Conservateur ou libéral, le MR d'aujourd'hui ? © NICOLAS MAETERLINCK/BELGAIMAGE

Le MR a-t-il perdu son âme en s’associant avec la N-VA ?

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

La réponse est nuancée. Sur le terrain socio-économique, le parti de Charles Michel reste globalement libéral. Sur les questions de société, il est devenu plutôt conservateur.

 » Ce ne sont plus des libéraux, mais des conservateurs !  » L’attaque contre le MR, frontale, émane de Jean-Marc Nollet, chef de groupe Ecolo, en pleine affaire des réfugiés soudanais, qui a secoué le gouvernement fédéral ces dernières semaines.  » Y a-t-il encore de vrais libéraux du côté francophone ?  » enchaîne Kristof Calvo, son alter ego de Groen.  » Le MR a abandonné ses valeurs dans son alliance avec les nationalistes flamands « , appuie Olivier Maingain, président de DéFI. Le MR est-il donc encore libéral ? L’image renvoyée par le soutien, sur le fond, du Premier ministre, Charles Michel, à son secrétaire d’Etat en charge de l’Asile et la Migration, Theo Francken (N-VA), a définitivement brouillé les cartes. Du moins, aux yeux de l’opposition.  » Accusation superficielle qui ne résiste pas à l’analyse, défend Corentin de Salle, directeur du centre Jean Gol, le centre d’études du parti. Il ne faut pas être dupe : ceux qui la mènent ont un intérêt politique à le faire.  » Pour tenter de grappiller des voix  » libérales sociales « .

A l’analyse, si le MR ne s’est pas transformé en monstre après son alliance avec la N-VA, il a néanmoins approfondi sous cette législature une évolution entamée au début de la décennie, avec la transformation du PRL en MR. Charles Michel, le fils, a un profil plus  » droitier  » et conservateur que Louis Michel, le père. Et cela se confirme dans les faits.

Les libéraux
Les libéraux  » pur jus  » devraient prôner la politique des frontières ouvertes.© NICOLAS MAETERLINCK/BELGAIMAGE

Economie : libéral, oui, mais…

En matière socio-économique, le  » gouvernement MR – N-VA « , tel qu’il a été rebaptisé par les socialistes francophones, serait l’expérience ultime d’un  » néolibéralisme antisocial  » contre lequel les syndicats n’ont pas de mots assez durs. Manuela Cadelli, présidente de l’Association syndicale des magistrats, y voyait même, l’an dernier, une idéologie conservatrice et totalitaire, digne du fascisme :  » L’économie a proprement assujetti les gouvernements des pays démocrates.  »  » Le libéralisme le plus classique, celui de Friedman ou de Hayek, prône l’autorégulation de l’économie par les acteurs privés, constate plus sobrement Pascal Delwit, politologue à l’ULB, auteur d’une somme consacrée à 170 ans de libéralisme en Belgique (éd. de l’Université de Bruxelles, 2017). Le gouvernement Michel adopte une logique de désétatisation assez conforme à cette pensée.  » Le MR et la N-VA sont en outre soudés par une alliance objective : tous deux veulent réduire le poids des pouvoirs publics, par conviction idéologique. Et, dans le cas des nationalistes, pour dépecer progressivement l’Etat belge. Avec le communautaire au frigo.

Véhémentes la première année, les critiques ont baissé d’un ton cette année, même si le rejet de la suédoise reste profond, à gauche.  » Au début, l’opposition nous accusait d’être trop libéraux, rappelle Corentin de Salle. Cette critique s’est estompée parce qu’on a créé 170 000 emplois en trois ans ! Voilà pourquoi elle s’attaque désormais aux personnes, en affirmant que Charles Michel ne serait pas le vrai Premier ministre. Pourtant, nul ne peut contester les chiffres obtenus par une avalanche de mesures authentiquement libérales : diminution linéaire des dépenses publiques de 20 %, réforme en profondeur des pensions, réduction des charges patronales et de l’impôt sur les sociétés, résorption de notre handicap salarial… Et on emprunte le même chemin en Wallonie.  » L’affirmation fait grincer les opposants, pour qui cette politique créerait surtout des emplois précaires, rognerait sans cesse les acquis sociaux, tandis que la croissance resterait sous la moyenne européenne. Bref, le libéralisme aurait abandonné le label  » social  » brandi des années durant par Louis Michel.

Il est loin le temps où Louis Michel se battait pour le droit de vote des étrangers aux communales

 » Le libéralisme est naturellement social, rétorque Corentin de Salle. Voilà pourquoi Olivier Chastel ne rappelle plus sans cesse ce mot. L’action du gouvernement Michel vise à protéger l’avenir de la sécurité sociale, sans reporter la facture sur les prochaines générations.  » Refrain connu. Pour John Pitseys, philosophe politique au Centre de recherche et d’informations socio-politiques (Crisp), l’action socio-économique de la suédoise s’inscrit bien dans la vaste palette de conceptions du libéralisme, qui va de la droite dure au centre social.  » Mais l’essentiel de ses mesures vise à défendre les institutions capitalistes et à favoriser les classes moyennes supérieures « , prolonge-t-il. Autrement dit : elles sont aussi stratégiques. Et, à ce titre, pas forcément libérales. La preuve ? Sur la réforme de l’impôt des sociétés, le gouvernement a même réussi à irriter l’Union des classes moyennes, qui défend les intérêts des petits indépendants. Un comble.

En cette fin de législature, Charles Michel devrait renouer avec un libéralisme plus social grâce à son pacte d’investissements, qui entend promouvoir de grandes dépenses publiques.  » Il y a des domaines où le libéralisme conçoit qu’elles sont nécessaires, souligne Pascal Delwit. Songeons aux infrastructures de transport : ports, gares, aéroports, indispensables à la circulation des biens et des personnes. Des interventions sont également nécessaires en fonction des cycles économiques. C’est ainsi que Keynes, un libéral, a développé l’idée d’un soutien public à l’économie en cas de crise par une politique de grands travaux.  »  » Keynes était davantage un social-démocrate qu’un libéral, tempère Corentin de Salle. On ne retrouve pas dans le pacte d’investissements de Charles Michel cette idée qu’il faudrait relancer la consommation par de grandes dépenses publiques. Cela s’inscrit davantage dans l’exercice normal de l’Etat.  » Nuance.

Il reste, enfin, un domaine, au coeur de l’actualité, où le MR se trouve en porte-à-faux avec ses idéaux : l’énergie. Le pacte négocié par la ministre fédérale, Marie-Christine Marghem (MR), ne serait guère libéral tant il repose sur des interdits en tous genres (diesel, mazout…).  » Sa mise en oeuvre pourrait être beaucoup plus libérale que le projet actuellement sur la table, convient Corentin de Salle. Mais cette politique sera le fruit d’un compromis entre quatre gouvernements, composés de toutes les couleurs politiques.  » Ah, cette politique belge qui lisse les idéologies !

Corentin de Salle (centre Jean Gol) :
Corentin de Salle (centre Jean Gol) : « Au début, l’opposition nous accusait d’être trop libéraux. »© DENIS VASILOV/BELGAIMAGE

Société : conservateur, avant tout

En matière sociétale, le MR est malmené. Accusé de renoncer à ses grands principes. A raison, souvent. Controversée, la politique d’asile  » ferme, mais humaine  » de Theo Francken (N-VA) suscite le malaise en interne et renouvelle la fureur de l’opposition. Tant elle est emblématique. Il est loin le temps où Louis Michel se battait pour le droit de vote des étrangers aux communales. C’était au début des années 2000. On dirait qu’il y a un siècle…

Sur le fond, la gestion du dossier par Theo Francken, soutenue par Charles Michel, s’inscrit bien sûr dans la continuité de celle de Maggie De Block (Open VLD), sous le gouvernement Di Rupo. Mais le politologue gantois Carl Devos n’avait-il pas affirmé à l’époque, déjà, que cette femme ultrapopulaire menait  » davantage une politique nationaliste que libérale  » ?  » La position du MR et de l’Open VLD, au même titre que celle d’autres partis libéraux européens comme le VVD de Mark Rutte aux Pays-Bas, s’écarte sur bien des points du libéralisme philosophique d’origine, confirme Pascal Delwit. Aux xviiie et xixe siècles, celui-ci marquait l’avènement d’un régime de libertés : de conscience, d’opinion, d’expression, de presse, de propriété… On s’en éloigne. Mais la question sur laquelle le MR est le plus en porte-à-faux est celle de la libre circulation des personnes. En vertu du libéralisme, ce devrait être un droit fondamental.  » Traduisez : les libéraux  » pur jus  » devraient prôner la politique des frontières ouvertes.  » Les entreprises ne sont pas loin d’y être favorables car cela amène de la main-d’oeuvre, des talents et cela engendre une pression à la baisse des salaires « , poursuit le politologue.

Lors de la transformation du PRL en MR, l'idée était de créer une coupole capable d'abriter différentes sensibilités.
Lors de la transformation du PRL en MR, l’idée était de créer une coupole capable d’abriter différentes sensibilités.© DIDIER LEBRUN/PHOTO NEWS

Qu’en pense-t-on au MR ?  » Les libéraux ont toujours été très attachés à la politique d’asile, peste le directeur du service d’études du parti. C’est faux de prétendre le contraire. Nous avons quand même accueilli, de façon très humaine, 17 000 personnes en 2016 et 15 000 en 2017. C’est davantage que les gouvernements précédents, même si c’est bien sûr dû, en grande partie, à la crise syrienne. Or, on n’a jamais accusé le gouvernement Di Rupo d’être un gouvernement nazi. La seule différence entre Maggie De Block et Theo Francken, c’est qu’il a une communication désastreuse, populiste, excessive.  » Le secrétaire d’Etat a d’ailleurs été recadré par le Premier ministre, qui lui a conseillé d’être  » plus nuancé « . Mais au congrès de la N-VA, le dimanche 14 janvier, Francken a été longuement applaudi. Son parti a accueilli 600 membres de plus en douze jours. Faire de la fermeté un leitmotiv fonctionne, et le MR le sait.

Pour autant, Corentin de Salle reconnaît, à titre personnel, que la ligne gouvernementale n’est pas conforme à la doctrine.  » Dans un monde libéral idéal, il faudrait permettre une liberté totale d’émigrer ou d’immigrer. Dans le monde actuel, c’est une utopie qui n’est pas réalisable. Ouvrir les frontières de la sorte provoquerait un appel d’air ingérable. Mais les penseurs libéraux, comme Friedman ou Hayek, proposaient qu’on achète ce droit ou qu’on élabore un système transitoire. On pourrait, par exemple, ne pas avoir accès à la sécurité sociale, si ce n’est au droit à l’éducation ou aux soins d’urgence, tant qu’on n’est pas un contributeur net à la sécu.  » En d’autres termes, on supprimerait les frontières nationales pour les recréer autour de l’Etat-providence.  » Ce système serait moins hypocrite que l’actuel. J’espère qu’on y arrivera, parce que l’Europe a besoin de main-d’oeuvre étrangère.  »

 » L’affaire des Soudanais expulsés, et peut-être torturés, se trouve au centre des contradictions possibles du MR « , décode John Pitseys. Le parti affirme qu’il défend les droits fondamentaux, mais le subordonne à la sécurité et à la cohésion nationale. Ce ne devrait pas être le cas.  » Le philosophe du Crisp épingle d’autres dossiers qui mettent en doute le caractère libéral du MR :  » La politique en matière de lutte contre le terrorisme tend à restreindre la protection de la vie privée et à accentuer la confusion entre les fonctions de police et de renseignement. En matière de signes religieux, le MR n’a plus, là non plus, une attitude très libérale, ce qui est davantage le cas d’Ecolo. Le libéralisme rejette a priori l’idée d’un Etat paternaliste, qui détermine la façon dont les gens se comportent dans l’espace public. Or, le MR veut interdire le port de certains vêtements ou signes ostentatoires dans la rue. Enfin, de manière plus anecdotique mais ô combien symbolique, le libéralisme insiste sur la séparation des pouvoirs. Mais pour des raisons très pragmatiques, le MR a plaidé en faveur de la transaction pénale, comme on a pu le voir dans le cadre du Kazakhgate.  » Pour soigner leurs prébandes, les politiques seraient prêts à tout.

« Un parti attrape-tout »

Pascal Delwit (ULB) :
Pascal Delwit (ULB) : « Le gouvernement Michel adopte une logique de désétatisation assez conforme à la pensée libérale. »© HATIM KAGHAT/ID PHOTO AGENCY

Le MR, au fond, est plus conservateur qu’il ne veut bien l’avouer ? Ce n’est donc pas un hasard s’il colle la N-VA aux basques ?  » Il veut être le parti du bon sens, celui qui exprime l’opinion de la majorité silencieuse « , analyse John Pitseys. C’est une conséquence de l’air du temps, qui privilégie le repli sur soi et l’Etat protecteur.  » Beaucoup de partis libéraux européens ont convergé vers les partis conservateurs, acquiesce Pascal Delwit. Parler de partis « conservateurs » ne signifie pas d’ailleurs qu’ils ne veulent pas faire bouger les choses. Il suffit de regarder la N-VA pour s’en assurer.  »

C’est, aussi, le fruit de la réflexion stratégique lancée sous la présidence de Daniel Ducarme, père de l’actuel ministre Denis Ducarme, entre 1999 et 2003.  » Lors de la transformation du PRL en MR, l’idée était de créer une vaste coupole capable d’abriter différentes sensibilités, de la droite au centre, pour faire barrage au PS, rappelle John Pitseys. C’est un parti attrape-tout au sein duquel on retrouve des libéraux et des conservateurs, des laïcs et des catholiques, des belgicains et des régionalistes… De temps en temps, il sort la carte du libéralisme pour se présenter comme réformateur ou progressiste.  » Certains, comme Georges-Louis Bouchez, propulsé délégué général du parti, sont là pour rappeler que le MR peut aussi être rock’n’roll. Mais ils ne sont en réalité que des faire-valoir.

Ce serait, enfin, un passage obligé pour tendre vers l’objectif historique.  » Le libéralisme est un idéal vers lequel il reste encore un long chemin à parcourir, admet Corentin de Salle. Mais il faut remonter loin dans l’histoire du pays pour trouver un gouvernement aussi libéral que celui qui officie aujourd’hui depuis 2014 au niveau fédéral. On peut en dire autant du gouvernement wallon mis en place il y a cinq mois.  »

Mais la vraie raison de ce décalage entre les fondements du libéralisme et l’action quotidienne du MR réside peut-être ailleurs, estiment tous nos interlocuteurs : les doctrines politiques, en 2018, se sont diluées dans un monde où les repères ont disparu. Et où la nécessité de plaire à tout prix donne souvent lieu à toutes les compromissions.

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