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Le budget de Bruxelles Propreté dérape et fâche le gouvernement

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

La direction de l’agence régionale de propreté a engagé ou changé le statut de dizaines de ses salariés sans l’aval de sa tutelle… et sans disposer du budget ad hoc. Du coup, Fadila Laanan, secrétaire d’Etat à la propreté publique, est contrainte de demander un solide supplément budgétaire au gouvernement, alors que les syndicats menacent de partir en grève à la rentrée.

C’est peu dire que cette demande a jeté un froid, en plus d’un solide trouble, autour de la table du gouvernement bruxellois : le 12 juillet dernier, la secrétaire d’Etat bruxelloise à la Propreté publique, Fadila Laanan (PS), a demandé 15 millions d’euros de budget supplémentaire au profit de Bruxelles Propreté, pour les années 2018 et 2019. Ce montant devrait principalement servir à couvrir de nouveaux recrutements, dont certains se sont effectués sans que le cabinet de tutelle n’ait été averti. « Fadila Laanan, placée devant le fait accompli, était plutôt embêtée lors de la présentation de ce point au gouvernement bruxellois », témoignent plusieurs sources proches de l’exécutif.

Courroucé, le gouvernement bruxellois a demandé à Fadila Laanan de préparer une note justifiant cette substantielle augmentation de budget et détaillant l’affectation de cette éventuelle manne supplémentaire. Cette note sera présentée lors de la réunion de l’exécutif qui se tiendra ce jeudi 19 juillet. Le cabinet de Fadila Laanan nous a confirmé que « le gouvernement discutera jeudi d’une augmentation du budget de Bruxelles-Propreté. Celle-ci servira essentiellement à couvrir les dépenses liées à l’augmentation du personnel en 2018 ». Cette année, le budget initial de Bruxelles Propreté s’élevait à 171,2 millions d’euros.

Certes, la réforme des collectes des déchets, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2017, a rendu nécessaire l’engagement de personnel supplémentaire. Depuis lors, Bruxelles Propreté a d’ailleurs engagé 202 personnes, pour un effectif total qui s’élève actuellement à 2916 agents, tous statuts confondus, détaille-t-on à l’agence. Malgré cela, en raison de la cadence des nouvelles tournées de ramassage, les accidents du travail ont augmenté de 33% et les accidents de roulage, de 22%. « Ces chiffres sont à analyser en tenant compte du fait que les nouveaux agents sont forcément inexpérimentés, insiste le cabinet Laanan, et que la réforme des collectes est un défi logistique complexe auxquels les agents ont dû s’adapter ».

Mais l’augmentation de budget demandée par le cabinet Laanan doit aussi servir à « stabiliser une série de contrats dits précaires, et permettra de faire face à des besoins dans le Recypark de Forest, de nettoyer les sites propres de la Stib et de renforcer les services administratifs suite à l’augmentation du nombre d’agents opérationnels », y précise-t-on. Concrètement, 270 contrats à durée déterminée ou sous statut précaire ont déjà été transformés en contrats à durée indéterminée. Sur le terrain des projets évoqués, 16 personnes, dont quatre encadrants, ont déjà été engagées pour assurer le fonctionnement du Recypark de Forest ; 21, dont 5 encadrants, ont été recrutées pour le projet Stib et 15 autres, pour renforcer les services administratifs. Pour une partie au moins de ces postes – l’information précise ne peut être obtenue ni au cabinet Laanan, ni chez Bruxelles Propreté – aucun budget n’avait été prévu. « C’est bien là le problème, confie une source gouvernementale, car dès lors que ces recrutements ou changements de statut ont été réalisés, on ne peut plus faire marche arrière ». Au cabinet Laanan, on confirme: « Oui, la Ministre a été placée devant le fait accompli. Mais il s’agit d’engagements qui répondent à des besoins réels et qui ont peut-être été mal évalués au départ par la direction. » Combien d’engagements ont-ils été réalisés hors autorisations de crédit ? « C’est difficile à dire sans plan de personnel, répond le cabinet Laanan. Le principe de l’ajustement budgétaire réside justement dans le fait de rectifier le budget réel en fonction de paramètres difficiles à évaluer lors de l’élaboration du budget initial. »

L’Agence Bruxelles Propreté, organisme d’intérêt public de type A, dépend directement de son ministre de tutelle et est dépourvue de conseil d’administration comme, d’ailleurs, de contrat de gestion. Toutefois, à l’avenir, l’agence ne pourra plus procéder à ce type de recrutement ou de régularisation sans aval de sa tutelle, grâce au plan de personnel qui sera également soumis au gouvernement ce jeudi. « Jusqu’ici, cet outil n’était pas obligatoire mais nous avons jugé devoir l’imposer à l’agence afin de permettre un suivi rigoureux et une transparence totale sur les mouvements de personnel », précise le cabinet Laanan. Voilà qui est éloquent.

« S’il se confirme qu’il s’agit là d’une initiative de la direction de Bruxelles Propreté, qui a mis sa tutelle devant le fait accompli, des mesures devraient être prises à son encontre car cette direction est responsable d’une grave dérive », estime-t-on dans le cénacle gouvernemental. Au sein de l’exécutif, on n’apprécie que très modérément cet épisode. « Tous les départements, du coup, vont devoir se serrer la ceinture, alors que nous sommes tous attentifs à la moindre dépense », maugrée un ténor du gouvernement. « Le ministre président Rudi Vervoort (PS) a demandé à chacun s’il pouvait aider à sortir de ce dossier par le haut, par solidarité », relate un autre.

Le sujet est d’autant plus sensible que le SLFP, syndicat majoritaire au sein de Bruxelles Propreté, a déposé un préavis de grève, qu’il renouvelle de trois mois en trois mois, pour appuyer sa demande de recrutements supplémentaires. « La Région devrait payer si elle veut éviter un conflit social majeur à la rentrée, avec des sacs poubelles s’entassant dans les rues de la capitale, à quelques semaines des élections communales », soupire un cador. Lors des trois jours de grève récemment organisés à la SNCB, le personnel de Bruxelles-Propreté avait suivi le mouvement à 35%, alors que la grève était menée « portes ouvertes », c’est-à-dire sans piquet de grève. « C’était un avertissement, lance Michel Piersoul, délégué permanent SLFP. Mais si rien ne change, en septembre, je ferme tout, avec des piquets. On va faire des grèves lourdes ».

Seule consolation pour le gouvernement : les deux audits annoncés chez Bruxelles Propreté. L’un relatif à la séparation comptable des activités de service public et commerciales que mène parallèlement l’agence, et dont les flux financiers ne sont pas distingués dans une comptabilité analytique; l’autre, plus vaste, sur le fonctionnement, la structure et la gestion générale de cet organisme public. Le cahier des charges de ces deux audits est en voie de finalisation. Les marchés devraient être attribués aux alentours du mois d’octobre. « A l’issue de ces audits, la direction de l’ABP sera sans doute remise en question, avance une source proche du gouvernement. Bruxelles Propreté est un enfant malade. Et Fadila Laanan ne la contrôle pas ». Interrogé sur la question d’une éventuelle sanction de la direction, le cabinet Laanan a laconiquement répondu: « Vous comprendrez que nous ne souhaitons pas aborder ce point dans la presse. »

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