Carte blanche

Réfléchir à l’après-prison: il n’y a plus d’autre choix

Pour qui travaille sur les questions de processus et des lieux de radicalisation, un constat est clair en France comme en Belgique : la prison a été un des principaux fournisseurs officiels de djihadistes entre 2012 et 2018, directement ou indirectement.

Ceux dont l’obsession se portait sur Molenbeek, sur les mosquées salafistes, en oubliant le rôle des quartiers, d’internet, l’importance de villes en France comme Trappes ou les quartiers de Nice qui y ont envoyé plus de djihadistes que la ville bouc-émissaire belge, peuvent-ils encore refuser de porter un regard objectif sur la situation carcérale en Europe ? Trop de prisonniers, installations vétustes voire insalubres, manque de personnel[1], mélange des genres et des détenus notamment entre petits délinquants et recruteurs dont l’idéologie s’est répandue comme une mauvaise grippe, sous-financement voire absence des programmes de réinsertion, taux de récidives importants. La prison, si tant est qu’elle rassure en éloignant un temps des personnes dangereuses pour la société, n’est plus une solution viable dans nos sociétés post-modernes pour lutter contre le trouble à l’ordre public et le risque terroriste. Elle est un cul-de-sac et contribue à renforcer les problèmes plutôt qu’à leur apporter la moindre solution de long terme.

S’il est crucial, politiquement, de revoir nos alliances internationales notamment avec des pays pourvoyeurs de l’idéologie salafiste, il est encore plus fondamental, pour un État de mettre cartes sur table pour trouver une solution urgente au mouroir des prisons. Ceux qui y entrent, s’ils ne font pas l’objet d’un suivi personnalisé et d’un véritable projet de vie pour ne plus replonger dans l’enfer de la délinquance, sont de futurs apprentis-terroristes en puissance, fût-ce par investissement dans la cause djihadiste par volonté de vengeance. Plus on désocialise un individu et lui enlève jusqu’à la dignité de l’espoir d’une vie meilleure, moins il sera prêt à réintégrer cette société qui ne veut plus de lui. Chaque jour passé dans ces prisons qui sont la honte de nos démocraties, régulièrement dénoncées par l’Observatoire International des Prisons, sont un jour de plus de fermentation d’une idéologie de mort et d’une pulsion de haine qui finiront par habiter confortablement la tête de milliers de jeunes entrés en prison pour des faits de droit commun et des délits moindres.

Par ailleurs, pendant que nos représentants politiques, tétanisés, le regard fixé sur les sondages, refusent obstinément d’y réfléchir, les premières vagues de condamnés pour soutien à des activités terroristes au début de la guerre en Syrie sortiront bientôt de prison, peines maximales purgées. Or, on en est toujours à se demander ce que serait un programme efficace de déradicalisation qui, cerise sur le gâteau, ne devrait rien coûter à des systèmes judiciaires déjà sur les rotules du fait des économies linéaires qui leur sont imposées par tous les gouvernements, de gauche comme de droite.

Il va de soi que le fait que nous soyons dans un Etat de droit ne nous permet pas, au-delà de quelques mesures préventives, de suivre ces personnes une fois sorties et leur « dette envers la société » réglée, en vue d’assurer la sécurité publique. Il est évident que c’est bien en amont, dès le début de leur peine, qu’il convient d’agir.

En Belgique, la surveillance électronique est en place de manière réduite depuis 22 ans. En France, le placement sous surveillance électronique fixe comme aménagement de peine, a fait l’objet d’une loi votée en 1997. La surveillance mobile pour lutter contre la récidive est en place depuis 2005. Le problème est que les programmes de réinsertion avant la sortie de prison sont sous-financés et que le bracelet autonome électronique est loin d’être généralisé. Les entreprises fournisseurs, de leur côté, savent très bien qu’il n’est pas question de fournir un bracelet de plus, mais celui que les autorités attendent : le bracelet le plus perfectionné qui soit, et qui permette de savoir en temps réel la position à quelques mètres près de l’individu sous surveillance[2]. C’est un moindre mal et cela permettrait une surveillance efficace dont n’a pas pu bénéficier le prêtre de Saint-Etienne-du-Rouvray il y a bientôt deux ans, victime d’Adel Kermiche. Pourtant, les solutions techniques existent qui pourraient permettre tant d’éviter de telles dérives que de permettre une réinsertion plus harmonieuses en sortant des prisons des gens dont ce n’est pas la place.

Il faut bien sûr inscrire cette mesure parmi d’autres. Mais elle doit faire partie d’un ensemble coordonné qui doit être adopté d’urgence. Si l’on déplace les lignes budgétaires consacrées au pur sécuritaire, si l’on refinance les services psychologiques, éducatifs, et de réinsertion et si l’on équipe de bracelets autonomes électroniques de dernière génération tous les « sortants » faisant l’objet d’une décision judiciaire préalable selon leur degré de dangerosité savamment analysé, on fera bien plus d’économies qu’en s’obstinant au « tout prison » qui représente un coût considérable à court, moyen et long terme, surtout si l’on prend en compte les dégâts profonds qu’il finit par infliger au corps social.

Il est aujourd’hui impossible de suivre l’ensemble de celles et ceux qui vont être rendus à la liberté dans les mois qui viennent sans que l’on ne leur ait offert de véritable opportunité de résilience. Les forces de police sont les premières à protester à ce sujet. Or, si l’État avait fait le choix d’installer une centrale de surveillance avec une vingtaine de personnes dédiées, ce seraient plusieurs milliers de bracelets personnalisés qui pourraient être suivis en temps réel selon des critères de déplacement pour leurs « propriétaires » précisément définis en fonction de mesures de justice et équipés d’un solide de plan de réinsertion. Il n’en est rien. Alors que certains pays comme la Suède, la Norvège et les Pays-Bas vident leurs prisons, avec des taux de récidive planchers, la France n’ose plus montrer l’état des siennes, et la Belgique achète des places de prison aux Pays-Bas en hésitant toujours entre rassemblement ou séparation des radicalisés.

Il est temps de réfléchir à l’avenir de nos sociétés : il est clair que la surveillance électronique, qui doit se faire de façon très encadrée, doit permettre aux autorités de savoir en temps réel à 5 mètres près, où se trouve un individu sous contrôle qui pourrait potentiellement représenter un risque pour la population. S’il est impossible dans nos démocraties, et heureusement, d’enfermer quelqu’un sur un simple soupçon, le bracelet autonome électronique, mesure largement moins invasive, doit représenter un outil d’avenir pour garantir plus de sécurité à nos concitoyens et de meilleures chances d’insertion pour celles et ceux qui ont fauté.

Alors que le bracelet fixe incite les juges à prononcer des obligations de pointage allant jusqu’à plusieurs fois dans une même journée aupres des force de l’ordre, le bracelet mobile est bien plus ajusté à une mise à l’épreuve (probation) qui a ce souci d’entraver le moins possible l’accompagnement clinique et éducatif vers la réinsertion sociale. Les travaux d’Olivier Razac[3] en France ou de Marion Vacheret[4] au Canada, démontrent depuis plus de 10 ans, que la fonction de probation, à ce point technologisée en milieu ouvert, ne peut pas être assurée par les travailleurs sociaux. Elle doit être confiée aux métiers de la sureté public et nécessite un changement de la loi en conséquence.

Il est temps d’enterrer le concept de prison tel que nous le connaissons. C’est aussi un investissement dans notre sécurité collective à long terme.

Par Michaël Privot, islamologue associé à l’ULG (Université de Liège) et Sébastien Boussois, chercheur en sciences politiques associé à l’ULB (Université Libre de Belgique) et à l’UQAM (Montréal)

[1]A l’heure où nous écrivons ces lignes, le personnel pénitentiaire en Belgique est de nouveau en grève pour réclamer que l’encadrement minimum prévu légalement soit rempli. Sachant que cela ne suffirait de toute façon pas pour que les prisons puissent remplir leur mission de réhabilitation.

[2]Aujourd’hui, le marché en Europe se répartit entre Thalès, Géosatis qui appellent leur produit bracelet autonome électronique et Brain to Sell, bracelet autonome sécurisé. La nouvelle dénomination « autonome » désigne la nouvelle génération qui permet à son « détenteur » d’être mobile, sans installation chez lui et lui octroie de fait plus de liberté sous surveillance.

[3] Olivier Razac, « Mesures de sûreté et travail social pénitentiaire », Champ pénal/Penal field [En ligne], Vol. VIII | 2011.

[4] Marion Vacheret, 2008, « Scientificité, technicisation et mécanisation, la déresponsabilisation des agents pénaux », in Collectif, Actes du colloque : Le pénal aujourd’hui : pérennité ou mutations, Centre international de criminologie comparée, Montréal, décembre 2007.

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