© Denis ALLARD-POOL/SIPA

À quoi ressemble la vie quotidienne à l’Elysée sous Macron ?

Le Vif

Communication verrouillée, méthodes de travail de type managérial, conseillers triés sur le volet… : le coeur du pouvoir français a aussi vécu la révolution Macron.

Le 6 juillet, Emmanuel Macron déjeune avec son équipe. Une réunion hebdomadaire pour balayer les rendez-vous à moyen terme. Autour de la table, Alexis Kohler, secrétaire général, et son adjointe, Anne de Bayser ; Patrick Strzoda, directeur de cabinet ; Ismaël Emelien, conseiller spécial ; Sylvain Fort, chargé des discours ; Barbara Frugier et Sibeth Ndiaye, conseillères communication et presse ; Philippe Etienne, conseiller diplomatique, et quelques autres, dont Valérie Lelonge, secrétaire particulière du président. Ce jour-là, Stéphane Séjourné, conseiller politique, s’est glissé parmi les convives.

Le mardi et le vendredi à 9 heures, le même groupe, sans le chef de l’Etat cette fois, fait le point sur l’agenda de la semaine. Lequel ne ressemble ni à un joli carnet en papier vélin doré sur tranche ni à une appli sécurisée inventée pour cet usage. Non, c’est tout simplement une liasse de feuilles grand format, à raison d’une page par semaine. Sur chaque page, une colonne par jour, et des couleurs pour distinguer les rendez-vous : gris pour ceux qui se tiennent à l’Elysée, bordeaux pour les déplacements à l’étranger, vert pour ceux qui ont lieu en France, jaune pour les entretiens téléphoniques, et orange pour les  » options  » (ce qui n’est pas encore clairement fixé). Le blanc, ce sont les moments où le président travaille seul.

C’est dans les cases jaunes que se glissent les coups de fil, fréquents, à Angela Merkel. Les deux dirigeants se parlent souvent, en anglais. Emmanuel Macron comprend bien l’allemand, pas assez pour tenir une conversation politique, suffisamment pour dire quelques mots dans la langue de Helmut Kohl, à la mémoire de l’ancien chancelier.

La feuille de papier reste secrète. L’agenda diffusé à la presse ne comporte qu’une petite partie des activités. La rencontre, le 5 juillet, entre le chef de l’Etat et Roland Castro n’y figure pas. L’architecte, frappé d’un coup de foudre pour Macron durant la campagne, est venu parler d’un sujet sérieux, le Grand Paris, que le président veut s’approprier.

Tous les quinze jours, Alexis Kohler tient une réunion de cabinet, toujours pendant un déplacement du président ; 45 personnes se retrouvent autour du secrétaire général. Le vendredi 30 juin, c’est le Salon Napoléon III, contigu à la salle des fêtes de l’Elysée, qui a accueilli les participants.

Kohler mène aussi des  » réunions d’impulsion  » – ça s’appelle comme ça – sur les sujets de calibre présidentiel, avec les directeurs de cabinet ministériel et les conseillers concernés. Par exemple, pour lancer la loi Travail ou celle sur la moralisation de la vie publique, pour le plan climat ou la création de la task force anti-Daech. Pour la préparation du G20 de Hambourg, en Allemagne, (les 7 et 8 juillet) ou celle de la conférence des territoires, le 17 juillet.

L’Elysée est une maison très organisée. Et silencieuse. Avant de se lancer dans la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait demandé à un ancien conseiller de Nicolas Sarkozy à l’Elysée :  » Quelles ont été les grandes erreurs commises à ton époque ?  » L’ex-collaborateur avait pointé une erreur majeure : ne pas avoir protégé des médias la fabrique de la décision politique. L’expérience du nouveau président auprès de François Hollande a nourri sa réflexion dans le même sens.

L’Elysée ne parle pas, mais communique beaucoup. Et n’entend pas se faire voler la première place. Lorsqu’est officialisée la mort de Simone Veil, le 30 juin, une instruction passe sur la messagerie privée Telegram qui relie tous les cabinets : aucun ministre ne doit s’exprimer avant le chef de l’Etat.

Le président français reçoit le leader syndicaliste Jean-Claude Mailly, de Force ouvrière, pour discuter réforme du Code du travail, le 23 mai dernier dans un salon de l'Elysée.
Le président français reçoit le leader syndicaliste Jean-Claude Mailly, de Force ouvrière, pour discuter réforme du Code du travail, le 23 mai dernier dans un salon de l’Elysée.© BLONDET/POOL/SIPA

Toujours en marche

L’Elysée ne communique pas sur la cuisine interne, sauf quand on le lui demande gentiment. Le 19 juin, Richard Ferrand s’apprête à abandonner son portefeuille ministériel pour se faire élire à la présidence du groupe de la République en marche à l’Assemblée nationale. Il fait partie des tout premiers à avoir cru en Emmanuel Macron. Alors, lorsqu’il souhaite, lorsqu’il insiste pour que ce soit la présidence, et non lui, qui laisse fuiter ce changement de poste, le cabinet du chef de l’Etat obtempère. Ainsi la couleuvre sera plus douce à avaler pour cet historique rattrapé par une affaire immobilière.

Le président ressemble beaucoup au candidat. Il est toujours en marche et déteste s’asseoir, même pour signer un document. Le 22 juin, il donne une première conférence de presse, à Bruxelles, lors du Conseil européen. Il a demandé qu’on lui installe un pupitre derrière lequel il se tient debout. Au même moment, dans une pièce voisine, Angela Merkel répond aux questions des journalistes, assise derrière une table. Le lendemain, pour leur conférence de presse commune, les deux seront debout, chacun à son pupitre. Angela fait plaisir à Emmanuel.

L’Elysée ne parle pas, mais communique beaucoup. Et n’entend pas se faire voler la première place

Comme le candidat, le président aime le désordre… apparent. Durant la campagne, quand il fait venir des experts sur les questions techniques, il bouscule très vite l’ordre du jour soigneusement préparé par son équipe. Il passe du coq à l’âne, désoriente ses interlocuteurs. Mais quand il doit intervenir publiquement sur ces mêmes sujets face à des professionnels du secteur, il restitue la matière première de manière cohérente. L’éponge a tout absorbé.

Le 6 juin, le chef de l’Etat français préside, à l’Elysée, une table ronde sur l’environnement, montée en urgence après la décision de Donald Trump de quitter l’accord de Paris. La réunion dure deux heures, le temps que chacun – les organisations n’ont droit qu’à un représentant – s’exprime. C’est Emmanuel Macron qui distribue la parole, sans logique perceptible selon les participants. Il prend lui-même des notes.  » Ça ressemble à des attitudes de manager. D’habitude, les politiques, et notamment les présidents, mettent de la distance. Là, on avait l’impression d’être à une réunion de travail « , note un participant.

Avant sa photo officielle, on n’avait presque jamais vu le président dans le saint des saints, le Salon doré. Il l’a réaménagé à sa manière : son bureau est désormais dos à la fenêtre (et non plus dos à la cheminée), le canapé a été retiré et, à la place, quatre fauteuils ont été disposés en carré. En temps normal, la télévision reste éteinte.

Souvent, le chef de l’Etat tient de petites réunions dans le Salon d’angle, celui de Valéry Giscard d’Estaing, très lumineux, moins guindé. Comme si Emmanuel Macron, après quatre années chez Rothschild, avait gardé cette pratique des banquiers d’affaires. Recevoir dans une salle totalement neutre pour que rien n’informe les visiteurs du secret de leurs affaires. Les chefs d’Etat étrangers, eux, ont droit à la solennité du Salon doré pour les face-à-face. Les délégations sont accueillies dans le Salon vert.

Mais, pour la photo, on repassera, ou plutôt on attendra : les clichés des rendez-vous  » figés  » dans un lieu  » compassé  » ne sont pas publiés. Ils sont directement envoyés aux archives. Le président, on le préfère en marche, évidemment. Et toujours dans le contrôle :  » Il est à la fois extrêmement présidentiel et capable d’un petit geste amical s’il passe derrière vous « , raconte un proche.  » Il nous demande toujours comment ça va « , ajoute un autre.

« Les Français élisent un roi et puis s’étonnent qu’il se comporte comme tel », analyse un diplomate étranger.© C. MORIN/BLOOMBERG/GETTY IMAGES

QI à l’Elysée

Les proches, les collaborateurs, les conseillers. Beaucoup ont fait la campagne, ça crée des liens. Un habitué de l’Elysée, sous Hollande et désormais sous Macron, remarque :  » François Hollande était entouré d’un ou deux conseillers qu’il connaissait bien et de gens dépêchés à l’Elysée par leurs corps respectifs. Il n’y avait ni cohérence ni cohésion, et cela convenait très bien au chef de l’Etat. Cette fois, une vraie équipe est aux manettes, qui a basculé du travail pour un candidat au travail pour un président. D’où un côté plus collectif, et aussi l’impression que certains viennent à l’Elysée pour prendre leurs bénéfices : ils n’entendent pas se laisser voler leur victoire. Ils doivent faire attention à ne pas se cadenasser en refusant toute aide nouvelle.  »

A priori, le président est bien entouré.  » Il y a beaucoup de points de QI à l’Elysée, note un bon connaisseur de la Macronie, et ils me font penser à cet ouvrage d’un journaliste américain, The Best and the Brightest.  » Publié en 1972, ce livre a connu un succès retentissant : il raconte l’histoire de jeunes gens brillants nommés par Kennedy, mais dont les errements aboutiront au désastre du Vietnam. L’expression servira aussi pour l’administration Obama.

Emmanuel Macron, lui aussi, a voulu s’entourer  » des meilleurs et des plus intelligents « .  » L’unité du pouvoir aujourd’hui, c’est la haute technocratie, autour de deux corps, l’Inspection des finances et le Conseil d’Etat. Est-ce que l’intelligence suffit à gérer un pays ? A court terme, oui, car le pouvoir a reçu un mandat des électeurs. Mais après ?  » interroge un ancien ministre de Hollande.

Question politique, question d’efficacité : Macron veut à tout prix réussir sa réforme du droit du travail, donc éviter le parasitage par des polémiques. Il fonce.  » Il n’est pas comme Sarkozy, qui téléphonait parce qu’il était inquiet ; lui, il faut l’appeler pour lui foutre la frousse « , décrit un habitué de l’Elysée.

 » Les Français élisent un roi et s’étonnent qu’il se comporte en roi, s’amuse un diplomate étranger en poste à Paris. Il a fait un truc inimaginable : il a cumulé audace, talent et chance. Mais sa réussite est-elle le simple révélateur de l’affaissement du système politique ? Ou le signe, autrement plus inquiétant, qu’un ressort bien plus profond s’est cassé dans votre pays ?  »

Par Corinne Lhaïk et Eric Mandonnet.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire