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Bientôt plus de chocolat dans les oeufs de Pâques ?

Muriel Lefevre

Le chocolat pourrait bientôt devenir un produit de luxe. La production de cacao est lourdement touchée par un virus et le réchauffement climatique.

Bien que le cacaoyer provienne d’Amérique latine, la grande majorité du cacao est aujourd’hui produite en Côte d’Ivoire et au Ghana. Or, ces deux pays sont durement frappés par un virus à diffusion lente transmis par une cochenille contre lequel il n’existe aucune parade et qui détruit une bonne partie des arbres à cacao. Le « virus de la pousse de cacao gonflée » ou CSSV (abréviation de Cacao swollen-shoot virus) y fait des ravages. L’arbre meurt quelques années après avoir été infecté et sert alors de « nids » à cochenilles qui infectent à leur tour d’autres arbres.

« En Afrique de l’Ouest, on estime que 15% des plantations de cacao sont contaminées par le CSSV », explique Timothy McCoy de la World Cocoa Foundation (WCF) dans De Morgen.

Sauf que si le virus inquiète, son effet dévastateur est encore renforcé par le changement climatique. Ce dernier fait que certaines régions sont devenues trop chaudes et trop sèches pour cultiver du cacao. La culture du cacao demande en effet un équilibre subtil entre humidité (80 %) et chaleur (autour de 28 °C). Le marché mondial de la production du cacao se limite donc à une cinquantaine pays, dont treize concentrent à eux seuls plus de 95 % de la production mondiale, qui produisent 4,5 millions de tonnes par an. On estime que l’Afrique de l’Ouest produit à elle seule plus des deux tiers du cacao mondial. Or on estime qu’il y a, en Côte d’Ivoire et au Ghana, 40 % de terres convenant aux cultures de cacaoyers en moins qu’il y a 40 ans. « On est encore au début du chemin pour comprendre comment adapter la cacao-culture au changement climatique, il faut régler la question de l’eau, celle de l’ombrage, mais les questions à résoudre sont différentes selon les zones » souligne M. Broun directeur du centre de recherche Nestlé. La Côte d’Ivoire compte elle beaucoup sur le nouveau plant Mercedes, fruit de 15 ans de recherches, pour assurer la production.

Déforestation

Les engagements pris par la Côte d’Ivoire en 2014 « d’aboutir à un cacao zéro déforestation » impliquent un « changement de comportement de tous les acteurs de la filière », avait averti fin 2017 l’ambassadeur ivoirien Charles Gomis: planteurs, agronomes, industriels, distributeurs, jusqu’aux associations de consommateurs, et même les États. Pour son pays, qui compte plus de 800.000 planteurs, le cacao est stratégique: il pèse 15% du PIB ivoirien et 40% des recettes export du pays. Un quart de la population dépend des cabosses de cacao, a-t-il dit. S’ils admettent les ravages de la déforestation due à la cacao-culture, dénoncée début septembre par l’ONG Mighty Earth, ils estiment que « le paroxysme a été atteint durant la deuxième moitié du XXe siècle ». Leur premier objectif dès lors est de renouveler les plantations plutôt que de les étendre en défrichant la forêt, alors qu’il ne reste plus que « 3,4 millions d’hectares de forêt en Côte d’Ivoire contre 16 millions en 1960 ». Dans plusieurs pays comme le Cameroun, le Ghana ou la Côte d’Ivoire, beaucoup d’arbres ont été plantés il y a plus de 40 ans, or ils atteignent leur pic de production à 20-25 ans, relève le document. « Actuellement, 70 à 80% de la production vient de 20 à 30% des arbres », souligne Pierre Broun, directeur du centre de recherche Nestlé de Tours (France), qui travaillent sur l’élaboration génétique de plants de cacao non-OGM, résistants à la sécheresse et aux maladies.

Bientôt un produit de luxe réservé à une élite ?

Dès 2013 , on annonçait la mort du chocolat pour 2020. Une étude plus optimiste publiée début janvier 2016 dans le National Oceanic and Atmospheric Administration annonçait elle sa fin pour 2050. Quoi qu’il en soit, « il y a un réel risque de pénurie », confirme Christian Cilas, agronome au Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) dans Le Parisien.

Selon le rapport « La Face cachée du chocolat », « la consommation de chocolat augmente globalement deux fois plus vite que la production de cacao ». En effet en même temps que l’offre en cacao baisse, la demande en chocolat augmente ( + 7 % en 2016, selon l’Organisation internationale du cacao). Si l’Europe reste largement en tête du marché, l’Asie grappille petit à petit du terrain. En Chine, où on ne consommaient en moyenne que 40 grammes par personne par an en 2010, on a vu la demande bondir de 75% en cinq ans. En Inde aussi la demande a augmenté de 60%. Au vu des immenses marchés que sont ces deux pays, une telle hausse n’a rien d’anecdotique et provoque des secousses de prix sur le marché mondial du cacao.

Avec un effet à court terme pervers puisque devant la crainte d’une pénurie, on surproduit en ce moment du cacao. Du coup, on se retrouve face à des stocks importants qui peuvent faire plonger la valeur de ce qu’on appelle parfois l’or brun. Mais cette baisse annonce probablement une hausse à venir.

Standardisation versus délicatesse

Pierre Marcolini explique dans Paris Match que ce qui menace aujourd’hui le marché du cacao, c’est que les planteurs de cacaoyers ne sont pas payés à leur juste valeur . De quoi décourager les jeunes et accélérer la perte d’un savoir ancestral qui permettait d’obtenir des grands crus de cacao. Les grands groupes industriels instaurent en effet de plus en plus des plantations hybrides qui produisent beaucoup de cacao, mais avec un goût standardisé. L’avenir du vrai bon chocolat passera donc par une certaine parcimonie. On en mangera moins, mais de meilleure qualité. À côté des chocolats classiques et vendus en masse, vont se développer davantage des « chocolat-délicatesses » qui se dégusteraient comme un bon vin.

Le saviez-vous ?

Les anciens peuples mésoaméricains considéraient le cacao comme un cadeau des Dieux. À l’occasion de cérémonies religieuses, ils consommaient du « xocoatl », une boisson rituelle à base de fèves de cacao grillées et moulues. Ce n’est que plus tard, lors de l’introduction sur le marché européen, qu’on y ajouta du sucre et que naquit le précurseur du chocolat actuel. Les fèves de cacao en constituent toujours la base. Après la récolte, elles sont fermentées, séchées, avant d’être torréfiées et broyées, jusqu’à former une pâte de cacao liquide dont on extrait le beurre de cacao. La croute sèche restante est moulue en poudre de cacao. Cette poudre forme avec le beurre de cacao et le sucre les composants de base du chocolat. On y ajoute éventuellement d’autres ingrédients tels que de la poudre de lait, des noix, des fruits ou des aromatisants. Plus la teneur en poudre de cacao est élevée, plus le chocolat sera noir et amer.

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