Nethys, la plus performante de toutes les filiales de Publifin : 315 millions d'euros de chiffre d'affaires pour 102,6 millions de bénéfices (2015). Et un taux d'imposition à 0,16%. Tout le monde en rêverait... © HATIM KAGHAT/ID PHOTO AGENCY

Publifin, l’usine à millions (infographie)

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Le scandale qui rebondit depuis deux mois l’aura montré : Publifin n’est pas un exemple éthique. Mais est-ce, finalement, une réussite économique ? Du point de vue des plantureux bénéfices brassés, indéniablement. Au niveau de leur affectation et de la création d’emplois, c’est plus discutable.

Tout doit disparaître ! De l’enseigne du siège social à l’en-tête du papier à lettre, un changement de nom d’entreprise s’immisce dans les moindres détails. Les modifications matérielles restent finalement bien moins ardues que l’insertion de la nouvelle appellation dans le langage courant. Belfius n’a pas encore totalement remplacé Dexia, Proximus n’a pas encore détrôné Belgacom. Peu importent les centaines de milliers d’euros dépensés. Mais Tecteo ? Oublié ! Tout le monde ne parle plus que de Publifin. Un scandale, ça vous assied une identité.

Certes,  » Publifine  » ou  » Publifaim « , la notoriété n’a pas tout clarifié. Tout comme son organisation interne n’est pas devenue moins obscure. Un bazar méticuleusement organisé. Une pieuvre qui déploie directement ses tentacules dans 70 autres structures. La bête nage aussi bien en eaux énergétiques (distribution de gaz via Resa, éolien via Elicio et ses 30 filiales…), médiatiques (L’Avenir, Moustique/Télépocket, La Provence, BeTV…) que financières (assurances Integrale, octroi de crédits via Le Travailleur chez lui et Credis…). Elle trempe aussi dans une série de méandres éthiques et politiques, qui la noient depuis deux mois. A force de l’opacifier, ses gestionnaires ont fait couler son image. Mais, économiquement, est-elle insubmersible ? Plongée dans ses comptes.

1. Les comptes : des millions, comme s’il en pleuvait

Ou, plutôt, une descente en apnée sans cordage de sécurité, tant ses résultats annuels sont complexes. Le holding Publifin investit donc directement dans 70 sociétés, dont 44 en tant qu’actionnaire majoritaire. L’objet de certaines d’entre elles reste flou. Ses comptes consolidés, censés regrouper l’ensemble de ses participations, n’incluent pas toutes les filiales car, prévient le dernier rapport annuel,  » leurs activités sont soit trop différentes des autres […], soit que leur intégration influencerait négativement l’image fidèle  » des résultats. Un bazar méticuleusement organisé, qu’on vous disait.

Lorsqu’il s’était rendu  » parce que tel était son bon plaisir  » devant la commission spéciale du parlement de Wallonie, le 3 février, le député-président provincial André Gilles, président du conseil d’administration de l’intercommunale, avait balancé de nombreux chiffres, histoire de prouver à tous les députés  » l’importance économique  » du groupe. Comme  » un chiffre d’affaires consolidé de 760 millions en 2015  » ou encore  » un bénéfice net de 68 millions d’euros « . On se demande toujours où il a été les chercher. Et personne en interne n’a malheureusement souhaité nous éclairer. Si l’on se fie aux comptes annuels publiés à la Banque nationale de Belgique (BNB), le chiffre d’affaires de Publifin n’est pas connu, mais il s’élevait à 78,8 millions d’euros en 2014. Quant au bénéfice de l’exercice 2015, il s’arrondit à 39,6 millions.

Devant l'éphémère commission spéciale du parlement de Wallonie, André Gilles a débité moult chiffres. Qui ne correspondent pas à ceux des comptes annuels de Publifin.
Devant l’éphémère commission spéciale du parlement de Wallonie, André Gilles a débité moult chiffres. Qui ne correspondent pas à ceux des comptes annuels de Publifin.© PHILIP REYNAERS/PHOTO NEWS

Publifin, en tant qu’entité propre, ne reflète pas à elle seule l’ensemble de l’activité économique du groupe. Loin s’en faut. L’autre gros poisson, c’est sa filiale  » privée « , Nethys, qui a généré, en 2015, un chiffre d’affaires de 315,2 millions d’euros pour un bénéfice de 102,6 millions. Pas de panique, nous n’énumérerons pas ici l’ensemble des résultats des 69 autres sociétés. Allez, quand même un grand dernier pour la route : Resa, le gestionnaire de réseaux de gaz et électricité, affiche un chiffre d’affaires dépassant les 271 millions, pour un bénéfice de près de 51 millions.

Généralement, les entreprises liées à Publifin terminent leur année comptable dans le vert. Sauf quelques-unes, actives notamment dans l’éolien, via Elicio et 30 autres sociétés en Belgique, en France, au Kenya, en Roumanie et en Serbie. Héritage de la reprise, en 2014 (pour 184 millions d’euros), de la majeure partie des activités d’Electrawinds, alors embourbée dans le surendettement. Un an plus tard, les bilans comptables (belges) restent logiquement capricieux, tantôt légèrement positifs tantôt franchement négatifs.

Par contre, l’énigme reste entière pour VOO. La mauvaise santé financière de l’opérateur télécom a jadis fait couler beaucoup d’encre. Depuis le lancement en 2009 et jusqu’à 2013, plus de 360 millions de pertes. Ensuite ? Mystère. VOO a été astucieusement englobée non pas dans BeTV, mais bien dans Nethys, lors de la refonte de la structure de 2014. Impossible, du coup, de déterminer si cette activité reste déficitaire. Ou non. Un modique bénéfice aurait été dégagé pour la première fois en 2015.

2. Les bénéfices : distribués à géométrie variable

Bref, bien que des zones d’ombre subsistent, le groupe est incontestablement une machine à millions. Les générer, c’est bien. Les utiliser, pour une entreprise bâtie sur les deniers publics, c’est mieux. Selon ses comptes annuels, certaines filiales distribuent une part de leurs bénéfices en  » rémunération sur le capital « . Publifin : 37,25 millions. Resa : 48,4 millions. Nethys : 35 millions. Finanpart : 20,54 millions. D’autres, certes moins profitables, n’allouent aucune part de leur gâteau (BeTV, Application Cable Multimédias, Wallonie Data Center…). Que font-elles de leurs revenus ? Que deviennent les bénéfices ? Les dirigeants du groupe n’ont pas souhaité répondre à nos questions.

Quoi qu’il en soit, la distribution des bénéfices est donc à géométrie variable. Les actionnaires de Publifin (la Province de Liège, 76 communes et la Région wallonne) ont-ils été privés de revenus légitimes ? La future commission d’enquête du parlement de Wallonie se penchera certainement sur la question. Récemment, Le Soir avait sorti sa calculette en mesurant la différence entre les profits énergétiques et les dividendes versés : le manque à gagner pour les entités surpasserait les 300 millions en huit ans. Mais rares sont les communes qui ont manifesté un quelconque agacement. Toutes les décisions relatives à l’intercommunale ont partout été votées à une large majorité, voire à l’unanimité…

L’infographie ci-dessous expose de manière détaillée l’empire Publifin. Activez le mode plein écran afin d’avoir une vue d’ensemble.

3. L’impôt des sociétés : peut mieux faire

Si Publifin semble décider assez librement comment répartir ses bénéfices, elle a en revanche moins de latitude concernant l’impôt. En 2015, les filiales (belges) reprises sous le périmètre de consolidation et où l’intercommunale est actionnaire majoritaire ont versé conjointement 25,1 millions d’euros à l’Etat. Pas mal ? Heureusement qu’il y avait Resa, qui, à elle seule, s’est acquittée de plus de 18 millions.

Dans les autres branches, les sommes varient de quelques millions à zéro euro. Parfois, même, l’une ou l’autre société a été remboursée par le fisc. Mais le plus interpellant est sans doute Nethys. Qui s’est délestée de 167 000 euros d’impôts, alors que le chiffre d’affaires 2015 excédait les 315 millions et que les bénéfices affichaient presque 103 millions. Pas besoin d’être comptable pour flairer l’optimisation fiscale à plein nez.

Les gestionnaires de VOO présentent quelques nouveautés lors d'une conférence de presse. Un succès commercial ? Mystère : la marque n'est plus une entreprise à part entière. Et ne publie donc pas de comptes annuels.
Les gestionnaires de VOO présentent quelques nouveautés lors d’une conférence de presse. Un succès commercial ? Mystère : la marque n’est plus une entreprise à part entière. Et ne publie donc pas de comptes annuels.© VICTORIA DESSART/BELGAIMAGE

Le cas de NeWIN, filiale à 100 % de Publifin active dans le développement de services informatiques pour professionnels, en est une bonne illustration. En 2014 et en 2015, plus de 2 millions d’euros ont, selon les comptes, été versés aux  » administrateurs et gérants « . Enrichissement personnel ? Nenni. Plutôt une manoeuvre peu commune d’optimisation fiscale, comme l’a récemment révélé L’Echo. Le pactole est en réalité revenu à Nethys, sous forme de tantièmes et non de dividendes. Ce qui permet, pour faire simple, de payer moins d’impôts.

4. L’emploi : pas la priorité

Il n’y a pas que le nom de Publifin qui est devenu nationalement connu. Son nombre de salariés aussi. Trois mille ! Et directs, s’il vous plaît. Car s’il fallait en outre comptabiliser les indirects, il faudrait y ajouter  » plusieurs milliers  » de travailleurs, comme insistait André Gilles devant la commission spéciale du parlement de Wallonie.

Trois mille. C’est rond. Ça claque. Pan, dans les dents de ceux qui osent critiquer Publifin. Qui voudrait fragiliser tous ces jobs, qui ? Sauf que c’est faux. Si l’on s’en réfère à ses comptes consolidés, l’intercommunale totalisait 2 223 emplois en 2015. Peut-être a-t-elle procédé à 800 embauches en 2016…

Deux mille deux cents et quelques. C’est moins rond, ça claque moins mais ça reste très honorable. La sinistrée région liégeoise ne pourrait pas s’en passer. D’autant plus que le nombre d’employés n’a cessé de progresser, lui qui s’élevait à 948 en 2010. Mais la nuance s’impose. Entre 2010 et 2011, Publifin passe donc de 948 à 1 733 employés. Parce qu’elle a absorbé l’Association liégeoise du gaz la même année. Entre 2013 et 2014, nouvelle grosse progression de 346 postes. Parce que les Editions de l’Avenir, l’Avenir Advertising (Proximag) et Electrawinds ont été repris. Qui, à eux trois, représentaient justement 330 salariés en 2014.

Ainsi est bâti le business model du groupe. Racheter beaucoup. Créer peu. Certes, Nethys embauche, mais l’entité Publifin ne remplace quasi plus les départs à la retraite, selon les syndicats. Chez BeTV, l’emploi décroît. Chez NeWIN, il reste stable, même si les bénéfices ont presque triplé en cinq ans. Chez Elicio, l’éolien ne permet d’engager que vingt-trois personnes. Reste Wallonie Bruxelles Contact Center, le centre d’appel de VOO, où cent travailleurs ont grossi les rangs en cinq ans, bien que le chiffre d’affaires ait faibli. Les décideurs liégeois répètent d’ailleurs à qui veut l’entendre que, dans une structure privée, cette activité aurait été délocalisée fissa.

Publifin, c’est finalement la grenouille qui voulait devenir plus grosse que le boeuf. L’Avenir, Moustique/Télépocket, les journaux français, les investissements dans le tax shelter, les assurances Integrale… Son insatiable appétit est assez récent. Peut-être sera-t-il payant. Ou pas. Peut-être grâce à Stéphane Moreau, André Gilles et consorts. Ou pas. Mais toujours à coup d’argent public. Ce qui mériterait, si pas plus d’emplois, d’impôts ou de bénéfices, à tout le moins davantage de transparence.

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