui tombe d’un immeuble de cinquante étages. Le mec, au fur et à mesure de sa chute, il se répète sans cesse pour se rassurer : jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien. Mais l’important c’est pas la chute, c’est l’atterrissage.  »

Allégorie du crash qu’on avait fait semblant de ne pas voir venir, métaphore de la tête dans le sable. Psalmodiée plusieurs fois au long du film, la fable le clôture en modifiant sa prémisse :  » C’est l’histoire d’une société qui tombe…  » Ultime uppercut d’un long-métrage qui, en plus de vingt ans (il est sorti en 1995), n’a rien perdu de sa force de frappe, que du contraire.

Dernier reminder en date : le dossier Traoré, du nom de ce jeune homme de 24 ans mort à la gendarmerie de Persan (Val-d’Oise) dans des circonstances opaques sur lesquelles sa famille interpelle – mais en vain – les autorités.

Quand on n’a jamais eu affaire aux muscles des forces de l’ordre (en gros, quand on est Blanc et pas trop remuant), il est difficile de comprendre cet échange entre un policier et le jeune black Hubert dans La Haine :  » La majorité des flics dans la rue ils sont pas là pour vous taper, ils sont là pour vous protéger !  »  » Ah ouais ? Et qui nous protège de vous ?  »

Reflet fidèle de la réalité ou fiction antiflic primaire ? Amnesty (entre autres organisations) dénonce en tout cas depuis longtemps des pratiques policières plus que borderline. La violence officielle n’a pas toujours raison.

La Haine braque la focale sur ce  » dialogue  » permanent entre la police et les jeunes des quartiers, qui montre des flics ne se distinguant des voyous que par leur permis de port d’armes.

Le film débute au lendemain d’une nuit d’émeutes à la cité des Muguets, alors qu’Abdel est entre la vie et la mort à la suite d’une altercation avec un inspecteur. On suit la journée de trois de ses amis, Hubert, Vinz et Saïd, dont les heures s’égrènent sur l’écran au son du tic-tac d’une bombe. La situation est explosive, en effet, même si les punchlines à la mitraillette et l’humour ravageur de ces pieds nickelés laissent à croire que tout pourrait finir dans un grand éclat de rire.

Oscillant entre comédie et drame, entre critique sociale acide et poétisation de la zer-mi par son esthétique stylée (un noir et blanc sublime), La Haine est devenu le film culte de toute une génération, tous milieux confondus. Génération qui a depuis souvent rangé ses Nike Air Max mais connaît encore par coeur ses répliques géniales et reste hantée par ses scènes oniriques (cette vache qui apparaît et disparaît, ce break dancer qui joue les derviches tourneurs sur la tête alors que les sirènes retentissent, DJ Cut Killer qui abreuve la cour de la cité de ses sons comme d’une pluie bienfaisante)…

Génération qui se prépare à l’atterrissage.

La Haine, Mathieu Kassovitz, 1995. Avec Vincent Cassel, Saïd Taghmaoui, Hubert Koundé.

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