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Autriche: le sans-faute de Sebastian « Wunderwuzzi » Kurz

Muriel Lefevre

Ce jeune Autrichien semble encore plus pressé que Macron. Cet enfant prodige (wunderwuzzi) de la politique autrichienne réalise un sans-faute avec une communication parfaitement maîtrisée et une image des plus léchées. Larguant au passage les observateurs qui hésitent entre admiration et ironie.

Grand, costume ajusté et les cheveux châtain clair invariablement coiffés en arrière, Sebastian Kurz est la star montante de la politique autrichienne, promis à tous les succès. Celui que certains appellent aussi le magicien n’a pas la patience comme principale des vertus. Né le 2 août 1986 à Vienne d’un père technicien et d’une mère enseignante il était déjà actif en politique à 10 ans. Cet ancien patron de la puissante organisation de jeunesse de l’ÖVP, qu’il rejoint dès ses 16 ans, est nommé secrétaire d’Etat à 24 ans, avant même d’avoir achevé son cursus de droit. Un cursus qu’il finira par abandonner. Ce n’est là qu’une première étape dans un déjà un long parcours politique.

Depuis 2013, il est le plus jeune ministre des Affaires étrangères d’Europe. Dans ses fonctions, il s’est forgé une stature d’homme d’Etat en côtoyant ses grands homologues internationaux, notamment lors des négociations sur le nucléaire iranien à Vienne en 2015. Une ambiance loin de ses faux-pas de débutant, comme lorsqu’il distribuait, au volant d’un 4 × 4 de luxe avec des filles en tenue moulante, des préservatifs noirs (l’ancienne couleur de l’ÖVP) pour vanter le côté « excitant » du parti. Il est aussi, à l’automne 2015, un des premiers ténors européens à critiquer la politique d’accueil de la chancelière allemande Angela Merkel, prônant – et obtenant – la fermeture de la route des Balkans. « Nous avons eu raison de fermer la route des Balkans et je me battrai pour que l’axe méditerranéen soit fermé aussi », a-t-il répété tout au long de sa campagne. Sa fonction régalienne lui a toutefois aussi permis d’éviter de mettre les mains dans le cambouis de la gouvernance quotidienne, selon ses détracteurs, qui ont à plusieurs reprises critiqué le « flou » de son programme.

L’avènement de celui qu’une presse autrichienne a qualifié de « Kaiser » n’est pas sans rappeler Jörg Haider, le flamboyant leader d’extrême droite mort dans un accident de voiture en 2008. Arrivé à la tête d’un FPÖ moribond, celui-ci en avait fait le deuxième parti du pays, lui permettant d’intégrer un gouvernement conservateur en 2000, tollé européen à la clé. Si le politologue français Patrick Moreau n’hésite pas à qualifier le jeune dirigeant de « Haider light », M. Kurz n’en reste pas moins un partisan affiché du maintien de l’Autriche dans l’UE et n’a jamais été impliqué dans aucun dérapage raciste

Propulsé à la tête de son parti, rupture de style

Kurz était déjà au gouvernement depuis six ans, lorsqu’il a pris le contrôle d’un parti conservateur (ÖVP) en crise et réclamé des élections anticipées. A bout de souffle après dix années comme partenaire minoritaire de coalition de la gauche, cette vénérable formation, pilier de la politique autrichienne depuis la guerre, s’était en effet offerte en mai à ce grand jeune homme au visage adolescent et à la popularité insolente. Le ton toujours posé, M. Kurz mettra, dans la foulée, fin à la coalition formée avec les sociaux-démocrates du chancelier Christian Kern, de vingt ans son aîné, provoquant ce scrutin anticipé. Un « putsch » qui aura balayé dix ans de grande coalition droite-gauche à Vienne.

A la différence de Macron, porté à la présidence par un mouvement qu’il avait créé de toutes pièces, Sebastian Kurz a refaçonné à sa main une formation existante, lui imposant une nouvelle couleur (le turquoise pâle) et l’appellation « Liste Kurz ».

Entre admiration et ironie

Les commentateurs sont partagés entre admiration et ironie envers ce « Messie » qui se targue d’avoir fermé la route des Balkans aux migrants, revendique ses bonnes relations avec le Premier ministre Hongrois Viktor Orban, promet d’importantes baisses de charges fiscales. « Avec sa jeunesse, ses choix stratégiques et sa manière de communiquer, il a surpris tout le monde » commente Patrick Moreau, qui mène des recherches au CNRS sur les pays de langue allemande dans le Figaro. « C’est le même phénomène qu’Emmanuel Macron, mais inscrit dans l’histoire autrichienne. »

La « Kurzmania » s’est illustrée tout au long de la campagne par la ferveur entourant ses meetings et les longues séances de selfies avec des militants de tous âges. « C’est lui, rien que lui, la façon dont il aborde les choses est captivante. Il a ouvert le parti à la société civile », témoigne Michael Brandstetter, un jeune supporter conquis. Werner Schwab, 64 ans, apprécie son « calme et sa discipline ».

Celui qui apparaît le plus souvent en col de chemise ouvert, y compris lors d’une investiture, a renvoyé les conventions au placard. A une Autriche prospère, mais insécurisée par la crise migratoire, il a offert une image de modernité et un discours de fermeté sur l’immigration. Pour atteindre la Chancellerie, il a constitué son propre mouvement baptisé « Liste Kurz ». La traditionnelle couleur noire a cédé la place au bleu turquoise sur les affiches de campagne.

Pendant la campagne, il a multiplié les plateaux télé, tenant tête sans jamais perdre son sang-froid à ses principaux rivaux, le leader d’extrême droite Heinz-Christian Strache (FPÖ) et le chancelier social-démocrate Christian Kern, de 17 et 20 ans ses aînés.

Autre coup de maître, malgré le fait qu’il occupe un poste de ministre depuis six ans, il a tout de même a réussi à s’imposer comme la figure du renouveau en Autriche et s’apprête, à 31 ans, à devenir le plus jeune dirigeant européen, devant le Premier ministre irlandais Leo Varadkar (38 ans) et le président français Emmanuel Macron (39 ans). Quitte à s’allier à l’extrême droite. Car une coalition de M. Kurz avec la formation d’extrême droite FPÖ est considérée comme scénario le plus probable à l’issue du scrutin, leurs positions s’étant rapprochées au point que le FPÖ a accusé le candidat conservateur de « plagier » son programme.

« J’accepte ces nouvelles responsabilités avec beaucoup d’humilité », s’est pour sa part contenter de dire celui qui va être chargé de former le prochain gouvernement autrichien.

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