Stavros Kelepouris

« Le bilan de Theo Francken est particulièrement maigre »

Stavros Kelepouris Journaliste pour Knack.be

Theo Francken continue à refuser de délivrer un visa à une famille syrienne. Les juges sont éloignés de la réalité, et les procédures d’appel sont entièrement épuisées. Notre confrère de Knack Stavros Kelepouris s’interroge sur l’attitude de Francken. « Il est particulièrement cynique que Francken veuille limiter les possibilités des demandeurs d’asile. »

Le Secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration Theo Francken (N-VA) refuse de délivrer un visa aux membres d’une famille syrienne. Francken va en cassation – la plus haute instance de recours de notre pays- tant contre l’arrêt que contre les astreintes imposées. Pendant ce temps, la N-VA reproche au pouvoir judiciaire d’être éloigné de la réalité. Une déconfiture pour un Secrétaire d’État désireux de limiter les procédures d’appel pour les étrangers.

Rappelons les faits: le Conseil du Contentieux des Étrangers (CCE) a imposé au cabinet de Francken de délivrer un visa aux membres d’une famille syrienne. À cela s’est ajoutée une astreinte. Francken a fait appel des deux décisions : une procédure civile contre les astreintes, et un appel en cassation auprès du Conseil d’État contre l’obligation de délivrer un visa.

Une telle procédure en cassation ne se prononce pas sur le contenu de l’arrêt, mais sur la légalité de l’arrêt : dans ce cas, le cabinet conteste le droit du CCE de prendre une telle décision. Généralement, le pourvoi en cassation n’a pas d’effet suspensif, et l’arrêt reste donc valable et exécutoire, même si Francken s’y oppose.

La première procédure en appel n’a rien donné pour le cabinet de Francken : les astreintes ont été maintenues. Là non plus, le Secrétaire d’État ne compte pas s’y conformer, car il a annoncé qu’il irait en cassation. L’appel en cassation contre le deuxième volet, l’arrêt du CCE, peut se faire d’attendre. D’après Eric Brewaeys, magistrat de presse au Conseil d’État, une petite année. Payer des astreintes de 1000 euros par membre de la famille pendant un an, allez expliquer ça au contribuable.

Pour le cabinet Francken, l’autre option est bien pire, car céder à l’arrêt reviendrait à ouvrir les frontières. Dans le passé, Francken a parlé de la « faillite du système d’asile », et a mis en garde :  » je devrais donner la possibilité à tous les candidats réfugiés de venir en Belgique avec un visa. »

Pas de valeur de précédent

Cette déclaration est à classer à la verticale, la motivation derrière l’arrêt du CCE n’étant pas toujours connue. Celui-ci a pris sa décision après que la famille ait demandé un visa à trois reprises, et que le juge ait balayé trois fois le refus du gouvernement, parce qu’il n’était « pas suffisamment motivé », explique Chantal Bamps, présidente du CCE au quotidien De Standaard. À trois reprises l’état n’a donc pas réussi à expliquer pourquoi il refusait le visa.

« C’est aller beaucoup trop loin que de susciter l’impression que désormais le Conseil du Contentieux des Étrangers imposera un visa dans chaque affaire », déclare Bamps. Selon la législation belge, un visa humanitaire n’est jamais un droit, mais une faveur. C’est justement pour cette raison que c’était la toute première fois que le CCE imposait la délivrance d’un visa. « On n’impose pas un visa à la légère », a-t-elle ajouté.

L’avocate de la famille syrienne s’est montrée moins diplomatique : « Je pense que soit Francken est mal informé sur la portée de cet arrêt, soit c’est une prochaine étape destinée à rendre toute forme de migration impossible. »

Practice what you preach, secrétaire d’état

Au fond, Francken et son parti se moquent un peu de ce que le pouvoir judiciaire a à dire. Jeudi, la N-VA a même lancé une attaque de front contre ce pouvoir. « Pas de juges éloignés de la réalité » – le langage dans le pamphlet diffusé sur Twitter était clair.

Entre-temps, Francken continue tout de même à épuiser tous les recours. Francken va également en cassation contre les astreintes reconfirmées – la plus haute instance de recours de notre pays, et donc le dernier espoir du secrétaire d’État. Y a-t-il du mal à ça ? Bien sûr que non : la procédure doit pouvoir suivre ses cours, et les recours servent être à épuisés.

Bien entendu, il est particulièrement cynique que Francken ait plaidé en faveur d’une limitation de ces possibilités d’appel de demandeurs d’asile. Le secrétaire d’État estime qu’aujourd’hui il arrive encore trop souvent qu’un demandeur d’asile ignore son expulsion en entamant ce genre de procédures. Practice what you preach : nous le recommandons vivement au secrétaire d’État.

Le bilan de Theo Francken est particulièrement maigre

Un soupçon de valeur de précédent; une attaque contre la séparation des pouvoirs; une série interminable et hypocrite de procédures d’appel. C’est un bilan bien maigre pour un secrétaire d’État.

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