© Debby Termonia

Vadot : « attention ça peut mal tourner ! »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Ce 9 septembre, Nicolas Vadot, dessinateur du Vif/L’Express et de L’Echo, sort un recueil de ses meilleurs dessins consacrés depuis 2008 à la crise économique et financière. Une critique implacable d’un monde qui a perdu la tête et d’une Europe au bord du gouffre.

Vice-président de l’association Cartooning for Peace, créée pour soutenir les dessinateurs de presse dans le monde, il veut lutter contre les intolérances et les nationalismes. Et il nous met en garde.

Sept ans de bonheur, votre nouvel album (1), retrace de manière implacable la période de crise économique et financière que nous traversons…

Nicolas Vadot : C’est une crise polymorphe qui se régénère elle-même. Mon métier, c’est d’essayer de mettre le monde à distance pour le rendre plus supportable. Ce qui m’intéresse avant tout, c’est le rapport de l’être humain à l’argent. Dans mes dessins, il y a énormément de précipices, de gens qui tombent, parce que le capitalisme, c’est la peur de la mort. Erich Fromm, ce psychanalyste du marxisme que j’ai lu il y a dix ans, affirme que « le capitalisme est une passion morbide ». Une fois que l’on a ça en tête, on comprend tout. Quand je vois les milliards accumulés à 30 ans par Mark Zuckerberg, le créateur de Facebook, je me demande ce qu’il cherche. Voilà ce que j’essaie de saisir. Un dessin prend l’écume de ce qui se passe, mais c’est aussi une autoroute vers l’inconscient du lecteur.

Votre livre revisite des pages terribles de l’histoire européenne avec les crises grecque, portugaise, irlandaise, islandaise…

Je suis un européiste convaincu et un fédéraliste de par mon pedigree, puisque j’ai plusieurs nationalités (NDLR : française, britannique et australienne). A ce titre, je trouve que le traitement réservé à l’Allemagne aujourd’hui est scandaleux. S’il y a bien un pays qui pourrait tirer la prise de l’Union en souffrant moins que les autres, c’est l’Allemagne. Elle ne le fait pas parce qu’elle a l’expérience des deux guerres menées au XXe siècle. Angela Merkel répète que l’euro, c’est davantage qu’une monnaie, c’est un symbole de paix. Malgré tous leurs défauts, les Allemands sont les plus Européens dans la crise actuelle. Quand j’entends les membres de Syriza affirmer que ne pas respecter les résultats du référendum constitue un déficit démocratique, ils oublient d’ajouter que Merkel a été réélue pour défendre l’austérité. On me dit : c’est l’Europe libérale. Mais on rigole ou quoi ? Un chiffre tout bête : 50 % de la redistribution sociale mondiale a lieu au sein de l’Union européenne. On avance que les eurocrates sont scandaleusement nombreux, mais ils sont 40 000 pour 500 millions d’habitants. Mettez cela à l’échelle de votre commune… Quand je vois les partis souverainistes récolter autant de voix, je me dis que nous sommes au bord du précipice. Dans son livre Un messager pour l’Europe, l’Autrichien Robert Menasse déclare qu’il faudrait supprimer le Conseil de l’UE parce qu’il est anti-européen par essence et il a tout à fait raison. C’est une conviction très forte que j’ai et j’adore aller au clash avec les europhobes. Mais je dois aussi éviter d’être militant.

Les attentats de Charlie Hebdo furent un moment terrible. Mourir pour des dessins, c’est fou, quand même…

J’ai déjeuné avec Plantu la semaine dernière, il avait trois gardes du corps. Je n’arrive toujours pas à comprendre ce qui s’est passé. Mais cela vous revient en permanence dans la figure. Il y a un mois, ma fille de 8 ans m’a lâché soudain : « Papa, pourquoi tu n’as pas été tué avec les autres dessinateurs ? » Que voulez-vous répondre à ça ? Peu de temps après les attentats, j’ai été dans une école au public difficile. Neuf élèves sur dix étaient d’origine pakistanaise, turque… Je leur ai expliqué ce qu’est le droit au blasphème, la liberté d’expression, mais certains, nés en Belgique, m’ont lancé : « M’sieur, ils ont dessiné le Prophète, c’est normal qu’on les assassine. » C’est dire qu’il y a encore du chemin… Ces jeunes sont nés en 2001, au moment où les tours du WTC à New York ont explosé. C’est là que tout a basculé. Comment a-t-on pu échouer à ce point dans l’éducation de tous pour en arriver à un tel retour du sacré, qui empêche de dessiner Mahomet ?

La crise actuelle de la migration montre une crispation palpable dans nos sociétés.

Je reviens toujours quasiment à la psychanalyse : il faut toujours voir le monstre qui est en nous. J’ai une vision assez noire de la condition humaine. Si tu grattes la surface de l’homme, je crois qu’il redevient très vite bestial. La grande force de la société, c’est de gommer ça, mais il en faut peu : si tu as le ventre vide, tu es prêt à tout. Les frontières sont désormais à l’intérieur de nos sociétés. Les attentats du 11-Septembre, c’étaient des Saoudiens qui attaquaient les Etats-Unis. Les attentats de Charlie Hebdo, ce sont des Français qui tuent d’autres Français. Je ne suis pas très optimiste. Je n’exclus pas Marine Le Pen présidente de la République ou une explosion de l’Union européenne avec une fracture nord-sud… Il y a tellement d’inégalités frappantes, y compris à Bruxelles. Je vis à Uccle, chez les bourgeois, mais en quinze arrêts de tram, je suis à Molenbeek où il y a 30 % de chômage. J’ai vraiment l’impression de retourner dans les années 1930. Les conséquences du krach boursier de 1929 ont été dramatiques. C’était aussi pour cela que je voulais faire ce livre, pour dire aux gens: attention, ça peut mal tourner !

Sept ans de bonheur, par Nicolas Vadot, sandawe.com, 144 p.

L’intégralité de l’entretien dans Le Vif/L’Express de cette semaine

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