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Neuf vérités qui dérangent sur le chômage

Le Vif

Les chômeurs sont en congés payés. Les chômeurs de longue durée sont des paresseux et des profiteurs. Si l’on veut vraiment travailler, on trouve toujours un emploi, y compris les prépensionnés. On connaît les idées reçues sur le chômage, mais correspondent-elles à une vérité?

Hans De Witte, professeur en psychologie du travail à la KULeuven, étudie les conséquences du chômage depuis 30 ans et suit de très près les études internationales à ce sujet. Il évoque neuf vérités qui dérangent :

1. Le chômage désocialise

De Witte: « Le travail possède des fonctions invisibles. Un emploi permet de structurer sa vie et d’entretenir des contacts sociaux en dehors de son foyer et sa famille. Il détermine l’identité. On est ce que l’on fait. Quand on se présente aux autres, on parle de sa fonction ou de son emploi. Dans le cas du chômeur, c’est donc une partie importante de son identité qui disparaît. D’une façon ou d’une autre, les gens qui travaillent livrent un produit. Les enseignants permettent à des jeunes d’étudier, les ouvriers fabriquent des voitures, des vêtements, des machines. Les employés administratifs font en sorte que leur organisation soit bien huilée. Tous les travailleurs possèdent des capacités qu’ils utilisent au boulot. En outre, le travail permet de se développer, d’améliorer ses compétences et de bénéficier d’une reconnaissance sociale. On contribue à la société. Mais toutes ces fonctions cachées n’apparaissent que quand on se retrouve au chômage, les travailleurs en ont à peine conscience ».

2. Les personnes qui postulent beaucoup perdent leur équilibre

Pour retrouver rapidement un emploi, il faut postuler, beaucoup postuler. La députée de la N-VA Zuhal Demir a déclaré récemment : « S’ils (les chômeurs) voient qu’ils n’arrivent plus à payer leurs factures, ils feront plus d’efforts ».

De Witte: « Non seulement c’est une simplification extrême, mais ce n’est pas vrai. On a étudié l’impact d’une menace de suspension par l’ONEM. Eh bien, cette menace ne stimule pas à chercher du boulot. Malheureusement, ce genre de déclarations politiques ne fait que stigmatiser davantage les chômeurs. Plus ils sont stigmatisés, moins ils trouveront du travail et plus leur bien-être en souffrira. On peut faire de son mieux et beaucoup postuler, mais le chômeur n’a pas d’emprise sur le résultat. Se voir à chaque fois éconduit ou ne pas obtenir de réaction du tout donne l’impression au chômeur de perdre l’emprise sur sa vie ».

3. Plus la période de chômage se prolonge, plus le bien-être en souffre

De Witte: « Les études prouvent deux choses. Un : plus la période de chômage se prolonge, plus le bien-être en souffre. Deux : le bien-être tombe d’abord vers son point le plus bas avant de se stabiliser parce qu’on s’adapte à la situation. Bref, on se résigne et on apprend à vivre avec moins de revenus. On se sent un peu mieux, mais le premier niveau de bien-être ne revient pas. C’est le côté poignant et paradoxal du chômage de longue durée. Le chômeur de longue durée doit s’adapter à sa situation, mais comme il s’adapte, ses chances de trouver un travail s’amenuisent encore. S’adapter aide à survivre, mais n’aide à pas à s’extraire du chômage. On se retrouve dans un cercle vicieux.

4. Les hommes souffrent plus du chômage de longue durée

De Witte: « En Belgique et aux Pays-Bas les hommes souffrent un peu plus des conséquences du chômage que les femmes, notamment parce que les femmes au chômage retrouvent plus facilement leur rôle dans le foyer. Ce rôle leur permet de structurer leur vie et leur donne le sentiment d’être utiles même si les femmes souffrent aussi du chômage. Par ailleurs, il s’avère que les hommes au chômage qui se chargent de plus de travaux domestiques se sentent mieux. L’impact du chômage dépasse l’individu. Le chômage génère également des tensions dans la famille et l’entourage social. Dans les foyers où le père est au chômage par exemple, les enfants obtiennent de moins bons résultats à l’école et courent davantage de risque de se retrouver au chômage plus tard ».

5. Le chômage rend malade

De Witte: « Le chômage entraîne des problèmes physiques et psychiques. Le sentiment de bonheur recule et l’amour-propre s’amenuise. Une étude démontre que les chômeurs se trouvent confrontés à tout une gamme de problèmes physiques, habituellement combinés à des troubles psychiques. Il existe même une étude qui démontre qu’après un temps les chômeurs se brossent moins les dents que les travailleurs. Le risque de décès des chômeurs augmente, pas seulement de maladies mortelles, mais aussi de suicide. Le travail permet de rester en bonne santé. Je ne peux pas donner de chiffres, mais le chômage coûte une fortune à la société. Non seulement il y a les coûts de soins de santé, mais le talent gaspillé a également son coût ».

6. Le chômage est plus pénible pour les gens d’âge moyen que pour les jeunes.

De Witte: « Le chômage est plus problématique pour les gens d’âge moyen que pour les jeunes et les plus âgés. Ces derniers ont une carrière derrière eux et seront pensionnés à relativement court terme. Pour les personnes d’âge moyen, le chômage est plus problématique, en premier lieu pour des raisons financières. Ils doivent entretenir une famille, rembourser un emprunt, payer les études des enfants, etc. À cet âge, ils ont des besoins matériels que n’ont plus les plus âgés et que les plus jeunes n’ont pas encore. En outre, ils ont plus de prestige à perdre. Quand on se retrouve au chômage, l’impression de n’avoir aucune issue pèse plus lourd. Pour les jeunes, ces facteurs jouent un rôle moins important. Ils n’ont pas encore de carrière et habituellement ils ont moins de responsabilités que le groupe d’âge moyen ».

7. Le chômage est plus pénible pour les personnes peu qualifiées

Même si en chiffres absolus un ouvrier sans emploi perd moins qu’un employé au chômage, la situation est plus pénible pour les personnes peu qualifiées. Leurs congénères hautement qualifiés tiennent mieux le coup et restent plus actifs. Généralement, ils bénéficient d’un réseau de contacts plus large et ont donc plus de chances de trouver un travail. Ils relativisent plus. Par exemple, ils ne disent pas qu’ils sont « sans emploi » mais « entre deux boulots » ou à la recherche « d’un nouveau défi ».

Les gens peu qualifiés voient surtout leur emploi comme un moyen d’acquérir une sécurité matérielle qui leur permet de s’épanouir en dehors de leur travail. S’ils n’ont plus cette sécurité, ils ont évidemment un problème gigantesque. Tous ces aspects rendent le chômage relativement plus pénible pour les ouvriers que pour les employés ».

8. Le chômage entraîne (parfois) une radicalisation

De Witte: « Dans les années nonante, nous avons étudié pourquoi une petite minorité de personnes au chômage ou qui ont un emploi peu sûr se détournent de la politique. Nous avons en effet constaté qu’ils votaient blanc ou nul. Mais lors de la montée du Vlaams Blok dans les années 90 ils ont décidé de voter pour ce parti. Quand on travaille, on peut se sentir utile pour la société et on n’éprouve plus de besoin de radicalisation. La précarité et le chômage peuvent donc certainement jouer un rôle auprès des jeunes qui partent pour la Syrie ».

9. Le chômage découle d’un échec collectif

De Witte: « Le chômage est considéré comme un échec individuel. Si une entreprise licencie un petit groupe, il s’agit d’un phénomène collectif. La politique actuelle souligne surtout la responsabilité individuelle. Par conséquent, les gens se sentent encore plus victimes de circonstances qu’ils n’ont pas du tout en main et leurs problèmes ne font que s’empirer.

Il y a quelque temps, j’ai élaboré une typologie de chômeurs de longue durée. J’ai distingué une petite catégorie de « retirés », l’exemple type de personnes qui ne veulent pas travailler et à qui le statut de chômeur ne pose pas de problème. C’est le groupe le plus controversé, car ils sont régulièrement qualifiés de profiteurs. Il s’agit d’un tout petit noyau qui comprend des jeunes qui veulent un peu profiter de la vie ou voyager avant d’entamer leur carrière, de personnes qui s’occupent d’un enfant malade ou d’un membre de la famille ainsi que les chômeurs qui se débattent dans un divorce. Provisoirement, ces personnes ne sont pas intéressées par un emploi. Dès que le problème conjugal est réglé, que leur proche est guéri ou décédé, ou qu’ils ont suffisamment voyagé ils se rendent sur le marché de l’emploi. Pourtant, la politique vise surtout cette catégorie, en supprimant les allocations d’attente ou en limitant les allocations de personnes qui s’occupent d’un proche. Alors, oui, parfois mes cheveux se hérissent quand j’entends certaines déclarations politiques sur le chômage et les chômeurs ».

Jan Lippens

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