Luc Barbé

Le second front de la N-VA

Luc Barbé Observateur du paysage politique belge et membre de Groen

Récemment, je disais à un ami wallon que beaucoup de sympathisants de la N-VA se trouvent progressifs et qualifient souvent les syndicats de conservateurs. Mon ami m’a regardé d’un air étonné. Pour lui, la N-VA est un parti conservateur et les syndicats sont progressifs.

D’où vient cette différence de perception ? Pendant des années, la N-VA s’est profilée comme « la force du changement. » Je ne sais si cette politique du gouvernement flamand et fédéral a été un succès. Mais le changement a réussi dans les « coeurs et les esprits » de nombreux Flamands. Le deuxième front de la N-VA, une offensive culturelle de plusieurs années, fait en sorte que de beaucoup de Flamands observent la réalité avec un cadre de références qui est plus à droite. Influencés par la N-VA, ils interprètent différemment les notions conservateur et progressif. Cela peut entraîner des conséquences à court et à long terme, pour la Flandre et l’avenir de notre pays.

Les politiques veulent exercer le pouvoir, et réaliser leur programme. Nous le voyons tous les jours dans l’actualité. Les journalistes, faiseurs d’opinions et de nombreuses personnes l’analysent et le commentent. Une deuxième partie du travail politique est moins visible et on lui accorde beaucoup moins d’attention. Les politiques tentent d’influencer l’opinion des électeurs et de changer la façon dont les électeurs regardent la réalité. Quand il y a une grève des bagagistes à l’aéroport de Bruxelles National, les électeurs se sentent-ils d’abord solidaires avec les grévistes ou éprouvent-ils de la sympathie pour les voyageurs qui manquent leur avion ? Certains électeurs ont une opinion tranchée.

La N-VA est en train de changer les coeurs et les esprits des Flamands

Ils sympathiseront toute leur vie avec les bagagistes alors que la sympathie d’autres ira sans nul doute aux voyageurs bloqués. Cependant, beaucoup d’électeurs ont une position mitigée. Leur sympathie peut changer. En fonction du contexte socio-économique et de la force de persuasion des partis et d’autres acteurs de la société, leur sympathie va aux employés en grève ou aux voyageurs en rade. Les partis qui réussissent à faire changer le regard des gens sur la réalité obtiendront de meilleurs résultats aux prochaines élections. La campagne électorale sera lors une affaire de récolte et de travail presté. Ces dernières années, la N-VA est en train de changer les coeurs et les esprits des Flamands, soutenue par une série de faiseurs d’opinions flamands, de think tank et d’organisations telles que la VOKA.

« Notre prospérité est menacée! Elle est menacée par l’absence d’une réponse à la menace de la mondialisation. Nous devons instaurer d’importantes réformes socio-économiques. L’Union européenne, l’OCDE, le FMI…, ils le disent tous depuis des années. Malheureusement, les syndicats conservateurs l’ont bloqué. C’est dangereux pour la prospérité de six millions de Flamands. Il faut réformer sans attendre ! » La N-VA a raconté cette histoire des milliers de fois, en de multiples variantes, utilisant les meilleures techniques de « story telling. » Certains Flamands adhèrent à ce discours, et du coup ils trouvent la N-VA progressive et les syndicats conservateurs. Les résultats électoraux de 2010 et 2014 l’illustrent. Mais il ne s’agit pas que de comportement électoral aux élections. Il y a un changement de coeur et d’esprit parmi de nombreux Flamands. C’est un point de départ excellent pour une prochaine campagne électorale réussie de la N-VA.

Cette « offensive culturelle » se poursuit à un rythme élevé, avec d’importants nouveaux chapitres. En Flandre, les élèves intelligents sont victimes du système d’enseignement actuel, car ils ont trop peu d’attention pour déployer leurs talents, déclarent les experts en enseignement de la N-VA. Nous devons accorder plus d’attention à ces élèves, disent-ils. Une partie de la classe moyenne flamande prend ça pour de l’argent comptant. L’amalgame que fait la N-VA de l’islam, la migration, l’asile et les questions de sécurité est pire encore. Pour la N-VA, l’identité doit être l’enjeu des élections en 2018 et 2019, mais selon leur analyse où la N-VA se profile comme seule véritable défenderesse de « nos valeurs » contre les grandes menaces.

Une fois, c’est l’islam la menace, une autre fois ce sont les migrants ou les demandeurs d’asile et régulièrement la N-VA associe adroitement islam et nouveaux venus, de sorte que de plus en plus de Flamands sont persuadés que l’enjeu des prochaines élections c’est la défense de notre civilisation contre l’islam et les migrants. Sp.a, Groen et CD&V représentent l’approche soft et naïve, et la N-VA s’érige en seul parti qui « fait son devoir de manière sévère et juste ». Aussi réductionniste et populiste cette communication soit-elle, ce schéma d’analyse s’infiltre progressivement dans de nombreux salons flamands. La présence de la N-VA dans le gouvernement fédéral joue un rôle très important. Non seulement, un ministre de l’Intérieur et un secrétaire d’état à l’Asile et à la Migration apparaissent beaucoup plus dans les médias qu’un chef de groupe de l’opposition par exemple, mais ils parlent avec beaucoup plus de légitimité. Le ministre Jan Jambon et le secrétaire d’état Theo Francken jouent un rôle clé dans le second front de la N-VA.

Aussi n’est-il pas étonnant qu’après quatre ans au gouvernement, la N-VA dépasse souvent les 30% dans les sondages. Les électeurs ne jugent pas seulement si les partis tiennent leurs promesses, ils se laissent aussi séduire et mobiliser par un discours joliment construit qui touche à leurs peurs et à leurs attentes. La N-VA ne réalise donc pas seulement une partie de son programme au gouvernement flamand et fédéral, elle bâtit tous les jours à une Flandre qui pense plus à droite, analyse et décide, où ces Flamands s’éloignent des francophones. Cela ne signifie pas nécessairement que la gauche en Flandre s’affaiblira électoralement, mais que les électeurs du centre se rapprocheront de la droite et que les électeurs de droite vireront encore plus à droite. Formellement, la N-VA a gelé son programme communautaire pendant cinq ans, mais ainsi les francophones et les néerlandophones s’éloignent l’un de l’autre. Pour les nationalistes flamands, cette évolution est la base parfaite pour mobiliser en faveur d’un nouveau chapitre dans le développement de la nation flamand, et de l’affaiblissement de la Belgique fédérale.

Luc Barbé

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire