Steph-le-vert, comme il se présente sur Twitter : conscience morale et éthique d'Ecolo. © frédéric Raevens

L’Ecolo Stéphane Hazée, le moine-soldat

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Il est drôle, mais peu le savent. Il aime la fête ? Cela ne se voit pas. Sous le cuir épais du député brillant et éthiquement intraitable, Stéphane Hazée abrite des valeurs vert tendre auxquelles il ne concède rien. Ainsi est-il devenu le Jiminy Cricket d’Ecolo.

Il plie ses deux mètres et glisse ses interminables jambes sous la table. On ne verra pas si le pantalon est trop court, seul sujet – avec ses écharpes – sur lequel les verts chambrent cet autre Monsieur Hulot, mis en lumière depuis qu’il a épinglé en commission parlementaire, avec des mots polis comme des poignards, les protagonistes de l’affaire Publifin. Il s’en moque, puisqu’il se moque de plaire. Il aurait préféré ne pas devoir plonger dans  » ces égouts du système  » et apprécié que tout cela n’existât pas : ce n’est pas de cette gestion publique-là dont il rêve. Sans doute dirait-il ici  » c’est un peu excessif « . Car il le dit tout le temps. Le député wallon Stéphane Hazée n’aime pas les excès.

Ainsi en va-t-il quand on grandit entre Beyne-Heusay et Jupille avec des parents techniciens de laboratoire, un frère, une soeur et des grands-parents paternels, anciens agriculteurs, chez qui on passe, avec ses cousins, ses fins de journée. On n’y manque de rien mais on n’est pas riche pour autant. Sauf des valeurs de la terre : la simplicité, le respect de la nourriture, une forme d’attention économique constante. La conscience que rien n’est acquis.

Avec Jean-Michel Javaux, lors de négociations sur la 6e réforme de l'Etat : un duo très complémentaire.
Avec Jean-Michel Javaux, lors de négociations sur la 6e réforme de l’Etat : un duo très complémentaire.© BENOIT DOPPAGNE/belgaimage

Stéphane Hazée est un enfant sage : il lit beaucoup et brille à l’institut Saint-Amand. Il joue souvent seul avec ses Playmobil, pour qui, à 11 ans, il organise des élections. C’est un gamin introverti. Sa grande sensibilité le rend vulnérable.  » C’est comme s’il y avait eu deux dimensions en moi. L’une qui recroqueville et l’autre qui ouvre, avec un petit grain de folie, à la créativité et l’imaginaire. Au début de ma vie, c’est la première qui l’a emporté.  » Au collège Saint-Louis, à Liège, il lit en cachette le journal, posé sur ses genoux. En se mettant de plus en plus au service de la classe, Stéphane Hazée quitte la sage case dans laquelle il est rangé. Quatre ans de suite, ce déjà membre du WWF et de Greenpeace, attentif à emballer ses tartines dans des sachets de pain plutôt que dans de l’aluminium, est délégué de classe.

A 18 ans, convaincu qu’il faut s’engager, il étudie les programmes des différents partis et choisit de s’affilier à Ecolo. Décidé à devenir journaliste après avoir songé à être instituteur, il s’inscrit en sciences politiques à l’ULiège, se fait baptiser, devient coprésident de la Fédé, membre de la FEF (Fédération des étudiants francophones) et lance le cercle des étudiants en sciences politiques. Les grandes grèves qui touchent l’enseignement, en 1994, le propulsent au-devant d’auditoires de 600 personnes. A la même époque, il est bénévole dans un abri de nuit pour SDF, au centre de Liège, où il dort une nuit par semaine.

 » Si vous êtes contents…  »

Marcel Cheron, un des ses complices :
Marcel Cheron, un des ses complices :  » je le sens capable de tout lâcher. « © Didier Lebrun/PHOTO NEWS

Assistant en sciences po, Stéphane Hazée travaille sur sa thèse lorsqu’en 1999, Ecolo monte dans les gouvernements fédéral et régionaux.  » Son profil était très intéressant, vu son expérience précoce et ses recherches – déjà – sur les problématiques liées au service public et aux pouvoirs locaux « , raconte Christophe Derenne, directeur d’Etopia. Au cabinet de José Daras, il se sent comme un poisson dans l’eau.  » Il a pris très vite toute la place, sans s’en rendre compte, au point de devenir chef de cabinet affaires générales à 25 ans « , résume l’ex-ministre wallon. L’ambiance y est assez exceptionnelle. Une joyeuse bande de trentenaires s’y démène sans compter : Frédéric Fonteyne (Bruxelles-Environnement), Patricia Grandchamps, échevine Ecolo à Namur, qui deviendra l’épouse de Stéphane Hazée, François Gemenne, politologue de l’ULiège… Ils passent des vacances ensemble, partent marcher à Dijon. Aujourd’hui, ils se retrouvent de temps à autre pour un week-end.

 » A l’époque, il regardait ses chaussures quand je le saluais, se souvient Patrick Dupriez, coprésident d’Ecolo. On n’aurait jamais imaginé qu’il deviendrait un personnage public.  » Et pourtant. Lorsque Emily Hoyos accède en 2012 à la coprésidence du parti, Stéphane Hazée, premier suppléant, la remplace au parlement wallon. Après des années de travail dans l’ombre, dans un cabinet puis comme directeur politique, la possibilité lui est donnée d’être exposé. Son fil rouge, obsédant : être utile.  » Sa petite personne ne l’intéresse pas, embraie Alexandra Sombsthay, ancienne chercheuse chez Etopia. En vacances, quand on décide du programme de la journée, il attend de voir ce que le groupe désire. Il dit toujours : « Si vous êtes contents, ça me va. »  »

Il a pris dans la religion ce qu’il y a de beau : la foi et pas le dogme

Aujourd’hui, au parlement de Wallonie, il est écouté. Pourtant,  » le doute est un trait dominant de ma vie « , avoue-t-il.  » C’est inimaginable à quel point il se sous-estime, acquiesce Jean-Michel Javaux. Quand j’étais coprésident, il me demandait parfois conseil. Et je me sentais totalement dans l’imposture.  » Pareil avec la coprésidence actuelle, qu’il sollicite avant ses interviews, relate Patrick Dupriez.  » On lui répond chaque fois : tu sais mieux que nous.  »

Très juste. Car Stéphane Hazée sait tout, sur tout.  » Il a au moins deux cerveaux « , sourit le député Marcel Cheron.  » C’est une intelligence de Sioux « , relève Jean-Luc Crucke, ministre MR.  » Un technicien impressionnant « , renchérit le PS Patrick Prévot.  » Une culture hors norme « , glisse l’ancienne ministre Ecolo Isabelle Durant.  » Un analyste d’une puissance inégalée « , conclut un de ses amis. Avec un revers à la médaille : il se penche sur toutes les hypothèses possibles et toutes les conséquences imaginables de la moindre question. Un peu excessif…

Rationnel, rigoureux, organisé, incollable, imperméable à l’émotionnel, Stéphane Hazée est sans doute énervant.  » Il assume son côté premier de classe « , jure François Gemenne. Ne jamais être pris en défaut lui est essentiel. Perfectionniste, il est exigeant.  » Il place la barre si haut qu’on a l’impression qu’on ne sera jamais à la hauteur « , soupire Philippe Henry, député wallon Ecolo.

En commission Publifin. Le rapport final est largement le sien.
En commission Publifin. Le rapport final est largement le sien.© Danny Gys/Reporters

Psychorigide ?

Bras droit de Jean-Michel Javaux lors de la crise des 541 jours qui a débouché sur la 6e réforme de l’Etat, Stéphane Hazée a dû prouver qu’il était capable de négocier. Elio Di Rupo lui-même aurait confié que la réforme de l’Etat lui devait beaucoup.  » L’accord sur BHV est venu d’une étincelle de sa part, se souvient Jean-Michel Javaux. Il a eu, pendant les négociations, des fulgurances dans un cadre légal pour trouver une solution qui convienne à tous. Il est très apprécié dans les autres partis, sauf pour son côté chevalier blanc.  » De fait, certaines voix humanistes le qualifient de  » psychorigide « , de  » théoricien qui n’a jamais été confronté à la gestion communale ou régionale « , d’autres, socialistes, de  » dogmatique « .  » Je peux entendre, admet l’intéressé. Mais j’ai quand même participé à quelques solides compromis.  »

 » A la commission Publifin, il ne tenait pas compte des concessions des autres pour lâcher la bride lui-même sur certains points « , réplique le commissaire PS Patrick Prévot. C’est à lui qu’on doit, pourtant, et largement, le rapport final de cette commission.  » En négociations sur la 6e réforme de l’Etat, si je l’avais suivi, je n’aurais jamais conclu d’accord, reconnaît Marcel Cheron. Or, à un moment, il faut atterrir.  »

Au sein d’Ecolo, du haut de ses 42 ans dont 18 de politique, il est une référence morale et éthique. Il connaît d’ailleurs le programme par coeur ou quasi.  » Il y a chez lui un besoin de cohérence totale entre ce qu’il prône pour la société et ce qu’il vit lui-même « , note Emily Hoyos. Il effectue tous ses déplacements à vélo ou en transports en commun. Il rédige ses listes sur des dos d’enveloppe, qu’il utilisait aussi jadis pour ses brouillons de versions latines, voire sur des tickets de train. Il n’hésitait pas à faire la leçon à Jean-Michel Javaux qui roulait de Liège à Bruxelles dans une grosse 807. Il est aussi de tendance végétarienne et veille à n’appartenir à aucun clan, lui que les réseaux horripilent.  » Il est profondément épris d’écologie, condense Jean-Luc Crucke. C’est sa manière de vivre.  » De toute évidence, Steph-le-vert, comme il s’appelle sur Twitter, s’appliquera sans hésiter la règle maximale des deux mandats successifs, en vigueur chez Ecolo. Quand bien même il maîtrise désormais parfaitement les codes et les ficelles du monde politique, comme il l’a prouvé avec le dossier du Ceta.

« Le seul que je n’embrassais pas »

Paul Furlan, ex-ministre wallon PS : Stéphane Hazée a joué un rôle clé dans sa démission.
Paul Furlan, ex-ministre wallon PS : Stéphane Hazée a joué un rôle clé dans sa démission.© BENOIT DOPPAGNE/belgaimage

Ce n’est sans doute pas par hasard si certains l’appellent  » le luthérien « . Méfiant, il donne difficilement son amitié.  » Pas facile d’entrer dans son univers, confirme Patrick Prévot. En commission Publifin, il travaillait et n’était pas là pour se faire des amis. Lors des petits moments de détente, la dernière nuit de relecture du rapport, il disait : « Bon, on reprend, on rigolera une autre fois. » C’est d’ailleurs le seul commissaire que je n’embrassais pas. J’ai bien vu qu’il n’y tenait pas.  » Paul Furlan va plus loin :  » Il est à l’écologie ce que les inquisiteurs étaient à la religion au xvie siècle. Il est dans sa bulle, son combat dogmatique et idéologique sans se rendre compte que certains doivent habiller leurs gosses avant de penser à l’avenir de la planète. Personne ne se souvient d’un fou rire au parlement avec lui, et c’est bien là le drame de sa vie.  »

Erreur : Stéphane Hazée est très drôle, doté d’un humour tout britannique.  » Ça vaut la peine d’être là quand il se lâche « , assure Jean-Michel Javaux. Les cafés de la place Saint-Aubain, à Namur, ont souvent vu le longiligne écologiste se plier en deux de rire, au sens propre.  » Son côté festif est insoupçonnable « , confirme François Gemenne.  » On a passé une soirée entre commissaires Publifin et elle était excellente. Je ne sais pas si Stéphane est rentré à vélo mais ça n’aurait pas été prudent « , pouffe Jean-Luc Crucke.

Aux amis – les vrais – il laisse la plus grande place possible. Indécrottablement fidèle, il leur envoie des voeux personnalisés sur des cartes du CNCD.  » Il fait du temps social un plaisir et pas un enjeu. Pour lui, dans l’amitié, il n’y a pas de combat à mener « , résume Alexandra Sombsthay. C’est sans doute pour cela qu’il se sert en dernier, et de la plus petite part, lors du partage des gâteaux.  » L’humanité anime toutes ses actions, constate une de ses proches. Il a pris dans la religion ce qu’il y a de beau : la foi et pas le dogme.  » Ni le clergé. Lui n’aime pas le mot  » catholique « . Chrétien, plutôt. Au sens où  » l’humanité ne se partage pas entre les croyants et les non-croyants mais entre les idolâtres de soi et les communiants.  » On devine le camp qu’il préfère…

Il ne s’estime pas, dès lors, nécessaire au système, au grand dam de son parti. Et pourrait tout lâcher pour rester fidèle à ce et ceux qui comptent.  » Je l’en sens capable, au-delà de sa capacité d’absorption de la médiocrité « , avance Marcel Cheron. Alors, il jouera davantage encore aux Aventuriers du rail avec ses enfants et au whist avec les autres. Il reprendra le chemin des théâtres, le chant choral et ses cours de guitare.  » La musique, dit-il, nous conduit un peu plus vers l’âme.  » Et ça, ce n’est jamais excessif.

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