Olivier Mouton

Philippe, le monarque protocolaire

Olivier Mouton Journaliste

En cinq cents jours de règne, le nouveau Roi a impulsé une nouvelle dynamique: très actif, mais politiquement moins visible. Cadré de près par son entourage, il amorce le virage vers un autre type de monarchie.

On attendait Philippe au tournant, lui que l’on a longtemps dit inapte à exercer la fonction de Roi malgré une très longue préparation. Après cinq cents jours de règne, tout le monde salue un parcours quasiment sans fautes, à l’heure où les quatre chaînes de télévision nationale vont diffuser (ce soir sur RTBF, RTL et VRT, dimanche sur VTM) un documentaire très « people » sur sa vie au Palais et en famille.

Plus fondamentalement, le fils d’Albert a surtout donné un ton nouveau à la fonction, qui la rapproche d’une monarchie protocolaire. Avec un résultat remarquable: 70% des Flamands lui font confiance, la républicaine N-VA limite ses attaques contre la Cour et le nombre d’incidents concernant sa famille – innombrables par le passé – a notablement diminué.

Monté sur le trône le 21 juillet 2013 suite à l’abdication de son père, Philippe piaffait pourtant d’impatience à l’idée d’exercer enfin le métier pour lequel on l’avait formé et inquiétait le monde politique. Le virage était délicat, dans un pays à peine stabilisé suite à la plus longue crise de son histoire. Philippe s’était en outre distingué antérieurement par ses velléités interventionnistes, sa sortie très politique contre l’extrême-droite ou son souci permanent pour les bonnes relations linguistiques à travers le fonds qui portait son nom. Tout le crédit revient au gouvernement Di Rupo d’avoir géré la passation de pouvoir dans le calme et avec une maîtrise parfaite. La désignation aux côtés du nouveau Roi de l’un des diplomates les plus chevronnés du pays, Frans van Daele, fut sans conteste un coup de génie. Pour tempérer ses élans et préserver à tout prix la neutralité qui s’impose au chef d’Etat d’un pays à ce point complexe.

Le premier test politique grandeur nature ne fut pas une mince affaire, mais l’obstacle fut contourné sans embuches. Suite aux élections régionales et fédérales du 25 mai dernier, notre fédéralisme de plus en plus prononcé s’est trouvé confronté à une situation inédite: tensions à tous les étages au sud du pays, majorités asymétriques et, surtout, formation d’un gouvernement fédéral en présence d’un parti ouvertement séparatiste et d’une seule formation francophone. Philippe a été à l’initiative de la désignation du nationaliste Bart De Wever comme premier informateur, on l’imagine à contre-coeur, puis a été contourné formellement à plus d’une reprise dans l’annonce des décisions lors de la double mission de Charles Michel (information, puis formation). Il s’est contenté d’un accompagnement discret en coulisses via des contacts informels menés par l’entremise de son cabinet. Le Roi a respecté la décision d’une majorité en Flandre et n’a même pas bronché lorsque des ministres N-VA ont prêté serment en faisant le « V » de la victoire.

Couardise ? Volonté stratégique de se rendre sympathique aux yeux des citoyens du Nord du pays? Respect, habituel dans le chef du Palais, des désirs du CD&V? Souhait non-dit de voir émerger une alternative de centre-droit ? Si tout cela a peut-être joué un rôle, il y a surtout l’acceptation d’un fait établi: si le Roi continue à jouer un rôle dans ces moments décisifs de la vie politique, il doit être en permanence couvert politiquement. Aucun geste du Roi n’est réellement issu de sa volonté propre. C’est un symbole, rien de plus.

En « laissant faire » la Suédoise, même s’il n’avait pas d’autre choix, Philippe a joué un coup de maître: il a adopté un profil bas face à une opinion publique flamande a priori suspicieuse. Aussi, quand il a reçu à déjeuner au Palais voici dix jours le gouvernement Michel, dont ses ministres N-VA, il a précisément donné un signal clair: ce pays, s’il veut continuer à exister, doit intégrer les expressions démocratiques de sa majorité. L’avenir dira s’il s’agit là d’un pari audacieux ou d’une naïveté sans nom. De même, en prenant le pli de recevoir désormais en audience les ministres-présidents régionaux, Philippe intègre la dimension nouvelle du pays, ce fédéralisme mature que son oncle Baudouin n’avait accepté que du bout des lèvres.

Oui, Philippe est peut-être le premier Roi vraiment protocolaire de la Belgique. Son père Albert, derrière ses allures débonnaires, fulminait parfois ou tapait du poing sur la table, à l’image de son irritation très politique lorsque la crise institutionnelle s’éternisait. Philippe est davantage en réserve, lisse, discret, voire, selon certains, dépassé parfois par les événements. Mais en rien il n’a entaché jusqu’ici la fonction, là où son père avait été fragilisé par la non-reconnaissance de sa fille naturelle Delphine.

En restant prudent, Philippe a coupé l’herbe sous le pied de ceux qui rêvent de voir la fonction royale disparaître

Pour autant, Philippe ne reste pas inactif. « On a retrouvé un roi à plein-temps », souligne même Vincent Dujardin, historien spécialiste de la monarchie. A titre d’exemple, à l’agenda de ce début de semaine, il y avait des audiences politiquement significatives avec le ministre de la Défense Steven Vandeput (N-VA), le Premier ministre Charles Michel, la ministre de la Mobilité Jacqueline Galant (MR) ou la ministre francophone Joëlle Milquet (CDH). La famille royale continue à se déployer sur le terrain de la vie associative ou culturelle. Et la reine Mathilde, dont le rôle est incontestablement primordial dans le sans-faute actuel de son mari, rayonne.

En devenant un monarque protocolaire, en intégrant sans broncher la diminution de moyens financiers octroyés à la Cour, Philippe a fait beaucoup pour préserver la monarchie, ne fut-ce que temporairement. L’a-t-il modernisée pour autant? Pas vraiment, tant la marge de manoeuvre est étroite. Pas question, par exemple, d’une interview en bonne et due forme dans les documentaires télévisés qui vont être diffusés. Trop risqué, a fortiori pour un Roi loin d’être à l’aise dans ses expressions. Le palais royal reste une maison hors du temps, même si le roi et la reine sont aussi des parents « comme les autres ». Par contre, le nouveau Roi et son entourage ont « professionnalisé » la fonction. Bruxelles et Laeken semblent désormais gérés, et plus abandonnés aux humeurs d’un Albert qui se rêvait davantage dans le Sud de la France qu’au balcon national.

Tout cela n’empêchera sans doute pas la résurgence de questions plus fondamentales au sujet du rôle et de la pertinence de la monarchie en cas d’évolution confédérale du pays. La prochaine échéance électorale de 2019 (si le gouvernement tient jusque-là) réveillera sans doute des démons enfouis.

En restant prudent, Philippe a, à tout le moins, coupé l’herbe sous le pied de ceux qui rêvent de voir la fonction disparaître. Ce n’est pas le moindre des mérités d’un monarque protocolaire dont la maladresse était légendaire.

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