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Les imams et professeurs de religion islamique empêchent les jeunes musulmans de dormir

Montasser AlDe'emeh
Montasser AlDe'emeh   Montasser AlDe'emeh étudie la radicalisation islamique, le jihad international et les combattants belges en Syrie. (Université Radboud de Nimègue)  

Les imams et professeurs de religion islamique font peur aux jeunes musulmans. C’est du moins ce qu’a constaté Montasser AlDe’emeh dans plusieurs écoles bruxelloises. Ses conclusions, qu’il a rassemblées pour Knack, aboutissent à un appel aux responsables musulmans belges : « Prenez vos responsabilités ».

« Si vous avez bien vécu, vous aurez une tombe confortable, à l’instar d’un jardin paradisiaque, en attendant le jour du jugement dernier. Mais si vous n’avez pas vécu selon les prescriptions religieuses, votre tombe se rapetissera et vous serez torturé après votre mort. » Ce sont là les paroles d’élèves de première année de l’Athénée d’Anderlecht. Je leur demande comment ils savent cela. Très vite, il s’avère qu’ils « l’ont entendu dire » : par leurs parents et les membres de leur famille, les imams, les professeurs de religion islamique et les écoles du Coran.

– « À quel point êtes-vous certains de ces idées? »

– « C’est écrit dans le Coran. »

– « L’avez-vous lu vous-même? »

– « Non »

Après le cours, les élèves me posent des questions pendant deux heures. Les uns après les autres, ils envoient un sms à leurs parents pour leur dire qu’ils doivent rester à l’école. Ils meurent d’envie d’être rassurés, de voir réfuter leurs angoisses.

« Quand j’ai entendu ces histoires de tortures dans la tombe, j’ai été choqué », déclare Erik Van Den Berghe, directeur de l’Athénée. « On ne peut élever des jeunes dans un environnement qui favorise la peur. Notre école se focalise sur la citoyenneté active. À l’aide de projets concrets, on apprend à nos élèves à vivre ensemble, quels que soient leur sexe, leur orientation sexuelle, leurs convictions ou leur origine ethnique. Et cela fonctionne, surtout parce que nous soulignons quatre valeurs clés : le respect, la responsabilité, l’ouverture et la sollicitude. »

Jacky Goris, le directeur général de l’enseignement communautaire néerlandophone bruxellois, est également alarmé par ce que je lui raconte. Il a fondé une équipe pour lutter contre la radicalisation de jeunes bruxellois et endiguer l’influence de prédicateurs de haine. Depuis le début de l’année scolaire, je fais partie de cette équipe. À la demande de Goris, j’ai visité, en plus de l’Athénée d’Anderlecht, d’autres écoles bruxelloises. Là aussi, j’ai organisé des discussions en classe autour de la pensée critique. Je voulais que les enfants expliquent pas à pas comment ils avaient abouti à ces idées.

« Un bébé borgne »

Rapidement, une conclusion s’est imposée: la peur est un facteur méconnu dans la lutte contre l’aliénation et la radicalisation (violente). Et il s’est avéré que la peur des élèves musulmans de l’Athénée d’Anderlecht est largement partagée.

À l’école De Weg-Wijzer d’Evere, je commence par demander aux enfants de sixième primaire de quoi ils ont peur. Sans rien omettre, une élève me récite les présages de la fin du monde : « Les hommes se comporteront et s’habilleront comme les femmes, et les femmes comme les hommes. Les enfants n’auront plus de respect. Il y aura des maladies. Pendant quarante jours, un nuage obscurcira la Terre. L’ange de la mort soufflera dans une corne. Et un bébé borgne naîtra : l’antéchrist. » Quand elle a fini, elle éclate en sanglots.

Quand je demande qui a peur la nuit, plus de la moitié des élèves lèvent le doigt. Pour eux, « être un bon musulman » signifie surtout : avoir peur d’Allah, avoir peur de mourir la nuit avec la perspective assurée d’être torturé dans sa tombe – car évidemment, il arrive à chacun de transgresser les règles. Un garçon qui s’est régulièrement bouché les oreilles durant la discussion, vient me dire après le cours : « Mais je suis musulman, non ? » Ce qui signifie « il faut bien que je croie en ces choses. » Une jeune fille me raconte qu’elle laisse filmer son GSM pendant qu’elle dort, pour vérifier qu’il n’y a pas de mauvais esprits dans sa chambre : « J’ai peur qu’ils entrent dans mon corps. »

Endoctrinement YouTube

D’où vient cette vision du monde formée par la peur? Le moins que l’on puisse constater c’est que ceux qui sont le mieux placés pour rassurer les enfants, les imams et les professeurs de religion islamique de nos écoles, ne le font pas. Ils ne contredisent pas les histoires d’horreur. Pourquoi ? Parce qu’ils y croient eux-mêmes? Ou souhaitent-ils entraver la libération intellectuelle des jeunes musulmans, afin de continuer à les contrôler ? Le fait est que leur endoctrinement crée une culture de la peur. Parmi les enfants qui n’ont pas reçu le capital culturel pour relativiser et comprendre leurs histoires, mais aussi parmi certains adultes.

Surfez sur YouTube, tapez les mots « châtiment dans la tombe » et vous aurez une série de vidéos sans équivoque. Plus les clips sont « concrets », plus ils sont sponsorisés. Ou prenez les vidéos qui circulent depuis la mort en 2000 du célèbre musicien saoudien Talal Maddah: à les entendre, la tombe de Maddah est remplie de serpents qui le harcèlent depuis des années. La vidéo doit permettre aux imams de mettre leur public en garde contre les conséquences de la musique, qu’on en joue ou qu’on en écoute. Et les conséquences de ces campagnes ne se font pas sentir uniquement en Arabie saoudite : l’année dernière, Jacky Goris a dû témoigner de la façon dont les élèves musulmans bruxellois refusent les cours de musique, parce qu’ils trouvaient la musique haram.

Après le Coran, l’islam possède une deuxième source de base, le hadith : les traditions relatives aux paroles et aux actes du prophète Mohammed. Et ces traditions parlent souvent de châtiment dans la tombe. Une majorité d’érudits musulmans, chez nous aussi, les considère comme authentiques et fiables. Du coup, les musulmans ne savent pas qu’elles contredisent totalement le Coran. L’histoire de la version islamique de l’antéchrist – le faux messie ou Imposteur (al-Dajjâl) – de la fille de l’école primaire De Weg-Wijzer provient du livre de l’Ancien Testament « Daniel et le hadith », et non du Coran.

L’ignorance comme norme

Alors que le Coran souligne la miséricorde au lieu du châtiment, les imams, les érudits musulmans et les prédicateurs font l’inverse. Leur dureté, basée à tort sur « ce qu’aurait dit le prophète », impose des nuits sans sommeil aux enfants musulmans et les éloigne de notre société. Les imams contemporains évoquent un islam « rationnel », « européen », et même « belge ». Avec eux, on aurait pris un tournant positif. En réalité, ils ne sont même pas capables de distinguer le hadith-déchet. Du coup, c’est l’ignorance qui prévaut dans la communauté musulmane.

En 2015, j’ai discuté pour Knack avec les parents de Abdelmalek Boutalliss, un jihadiste courtraisien de dix-neuf ans qui s’est fait exploser en Irak. Sa mère a témoigné des peurs qui s’étaient emparées de son fils. « Quelques mois avant son départ, je l’ai entendu pleurer dans son lit. Je lui ai demandé ce qu’il passait : ‘J’ai peur d’Allah et j’ai peur d’aller en enfer après ma mort’, m’a-t-il répondu. ‘Mais qu’as-tu fait de si grave’, lui ai-je demandé. Il ne savait pas. »

De Courtrai à Maasmechelen, en passant par Hoogstraten et Arlon, aujourd’hui, il y a des dizaines de milliers de jeunes musulmans belges qui ont peur de vivre. Qui en est responsable ? Qui est responsable de la radicalisation de nos jeunes ? Qui est responsable de l’absence d’une approche juste, humaine, réaliste, rationnelle et moderne de l’islam ? Les imams, les érudits musulmans, et les prédicateurs sont responsables. Je les appelle à prendre leurs responsabilités. Laissez les enfants être des enfants. Les citoyens de ce pays, qui se sont déjà libérés des sombres prophéties catholiques, ne sont pas prêts à assister sans broncher à l’inculcation de la peur et de sentiments de culpabilité à leurs enfants – c’est criminel. Le temps des Lumières islamiques est venu, il est temps de donner un forum aux voix critiques et rationnelles.

Mettons que vous soyez un jeune musulman en quête d’identité dans notre société laïque. Il n’y a pas de dirigeants musulmans qui prennent leurs responsabilités. On vous dit qu’après la mort on vous torturera dans la tombe. Ils disent qu’il n’y a qu’une seule issue : mourir en martyr, car les martyrs sont les seuls qui échapperont au châtiment. Moi je vous appelle à vous orienter vers l’avenir. Devenez pilote, astronaute, mathématicien ou médecin. Croyez en vous, et prenez vos responsabilités, sans traîner. Et une fois pour toutes : après votre mort, vous ne serez pas torturé. Il n’y aura pas d’antéchrist.

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