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La défense technique de Bernard Wesphael enfoncée par le médecin légiste

Une nouvelle semaine sensible s’annonce au procès Wesphael, avec la déposition d’Oswald De Cock et des voisins de la chambre 602.

Qui a gagné, qui a perdu ? Au début de la deuxième semaine du procès Wesphael, le jeu reste ouvert. Aux interruptions d’audience, la coagulation d’individus sur le parvis exposé au doux soleil d’automne des « cours de justice » de Mons est un indicateur de tendance. Les parties civiles (la famille de la victime) gagnent du terrain. Elles sont très entourées et, de jour en jour, Me Philippe Moureau sourit au monde entier. Il y a toutefois un biais à cette observation. Un déséquilibre. La soeur aînée et le cousin de Véronique Pirotton commentent les débats lorsque les micros se tendent. Jean-Philippe Mayence a férocement interdit au clan Wesphael d’en faire autant. Réduire au silence Jean Thiel, l’ami de Seraing, aussi voyant qu’un oiseau de paradis dans le petit groupe sombre des Wesphael, voilà une sévère punition. Pressées contre lui, l’ex-épouse et la fille de l’accusé donnent l’image d’une famille qui s’aime. A distance. Un bon point pour la défense.

A l’intérieur de la salle d’assises, Me Mayence est incontestablement le plus brillant et le plus habile. Dans son acte de défense où, d’indignation, sa voix s’envolait dans les aigus, il a dénoncé les fuites du dossier dans les médias. « Les jurés auront pu constater que la défense s’est abstenue, lors de la préparation de ce dossier, d’émettre le moindre commentaire sur le fond du dossier… ». Ce n’est pas faux sans être totalement vrai. Le 10 avril 2014, la défense a médiatisé le rapport des « conseillers techniques » de l’accusé, premier jalon d’une stratégie visant à semer le doute sur les causes du décès, soit, la possibilité d’une intoxication alcoolo-médicamenteuse de la victime plutôt que la violence du partenaire.

La voix apaisante, un physique d’acteur, de brefs sourires décochés du côté des témoins (jamais vers le jury, son vrai public), Me Mayence s’est emparé de l’attention de la salle. A ce stade, on ne peut pas en dire autant de Me Moureau, plus flou, auquel le procès pénal n’offre quasiment aucun rôle. Responsable de l’accusation, l’avocat général, Alain Lescrenier, est économe de ses interventions. Le mercredi 21 septembre dernier, il a relevé trois éléments nouveaux dans le discours de Bernard Wesphael : ce dernier aurait entendu « un coup sourd » dans la salle de bain, Véronique Pirotton « avait fait des chutes les jours précédents », il ne l’a pas saisie aux poignets, mais lui a fait une clé de bras. Lui aussi pose ses jalons.

Avec ses « popopop » destinés à ramener le calme, ses larges sourires alternant avec des coups de latte, le président de la cour d’assises, Philippe Morandini, tient son monde. Les jurés n’ont posé qu’une seule question, la semaine dernière, mais ils écoutaient attentivement. Le procès n’est pas encore entré dans sa phase la plus chaude. Tout le monde attend la prestation d’Oswald De Cock (Decock, selon l’acte d’accusation), l’amant de Véronique Pirotton, celui qui a orienté la justice brugeoise vers la thèse de l’assassinat (préméditation). Oswald-Wesphael: une homonymie inversée de deux hommes s’estimant les légitimes propriétaires de la même femme.

Les échanges entre journalistes se font parfois vifs

Jusqu’à la détruire ? Les observateurs sont divisés. Les échanges entre journalistes se font parfois vifs dans la salle de presse installée dans un coin de la salle des pas perdus. Il n’y a pas les « believers » (culpabilité) versus les « non believers » (innocence ) comme l’étaient les tenants du « réseau » ou du « prédateur isolé » dans l’affaire Dutroux. La ligne de fracture se situe plutôt entre les « believers » convaincus à 100 % de la culpabilité de Bernard Wesphael et ceux qui font profession de rester impartial ou d’épouser respectueusement les méandres du procès, en se mettant dans la peau d’un jury qui découvre le dossier à l’oral, comme le veulent les assises. Dans le premier groupe se trouve Marc Metdepenningen, du Soir, dont le fil Twitter est très suivi et qui débite le procès par petites phrases, parfois accompagnées d’une photo, sur la base de son importante documentation. Il a expérimenté ce procédé lors du procès de Geneviève Lhermitte, en 2008, suivi en direct par 35 000 personnes. Egalement de ce groupe, Christine Calmeau, de RTL-TVI, qui, dans deux émissions Indices, a pris la défense de Véronique Pirotton et chargé le suspect. En raison de quoi, la défense ne ménage pas ses coups de fil à la direction générale de RTL-TVI.

S’en tenant à une ligne plus neutre, la RTBF a interdit à l’un de ses journalistes, autrefois employé par la télévision communautaire liégeoise RTC de témoigner du geste violent auquel il aurait assisté, voici une quinzaine d’années, lors d’un voyage de presse : Wesphael intimant le silence à une ex-compagne en la tirant par les cheveux. Vrai ou faux ? Témoignage tardif, en tout cas, rejeté par le président Morandini. Liège est un petit monde. Tout le monde se connaît et les réseaux d’amitié, intimement connectés avec celui des médias, ont contribué à mettre sur la place publique des éléments de vie privée qui n’auraient jamais dû sortir. Véritable Moniteur de l’affaire Wesphael, La Meuse (groupe Sud-Presse), après avoir été violemment anti-Wesphael (sa Une : Assassin lui a été suffisamment reprochée), alterne désormais les points de vue différents. Si le drame a eu lieu à Ostende, il s’est noué dans sa cour, à Liège. Les quotidiens flamands suivent aussi l’affaire de près. La justice brugeoise n’a pas été épargnée par les critiques, y compris, en Flandre. Les premiers jours du procès n’ont pas été à son avantage. Trop d’imprécisions, pas assez d’assurance. En traduction simultanée, pour ne rien arranger.

Une « violence brutale » suivie d’une mort par étouffement

Jeudi soir, le Dr Hubert Floré, l’un des deux médecins légistes ayant procédé à l’autopsie de Véronique Pirotton, a redressé magistralement la barque. Jusqu’à présent, le plus bel exercice oratoire du procès. Si la défense espérait semer le trouble dans les esprits en produisant ses trois conseillers techniques, les Dr Jean-Pol et François Beauthier, le Pr Jan Tytgat (KUL), leur effet a été anéanti par la contre-attaque fulgurante du Dr Floré. En français et sans papier.

Lors de sa présentation, le Dr François Beauthier s’était largement écarté de son propre rapport, lequel « n’excluait pas formellement l’intervention d’un tiers », qualifiant de « tache ardue » l’établissement de la cause de la mort de Mme Pirotton », tout en présentant comme « l’ hypothèse » la plus valable « l’intoxication alcoolo-médicamenteuse létale ». Souvent appelé devant les tribunaux, l’expert avait débuté son exposé par une remarque incongrue sur les fauteuils en ordre de la chambre 602 (sous-entendu : après une bagarre, ils auraient été renversés) et poursuivi par un cours d’anatomie avant d’arriver à sa conclusion d’une mort par intoxication à l’alcool et aux médicaments ayant entraîné un déficit respiratoire, volontaire ou, à la limite, accidentel (asphyxie positionnelle). Sans trouver vraiment d’explication (à part la maladresse des réanimateurs) aux 35 lésions relevées sur le corps de la victime, aux vilaines blessures de la tête, à « l’impression » de huit dents sur la muqueuse d’une joue, à l’accumulation anormale de sang dans les tissus de la gorge, à la fracture du sternum, au foie déchiré et au sang répandu dans l’abdomen… Le tableau d’une « violence brutale » suivie d’une mort par étouffement, ont conclu les légistes. « Personne n’était là au moment des faits », n’a pu s’empêcher de dire le Dr Beauthier. Il y avait cependant, dans la chambre contiguë et du dessous, des témoins anglais et hollandais. Ils seront entendus cette semaine.

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