Carte blanche

Pourquoi l’apprentissage de l’anglais devrait-il se faire au détriment de l’autre langue nationale ?

 » Laid, difficile et inutile « , c’est ainsi que les jeunes francophones qualifient le néerlandais, selon un récent article du Morgen et du Vif. Et on pourrait tout aussi bien titrer que les jeunes néerlandophones trouvent le français  » idiot, compliqué et superflu « …

Tant du côté flamand que du côté francophone, la deuxième langue nationale a mauvaise presse. L’anglais est considéré comme la langue « cool » : celle d’aujourd’hui, qui permet de parcourir le monde. Il est heureux que les jeunes souhaitent apprendre l’apprendre, mais cela doit il se faire au détriment de l’autre langue nationale ?

Car il existe de nombreuses bonnes raisons d’apprendre la langue de l’autre communauté linguistique du pays. Même ceux qui rêvent d’une Flandre ou d’une Wallonie indépendante (et soyons clairs : ce n’est pas notre cas), doivent admettre qu’il n’y aura jamais de mur entre les Régions. Il y aura toujours des échanges, qu’ils soient économiques, culturels, ou simplement humains. Qui a déjà parcouru l’Europe sait pertinemment qu’il vaut mieux avoir des notions d’autres langues que l’Anglais. Et même en Belgique, ne serait-ce que pour trouver un job, être multilingue est un atout.

Nos enfants ne sont sans doute pas encore conscient de leur profil sur le marché de l’emploi. Ni même de l’étendue du monde qui s’offre à eux. Mais nous, comme parents, comme enseignants, nous le savons. Nous devons donc nous poser la question : pourquoi nos filles et nos garçons préfèrent apprendre l’anglais plutôt que le néerlandais ou le français ?

u0022Rendons l’apprentissage du néerlandais et du français plus sexy ! Changeons la manière de l’enseigner !u0022

C’est sans doute pour deux raisons principales. A commencer par l’image que nous avons l’un de l’autre. Trop souvent les hommes et les femmes politiques parlent de leurs « amis de l’autre côté de la frontière linguistique » avec un rien de condescendance et plus encore de méfiance, et nourrissent les clichés. A la longue, la répétition de ces préjugés finit par porter atteinte à l’envie même de se rencontrer. Nous le deplorons. Groen et Ecolo Bruxelles avons d’ailleurs décidé d’un programme d’action commun,  » #samenensemble », pour mieux nous connaître et travailler ensemble. Nous nous rendons compte chaque jour que nous avons plus de choses en commun que ce que nous imaginions Pourquoi nos écoles n’agiraient-elles pas en ce sens ? Pourquoi ne cherchons nous pas un correspondant pour chaque élève de l’autre côté de la frontière linguistique ? Par exemple.

La deuxième raison tient certainement à la manière dont on enseigne le français ou le néerlandais dans nos écoles. Apprendre l’anglais, c’est sympa, nous l’avons dit. C’est motivant, En regardant des films, en écoutant des chansons ou en lisant des BD, les jeunes s’y essayent spontanément. Souvenons-nous de ces adolescents qui traduisaient Harry Potter plus vite que le traducteur officiel ! Avant même de commencer les cours à l’école, beaucoup d’élèves se débrouillent déjà un peu en anglais. Tandis que le néerlandais et le français s’apprennent… à l’école et via la grammaire et des listes de vocabulaire. A l’ancienne en somme. Rares sont les classes où on parle vraiment l’autre langue. Souvent parce que les enseignants, qui ne sont pas des « native speaker »s, ont eux-même appris la langue cible de cette manière. On entend plus souvent parler de cours de langue où les élèves ont appris à distinguer « de of het » ou « le ou la », que de cours où ils ont pu raconter des histoires en néerlandais ou en français. Dans nombre d’écoles flamandes, les jeunes de 15 ans doivent lire Cyrano de Bergerac ou le Comte de Monte Christo. Il s’agit indiscutablement des chefs d’oeuvre de la littérature… mais ce n’est peut-être pas précisément ceux qu’on choisirait pour enthousiasmer des jeunes à apprendre le français… non ? Et combien d’élèves francophones ont-ils entendu parler des livres de Marc de Bel[1] ?

Si l’anglais est tellement populaire auprès des enfants, c’est surtout parce qu’ils l’apprennent sans s’en rendre vraiment compte, en faisant autre chose . Ils n’étudient pas l’anglais : il regardent un chouette film, écoutent une chanson à la mode ou lisent un manga. C’est pourquoi nous plaidons pour la méthode CLIL (Content and Language Integrated Learning / En français: Enseignement d’une matière par intégration d’une langue étrangère ou EMILE). En deux mots: il ne s’agit pas d’apprendre le français ou le néerlandais, mais d’apprendre l’histoire, la géographie, les sciences… en néerlandais ou en français. Cette méthode existe évidemment déjà et porte ses fruits. Le professeur Piet Van de Craen de la VUB ne cesse d’en vanter les succès.

Parce que c’est l’évidence. C’est comme ça qu’on apprend sa langue maternelle. Spontanément. C’est donc de cette manière qu’on doit aussi apprendre les autres. Cela enrichit d’ailleurs même l’usage de sa propre langue ! Hélas, ces méthodes sont encore restreintes à quelques écoles privilégiées. Trop d’enfants continuent de suivre des cours de langues traditionnels et moins efficaces. Soyons ambitieux! Chaque enfant devrait être trilingue à 18 ans.

Incontestablement, on peut faire mieux !C’est pourquoi nous lançons cet appel : rendons l’apprentissage du néerlandais et du français plus sexy ! Changeons la manière de l’enseigner ! Laissons les élèves parler, jouer, découvrir dans l’autre langue, même par essais-erreurs. Et encourageons les, surtout, à se faire de vrais amis de l’autre côté de la frontière linguistique.

Bruno De Lille, Chef de groupe Groen au Parlement bruxellois

Barbara Trachte, députée bruxelloise, cheffe de groupe au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles

[1]Marc de Bel est… un écrivain flamand de livres de jeunesse 😉

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