François-Xavier Druet

Un mouvement déformateur

François-Xavier Druet Docteur en Philosophie et Lettres

Après les dernières élections législatives, un certain nombre de citoyens sont restés pantois, comme moi, devant ce que pouvaient devenir, dans le cercle politique, tous – presque ? – partis confondus, les engagements, les promesses, les paroles données.

À ce moment, il était tristement risible de constater à quel point la réalité se trouvait travestie et les bobards-galéjades-boniments-baratins-mensonges-menteries érigés en pratiques courantes. Cette évidence invitait la classe politique à une attention particulière sur ce point, à supposer qu’elle considère comme important de redorer son blason et de restaurer la confiance des citoyens.

Des naïfs auraient pu croire que la campagne électorale constitue un phénomène à part. La désignation d’un gouvernement et sa mise au travail allaient rétablir le lien entre les paroles et les actes et, sinon guérir, au moins atténuer cette schizophrénie d’un nouveau genre… Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces « candides » déchantent. Un an de fonctionnement politique « normal » fait sauter aux yeux qu’au Parlement même et dans les échanges avec les membres du gouvernement rien n’est plus normal. La réalité n’est pas facile à appréhender, emportée qu’elle est trop souvent dans un mouvement déformateur.

Comment ces représentants que nous avons désignés par élection vont-ils pouvoir s’en sortir ? Comment une démocratie fondée sur le débat parlementaire peut-elle survivre sans son instrument principal, le langage, et sans son usage correct ? Avec le déguisement des mots, c’est la réalité elle-même qui est affublée d’oripeaux mystificateurs.

Le gouvernement a-t-il – après un appel d’offres, bien sûr – engagé un consultant en ingénierie linguistique pour se faire conseiller ? Est-ce de lui qu’il a appris de façon accélérée par quels mots choisis il est possible de présenter un saut d’index et une augmentation de T.V.A. sur des produits courants comme des mesures indirectement sociales, d’habiller d’une certaine respectabilité – pas trop voyante quand même – des activités d’extrême droite, des propos flirtant avec les limites du racisme, des propositions d’actualiser les droits de l’homme ? Etc.

N’est-il pas ingénu de penser que ces artifices de communication tromperaient grand monde ? Que le fait d’apposer une jolie nouvelle étiquette sur un vieux flacon persuaderait que le contenu a changé ? Qu’une procédure illégale rebaptisée devient « imprudence » ? Qu’un accord requalifié devient un « préaccord » au moment où il est remis en question ?

En démocratie, mentir, c’est démissionner. Demander la démission d’un menteur, ce n’est rien d’autre que lui proposer d’être logique avec lui-même

La fluctuation des mots est le premier piège aussi bien entre représentants politiques qu’entre ceux-ci et leurs électeurs. Mais c’est peu de choses à côté du mensonge. Quand, pour se justifier soi-même ou pour tenter de dédouaner un copain, un politique « parle contre sa pensée avec l’intention de tromper », il se dévoile : il n’a plus rien à faire dans une enceinte où la recherche difficile du bien commun suppose un échange de paroles, d’avis, de propositions dont la qualité première est la vérité.

En démocratie, mentir, c’est démissionner. Demander la démission d’un menteur, ce n’est rien d’autre que lui proposer d’être logique avec lui-même, de ne pas encombrer la place en étant désormais hors d’état de tenir des propos crédibles.

Peut-on imaginer que l’électeur – forcément (petit) menteur lui-même en certaines circonstances – pardonne au faussaire et le choisisse de nouveau comme représentant ? Cela s’est déjà vu et se verra encore. Cela signifie alors la préférence accordée à celui « qui sait y faire », celui dont on peut être certain qu’il arrivera à ses fins. Cela implique l’a priori que la fin justifie les moyens. Si ce laxisme se répand, inévitablement, le jeu démocratique inverse ses valeurs et se déforme.

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