Claude Demelenne

« Publifin: Comment le socialiste Marcourt roule pour le PTB »

Claude Demelenne essayiste, auteur de plusieurs ouvrages sur la gauche

Le dernier épisode du feuilleton Publifin braque à nouveau les projecteurs sur la peu glorieuse exception du PS liégeois. Son patron, Jean-Claude Marcourt, freine l’indispensable rénovation. Il roule de facto… pour le PTB.

Paul-Emile Mottard, l’ex-président socialiste du conseil d’administration de Publifin, a réclamé une exception au plafond des rémunérations de 245.000 euros brut/an pour les dirigeants de Nethys. Soutenu par la fédération socialiste liégeoise, Mottard a évoqué une « maladresse dans la formulation ». Mais personne n’est dupe. Pas un mauvais bougre, Mottard a subi des pressions de la bande à Stéphane Moreau, le multimillionnaire patron de Nethys Le message adressé au peuple de gauche est terrible : le PS défend les – très – gros salaires.

Après des mois de tergiversations, le PS liégeois serait en train de lâcher le management de Nethys. Cela reste encore à démontrer. A ce jour,le patron de la « coupole » provinciale liégeoise du PS, Jean-Claude Marcourt, n’a toujours pas tapé du poing sur la table. L’imbroglio est total. Par son attitude frileuse, Marcourt roule de facto, pour le PTB. A la lumière des dernières péripéties chez Publifin-Nethys, Raoul Hedebouw, la figure de proue du PTB, peut partir en vacances jusqu’aux prochaines élections. Il n’a plus besoin de faire campagne. Le vaudeville Publifin ouvre une voie royale pour son parti, qui peut compter sur la virtuosité de quelques socialistes liégeois pour marquer des buts contre leur camp.

Dans l’affaire Publifin, la responsabilité de Jean-Claude Marcourt est lourde. Au fond de lui, le ministre socialiste n’a toujours pas compris l’ampleur du traumatisme subi par l’opinion publique. Il n’a toujours pas compris que Stéphane Moreau constitue aujourd’hui un boulet pour son entreprise et un péril pour l’emploi à Liège. Dès le début de « l ‘affaire », les déclarations de Marcourt ont été ubuesques. Petit rappel historique.

« Il n’y a pas de problème Moreau »

« La sortie de Laurette Onkelinx est inappropriée. Il n’y a pas de problème Moreau en tant que tel, car il n’est pas à la manoeuvre chez Publifin ». Ce 20 janvier 2017, peu après le déclenchement du scandale Publifin-Néthys, Jean-Claude Marcourt est furieux. Il encaisse mal le rappel à l’éthique de Laurette Onkelinx. L’ex- cheffe de groupe du PS au Parlement fédéral vient de réclamer que Stéphane Moreau fasse « un pas de côté ». Une exigence qui hérisse Marcourt, dont le mot d’ordre, depuis des années, est inchangé : « Touche pas à mon pote Moreau ! ». L’ex-Ministre wallon de l’Economie est tombé sous le charme du golden boy ansois. Il lui pardonne toutes ses frasques. Mieux, il a été en première ligne pour créer, à l’usage de Publifin-Néthys, ce que d’aucuns ont appelé « un cadre réglementaire sur mesure ». Sans état d’âme, Marcourt a contribué à l’émergence d’un capitalisme rouge fort éloigné de l’idéal socialiste.

Pour Marcourt, ce qui pose problème, ce ne sont donc pas les dysfonctionnements en cascade de l’intercommunale liégeoise, son refus de toute transparence, les rémunérations mirobolantes de son boss et de ses consultants engagés à prix d’or, payés avec de l’argent public, la perte de contrôle des pouvoirs publics sur Nethys, une politique de diversification erratique, via des investissements au Congo, dans la presse en Wallonie, mais aussi dans le Sud de la France, en tandem avec l’affairiste Bernard Tapie… Ce qui pose problème pour Marcourt, c’est tout au plus l’attitude de quelques lampistes qui ont accepté sans broncher de rondelettes sommes d’argent pour ne pratiquement rien faire au sein des fameux comités de secteur de Publifin. Ce qui pose problème, ce n’est pas le comportement de ceux qui, au plus haut niveau, ont imaginé et mis en place ce système inique. Ce qui pose problème, pour Marcourt, ce n’est pas la gloutonnerie du « Berlusconi wallon », c’est le sursaut des dirigeants socialistes qui, à l’instar de Laurette Onkelinx, jugent que la tartufferie Moreau a assez duré.

Surdité sociale

Par la suite, Marcourt a été mis sous pression par Elio Di Rupo. Il a accepté un début de remise en ordre. En traînant les pieds. Parce que, selon ses propres termes, il faut « écouter l’air du temps et que ce qui était possible avant ne l’est plus forcément aujourd’hui ». Ainsi, selon Marcourt, le citoyen aurait longtemps consenti au « no limit » dans les rémunérations des mandataires publics. Et du même coup, il aurait avalisé des écarts de revenus éléphantesques. Surprenant discours, qui en dit long sur la surdité sociale du dirigeant socialiste liégeois.

L’initiative industrielle publique que défendait André Cools, dans la lignée du syndicaliste André Renard, n’a rien à voir avec la pompe à fric de la bande à Tecteo-Publifin-Nethys conçue par le tandem Moreau-Marcourt. Le capitalisme public dont rêvait le Maître de Flémalle n’était pas la pâle copie du capitalisme privé, son opacité et ses écarts scandaleux de rémunérations, avalisé par ceux qui se présentent aujourd’hui effrontément comme ses fils spirituels..

Face à la mauvaise série Publifin, André Cools aurait piqué une de ces tonitruantes colères dont il avait le secret, pour mettre au pas les capitalistes rouges de son parti. Colère que ne piquera pas Jean-Claude Marcourt, englué dans ses liens – très – particuliers avec Stéphane Moreau.

Le gâchis socialiste liégeois

Le gâchis socialiste liégeois, c’est cet incroyable tour de force qui a transformé une entreprise au potentiel important – la SA Nethys a réalisé 73 millions de bénéfices en 2016 – en véritable repoussoir pour une grande part de l’opinion publique. Ce qui pourrait ouvrir la voie à ceux qui, à droite, rêvent de nettoyer l’intercommunale au karcher, sans égard pour le sort de ses 3.000 travailleurs. Un beau gâchis. .

Ce qui est en cause, c’est la cupidité sans borne des dirigeants de cette entreprise phare du capitalisme rouge. Ce qui creuse la tombe du PS, c’est l’aveuglement de certains socialistes liégeois qui soutiennent toujours en coulisses Stéphane Moreau. Au point de dessiner les contours d’une peu glorieuse exception socialiste liégeoise. Ce qui désespère le peuple de gauche, et le jette dans les bras accueillants du PTB, c’est le fossé existant entre le discours des socialistes tendance Marcourt et leurs actes.

Un écart salarial de 1 à 400

Le 26 novembre 2017, le PS a adopté, au Congrès de Liège, 170 propositions « pour un futur idéal ». La proposition n°68 prône la « limitation de la tension salariale : le rapport entre la plus petite et la plus haute rémunération ne peut dépasser quinze ». En d’autres termes, le boss d’une entreprise ne pourra gagner au maximum que quinze fois le salaire de son employé le plus en bas de l’échelle. La proposition du PS précise : « Afin de limiter les inégalités, cette mesure sera immédiatement d’application dans le secteur public, en ce compris au sein des sociétés à participations publiques ».

Chez Publifin-Nethys, où le PS liégeois a toujours fait la pluie et le beau temps, l’écart salarial est de l’ordre de … 1 à 400. Le patron, Stéphane Moreau, gagnerait pas loin d’un million d’euros brut par an. Pendant des années, il a toujours pu compter sur le soutien actif de Jean-Claude Marcourt, qui n’ignorait rien du salaire himalayesque de son protégé. Marcourt a voté, docilement, la proposition n°68 sur la limitation des inégalités salariales. Moins par conviction que par souci d’être « dans l’air du temps ».

Il existe un problème Marcourt

Il existe un problème Marcourt et il serait temps que le PS fédéral s’en préoccupe sérieusement. Le numéro un du socialisme liégeois devrait jouer un rôle moteur dans l’éloignement de la bande à Moreau du management de Nethys. Il n’a jamais joué ce rôle moteur. S’il bouge aujourd’hui, et semble prêt à demander, comme la fédération liégeoise du PS, un départ de Moreau & Co, c’est davantage contraint et forcé que par conviction rénovatrice. Marcourt, l’homme qui savait tout et a tout laissé faire, n’a pas la taille pour endosser les habits d’un vrai rénovateur.

Dans un entretien accordé au « Vif », en octobre 2012, Jean-Claude Marcourt a déclaré que « le PTB est un danger pour la démocratie ». En saccageant la belle idée de l’initiative industrielle publique, en ne sifflant pas la fin de la récréation chez Publifin-Nethys, le patron des socialistes liégeois fait un beau cadeau à ce parti « stalinien » qu’il exècre. Chaque matin en se rasant, Raoul Hedebouw lance, avec son inimitable accent liégeois, un tonitruant : « Merci, hein, Jean-Claude » !

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