Luc Barbé

Un nouveau pas vers une sécurité sociale flamande ?

Luc Barbé Observateur du paysage politique belge et membre de Groen

Le 2 mai, le Parlement flamand a approuvé le décret sur la protection sociale flamande. Le texte de 457 pages, notes explicatives et avis de plusieurs conseils consultatifs compris, n’a guère retenu l’attention de la presse néerlandophone ou francophone. Serait-ce parce que le père de ce décret, le ministre flamand du Bien-être et de la Santé publique, Jo Vandeurzen, la joue profil bas?

Apparaissant peu souvent dans la presse et évitant les polémiques sur les réseaux sociaux. Dans le secteur, il se dit pourtant qu’il réalise des réformes importantes étape par étape, et ceci malgré la très grande complexité des dossiers.

Les partis de la majorité, N-VA, CD&V et Open VLD, ont approuvé le décret ; l’opposition s’est abstenue. Ce décret reprend la politique flamande existante, telle que l’assurance autonomie, et va plus loin, en application de la sixième réforme de l’État prévoyant le transfert d’un certain nombre de compétences vers les entités fédérées. La protection sociale flamande couvre, entre autres, l’assurance autonomie, les maisons de repos et les soins à domicile. Il s’agit d’une politique dotée d’un budget de 4,1 milliards d’euros, soit près de 10% du budget flamand. S’agit-il simplement de la mise en oeuvre de la sixième réforme de l’État? Dans les débats du Parlement flamand, la N-VA et le CD&V ont clairement exprimé des accents différents.

u003cstrongu003eLa N-VA, de son côté, l’a vu différemment. Un de leurs députés a déclaré : u0022Pour mon parti, la protection sociale flamande est le premier pas vers la mise en place d’un système de sécurité sociale flamande à part entièreu0022.u003c/strongu003e

Le ministre Vandeurzen (CD&V) a évoqué « une étape importante dans la construction de la protection sociale flamande ». Ce dernier parle de « protection sociale », pas de « sécurité sociale ». Mais au sens du droit européen, il s’agit bien d’un aspect de la sécurité sociale (Règlement européen (CE) n ° 883/2004). Le Ministre a également affirmé qu’il s’agit d’une matière très complexe et que la mise en oeuvre du décret demanderait encore beaucoup de travail, ceci pendant plusieurs législatures. Le Ministre a parlé de politiques dans la continuité de la politique fédérale et de nouvelles politiques flamandes, différentes de celle menée au niveau fédéral avant la sixième réforme de l’État, citant par exemple le « modèle du cercle ». Le bénéficiaire de services est au coeur de cette démarche et détermine, si possible en concertation avec ses proches et des services professionnels, quels types de soutien peuvent contribuer à sa santé et à son bien-être. L’accent est mis sur la vie sociale et le contrôle de sa propre vie. Vandeurzen a également déclaré qu’une bonne coopération avec le niveau fédéral est cruciale. Le Ministre s’est donné un profil de « bon gestionnaire », et non de nationaliste flamand. La N-VA, de son côté, l’a vu différemment. Un de leurs députés a déclaré : « Pour mon parti, la protection sociale flamande est le premier pas vers la mise en place d’un système de sécurité sociale flamande à part entière ». Pas de doute donc pour la N-VA : ce dossier important est un pas vers une propre sécurité sociale flamande.

Qui a raison? Le ministre CD&V Vandeurzen ou la N-VA? Peut-être ont-ils tous les deux raison. Bien sûr, la N-VA veut aller beaucoup plus loin. Pour le ministre Vandeurzen, le développement d’une protection sociale flamande est l’un de ses grands projets de la législature. Le dossier est cher au ministre et les liens du CD&V avec des acteurs clés dans le secteur restent très importants. Ce n’est pas une coïncidence si le CD&V a demandé ce portefeuille en 2014 lors de la répartition des compétences. Avec l’éducation, qui fait également partie des compétences du CD&V, elle fait partie du « core business » des chrétiens-démocrates flamands depuis des décennies. Vandeurzen sait qu’il doit faire attention. Les erreurs sont à éviter lors de la prise en charge des compétences transférées du fédéral vers les entités fédérées. Imaginez-vous que des gens ou des institutions aient de grands problèmes financiers à cause d’une erreur dans la mise en oeuvre du décret. Ce serait catastrophique, en premier lieu pour les personnes concernées, mais aussi pour le ministre. C’est une raison importante justifiant d’organiser la transition à temps et de façon très systématique. C’est pourquoi le ministre Vandeurzen y consacre beaucoup de temps et d’énergie. On peut difficilement lui reprocher d’alimenter volontairement les tensions communautaires. Il reste, autant que je sache, dans les compétences flamandes et n’utilise pas ce dossier pour lancer de grandes déclarations sur, par exemple, la défédéralisation de la sécurité sociale. En même temps, tout ce travail est bien sûr utile, et même nécessaire, dans le cas d’un nouveau transfert de parties de la sécurité sociale vers les entités fédérées. Vandeurzen et le CD&V anticipent la prochaine étape. Même si elle n’aura lieu que dans dix ou vingt ans.

Y aura-t-il une prochaine étape et si oui, quand? Aujourd’hui, il n’y a pas en Flandre de demande pour une nouvelle réforme de l’État. La N-VA parle à peine de confédéralisme et certainement pas de l’indépendance de la Flandre. Bart De Wever et son parti savent bien que cela ne parle pas à l’opinion publique flamande. Les priorités de la N-VA sont la sécurité et la migration. CD&V, Open VLD, sp.a et Groen ne demandent pas de nouvelle réforme de l’État non plus. Il faudra encore de nombreuses années pour mettre en oeuvre la sixième et argumenter maintenant pour une septième réforme pourrait apparaître comme l’aveu que la sixième pose de grands problèmes, alors que ces partis l’ont négociée et approuvée. Dans la société civile flamande, aucun acteur important ne demande une nouvelle réforme de l’État. Je ne m’attends pas à un nouveau round communautaire les prochaines années. On pourrait voir une approche inspirée par celle de Jean-Luc Dehaene pendant la législature 1995-1999. Après les accords de la Saint-Michel, Dehaene a inséré dans l’accord de gouvernement une disposition invitant le Sénat à évaluer le fonctionnement des nouvelles structures fédérales. Une commission du Sénat a fait un travail énorme, avec pas moins de 51 réunions, ce qui a donné lieu à un rapport de 1031 pages. Pendant quatre ans, Dehaene a renvoyé toutes les questions institutionnelles et communautaires vers cette commission et a imposé de cette manière une pause institutionnelle. Après les élections de 2019, un tel scénario pourrait se répéter avec toutefois une différence importante. La Flandre pourrait en effet faire sa propre évaluation, parallèlement au niveau fédéral, et cela d’un point de vue strictement flamand. Cela pourrait conduire vers 2024 à de nouvelles exigences, notamment en matière d’extension de la « protection sociale » flamande.

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