Integrale, première entité du groupe Nethys à attaquer le décret wallon. © Hatim Kaghat/ID photo agency

Les quatre vérités de la bonne gouvernance

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Après les scandales Publifin et Samusocial, le monde politique veut se racheter une conduite à grand renfort de « transparence ». Mais est-ce vraiment la condition d’une gestion plus efficace ? Autopsie en quatre temps.

Les uns exigent de la lumière, enfin, dans les cénacles jugés opaques gravitant autour et auprès du pouvoir. Les autres regrettent un poujadisme systématique accompagnant, désormais, le regard inquisiteur porté sur les mandataires publics. Onze mois après le scandale Publifin en Wallonie, six mois après celui du Samusocial à Bruxelles, le monde politique doit gommer cette étiquette de suspect par défaut pour combler le large fossé qui le sépare des citoyens. Transparence, contrôle, cadastres, essorage de mandats… Dans les communes et les gouvernements, la chasse aux réformes est lancée, avec plus ou moins de bonne volonté, feinte ou sincère. Une réponse nécessaire, mais encore partielle, selon l’objectif poursuivi : bonne gouvernance ? Contrôle démocratique ? Voici les quatre vérités qui sous-tendent la révolution en cours. Et autant de raisons de maintenir l’effort.

1. La publicité plutôt que la transparence

Elle est appelée à s’immiscer partout : dans le portefeuille des élus, dans leurs mandats et les décisions qui en dépendent. En scannant les pouvoirs publics sous le prisme de la transparence, le résultat serait inévitablement frustrant.  » Elle suppose une absence totale de médiation, souligne John Pitseys, chargé de recherches au Crisp, le Centre de recherche et d’information socio- politiques. Or, nous vivons dans un monde fait de représentations. La transparence est donc fondamentalement inaccessible. Le plaidoyer pour cet idéal nourrit paradoxalement un sentiment de méfiance à l’égard des institutions et construit des malentendus sur ce que l’on attend d’une démocratie.  »

John Pitseys préfère donc la notion de publicité qui consiste, elle, à rendre accessible à tous des informations jugées pertinentes pour évaluer la décision politique.  » On peut alors débattre sur la portée de ce qui doit être rendu public.  » Vingt-trois ans après la loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l’information, le débat a toujours lieu. Les dérives chez Publifin et au Samusocial seraient précisément le fait d’une absence de publicité, donc de contrôle démocratique sur leur fonctionnement. Les cadastres des mandats et des rémunérations apportent une réponse, mais incomplète.  » Tout ce qui contribue à l’intérêt des citoyens pour ces structures, comme le fait d’ouvrir les assemblées générales au public, mérite aussi d’être analysé.  »

2. L’accès à l’information n’est pas un gage de bonne gouvernance

Invoquée à tort et à travers, la bonne gouvernance n’est pas directement liée à la publicité, ni même au contrôle démocratique.  » La bonne gestion consiste à assurer la pérennité des institutions et à produire des décisions efficaces, rationnelles, économes, en lien avec l’intérêt général « , rappelle John Pitseys. Dans le cas du processus de constitution d’un gouvernement, son éventuel caractère public ne le rendra pas nécessairement plus efficace.  » A l’inverse, certains considèrent que la publicité des décisions peut contribuer à un meilleur usage des deniers publics.  » Même si le seul critère de réduction des coûts dans les services publics, sur lequel le MR ne cesse d’insister en Wallonie, semble réducteur, voire contre-productif, selon la finalité recherchée.  » L’intérêt porté à l’efficience budgétaire des mesures peut aussi se faire au détriment de leur efficacité « , note l’expert du Crisp.

Le cas de Publifin serait révélateur.  » Si on évalue l’intercommunale à l’aune de ses résultats financiers, il est permis de penser qu’elle n’est pas mal gérée. Stéphane Moreau (NDLR : patron de Nethys, filiale de Publifin) aurait beau jeu de dire que son entreprise fonctionne bien et dégage de larges bénéfices et qu’en matière de bonne gouvernance, il n’a de leçons à recevoir de personne. La gouvernance peut aussi se traduire par une capacité à limiter les risques dans la gestion. Sur cette base-là, même une institution qui produit des résultats financiers positifs peut être critiquée si son mode de gestion s’avère à ce point autocratique ou se voit confié à un conseil d’administration incompétent. Mais en réalité, c’est moins en termes de gouvernance que de contrôle démocratique que ces questions se posent.  »

John Pitseys (Crisp) :
John Pitseys (Crisp) : « La transparence est fondamentalement inaccessible. »© DR

3. La gouvernance idéale n’existe pas

 » Il y a mille manières de traduire ce principe de bonne gouvernance, relève John Pitseys. Et elles sont souvent conflictuelles.  » Les argumentaires qui s’opposent concernant la (dé)politisation des intercommunales seraient ainsi tous deux recevables, d’après ce spécialiste en théorie et en philosophie politique.  » Certains disent que le corps souverain doit avoir un regard sur la gestion des deniers publics ; d’autres, s’appuyant sur le cas Nethys/Publifin, invoquent la question de la compétence de ceux qui y siègent. En général, ce débat se clôture par un entre-deux : on fait siéger des acteurs politisés et des administrateurs indépendants. Compromis qui n’a rien d’idéal : dans les faits, ces derniers ne seront pas nécessairement plus impliqués ni apolitiques.  »

Une ambivalence tout aussi criante par rapport au nombre de mandats, coeur d’enquête des Brussels Papers. Une plateforme comme Transparencia, très critique sur cette question, appréhende la politique dans une logique de coûts- bénéfices.  » Un tel discours entre bien dans le champ de la gouvernance, commente John Pitseys. Mais je comprends qu’un échevin juge plus efficace pour sa mission le fait de tenir plus de rênes.  »

4. Le nombre des mandats est un faux problème

Sous l’angle du contrôle démocratique, réduire le nombre de mandats s’apparenterait à un faux problème. Comme cette logique  » assez factice « , selon l’expert, qui consiste à opposer bons mandats gratuits et mauvais mandats rémunérés.  » Quand les partis sont contraints de choisir entre limite du nombre de mandats ou décumul financier, ils choisissent toujours le deuxième. Parce qu’un mandat est d’abord une question de répartition et d’occupation des structures de pouvoir.  »

D’où cette synthèse :  » Il n’y a pas nécessairement trop de mandats. Le véritable enjeu en matière de gouvernance, c’est de savoir s’il y a un nombre adéquat de mandats remplis par les personnes adéquates. En ce qui concerne la démocratie, c’est de savoir s’ils font l’objet d’un contrôle correct et si leur répartition s’avère équilibrée. Le pire serait que des incompétents gèrent de manière obscure un grand nombre de mandats. Dans le meilleur scénario, les structures seraient soumises à un contrôle citoyen, gérées par les personnes adéquates, sans qu’elles n’exercent pour autant une mainmise sur l’institution concernée.  » Tout l’inverse des syndromes Publifin-Samusocial.

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