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L’Anderlecht Academy, la fabrique de talents et des Diables Rouges

Le Vif

Vincent Kompany, Youri Tielemans, Dries Mertens, Romelu Lukaku, Michy Batshuayi, Marouane Fellaini, Leander Dendoncker et Adnan Januzaj. Huit des 23 Diables Rouges présents à la Coupe du monde, soit près de 35 % du noyau, ont fait leurs débuts à Anderlecht.

Les autres ont été formés, en tout ou en partie, au Standard (Alex Witsel, Nacer Chadli, Thomas Meunier), à Genk (Thibaut Courtois, Kevin De Bruyne, Yannick Carrasco, Koen Casteels), au Germinal Beerschot Anvers (Toby Alderweireld, Jan Vertonghen, Thomas Vermaelen, Moussa Dembele), Saint-Trond (Simon Mignolet), Braine-le-Comte et Tubize (Eden et Thorgan Hazard) et Saint-Josse/Woluwe/Brussels (Dedryck Boyata). Reportage au centre de formation auquel la folle épopée belge en Russie doit beaucoup.

Poignées de main et embrassades s’échangent alors qu’une escouade de jeunes hommes s’engouffre dans l’immeuble, au retour d’une course autour du lac au parc de la Pede, à Anderlecht. L’équipe des U21 (les moins de 21 ans) la fresque murale d’un Romelu Lukaku à ses débuts, avant de disparaître dans le gymnase. « C’est le père de Romelu qui nous a poussés à mettre en place ces partenariats avec les écoles », explique Jean Kindermans, directeur du centre de formation d’Anderlecht. « A 15 ans, Romelu a commencé à se faire un nom, et ça la a suscité beaucoup d’intérêt. Son père m’a alors dit : ‘Lille, Lens, Auxerre et Saint-Etienne veulent tous travailler avec mon fils, et tous ces clubs lui proposent une école, un logement et un enseignement du football. Tout est compris.’ Quelques mois plus tard, on a commencé le Purple Talents Project. Aujourd’hui, plus de dix ans après, ça s’appelle Purple Talent Programme – et ce n’est plus à l’état de projet. Romelu passait une heure tous les matins, avant d’aller à ses cours, pour des exercices de finition. On ne veut pas bourrer la tête des enfants avec trop d’informations. C’est mieux de travailler à fond pendant un temps réduit que de répéter la même chose à un rythme moins soutenu sur une plus longue durée. Socialiser avec d’autres personnes et avoir des hobbys et des centres d’intérêt reste primordial. »

Dans le sud-ouest de Bruxelles, le centre d’entraînement d’Anderlecht se niche entre chalets, parcs régionaux pittoresques et établissements scolaires. Ce lieu a vu naître bon nombre de noms connus, y compris huit des vingt-trois joueurs qui représentaient la Belgique à la Coupe du monde en Russie. Romelu Lukaku donc, mais aussi Vincent Kompany, Leander Dendoncker, Youri Tielemans, Dries Mertens, Adnan Januzaj, Michy Batshuayi et Marouane Fellaini ont tous fait leurs premiers pas ici. Ils représentent plus d’un tiers de l’équipe nationale.

Bien entendu, Jean Kindermans est fier de la faculté du club à dénicher des talents locaux et à en faire des internationaux. « On essaie d’avoir les meilleurs joueurs de Bruxelles avant de passer au football à 11 avec les U13. Entre les U6 et les U12, on se concentre uniquement sur ceux qui habitent dans le coin. En fonction de leur personnalité, de leur âge, de leur culture et de leurs parents, on va les chercher alors plus loin s’ils sont vraiment uniques en leur genre – mais c’est très dur de séparer un garçon de cet âge de sa famille. »

C’est l’entraîneur Nourreddine Moukrim qui pousse les U17 à montrer ce dont ils sont capables. Les petits rondos (jeu de maniement de ballon pendant l’entraînement) se transforment en drills de possession de balle plus importants. Toutes les 10-15 minutes, Moukrim intervient et prodigue d’interminables discours à la troupe. De l’autre côté du centre, sur le terrain des U15, le groupe des plus jeunes s’attèle à un exercice de finition, où les ailiers coupent vers le centre et livrent une course oscillante. L’entraîneur s’agace alors profondément : l’un des arrières déborde de sa position. Malgré les critiques, l’adolescent reste de marbre.

« Anderlecht c’est la rue. Le multiculturalisme est notre atout »

« On doit offrir à chaque enfant une attention particulière, explique Kindermans. Il y a ici beaucoup de religions, de cultures, de langues et de nationalités qui se côtoient. Chaque personne réagit différemment. On s’adapte à chaque histoire – mais ce qui fait la différence, c’est deux pieds et une tête bien sur ses épaules. Anderlecht, c’est la rue. On est le reflet de la communauté. Bruxelles est, à l’instar de Londres ou de Paris, semblable à toute grande ville. Le multiculturalisme est notre atout. Prenez Vincent Kompany, né d’une mère Belge et d’un père Africain. Il vient d’une famille modeste, sans voiture de luxe, et a été éduqué dans le centre de Bruxelles. Pour venir au centre, il prenait le tram et rentrait avec un bus de nuit après les entraînements tardifs. C’est la rue qui l’a façonné. Vincent, c’est un gars malin. Je ne lis pas l’avenir, mais je suis convaincu qu’il reviendra ici et qu’il apportera sa pierre à l’édifice. C’est un leader né. Pas besoin d’avoir un diplôme en psychologie pour le savoir. Même quand il s’agit juste de bavarder et de plaisanter, il se démarque. Il a cette capacité à rassembler les gens, et il ne passe pas quelque part sans laisser de trace. Il a même plus de qualités en dehors du terrain que dessus. »

Jean Kindermans apprécie les personnalités charismatiques comme celle de Kompany. « Je n’aime pas les entraîneurs qui changent de club tous les ans, explique-t-il. La clé, c’est la stabilité. Nos entraîneurs sont souvent suivis par des psychologues et des professeurs de didactique. Ici, on trouve un mélange d’anciens joueurs professionnels et d’entraîneurs qualifiés – et bien sûr, les gens ont leur propre vocation. Par contre, on ne peut pas se contenter d’une seule façon de penser, on doit être dans une dynamique d’apprentissage permanent. Il faut savoir y faire avec les gens et être doté d’une sensibilité psychologique. L’art d’être un entraîneur, c’est transmettre tes idées aux joueurs, et faire en sorte qu’ils adhèrent à tes théories. »

« Prends le ballon et garde-le. Progresse. Opère. Finis. Gagne »

« Les enfants changent, et le football aussi, explique le directeur du centre de formation d’Anderlecht. Je demande à mes entraîneurs de regarder la Champions League, dont ils doivent ensuite analyser les matchs. C’est primordial de s’imprégner des jeux actuels. Avant, on cherchait simplement une possession de ballon à hauteur de 70 %, mais quel est l’intérêt d’avoir le ballon si c’est pour ne rien en faire ? Aujourd’hui, on travaille sur une possession de la balle à 70 %, progressive et efficace. Les exercices de finition ont été intégrés à toutes les sessions d’entraînement – sans ça, on aurait la balle, mais on perdrait tous les matchs 1-0. La philosophie du club est la suivante : ‘Prends le ballon et garde-le. Progresse. Opère. Finis. Gagne.’ C’est le programme qu’on prône auprès de tous ceux qui foulent le sol de ce lieu. »

« En ne travaillant que sur les aspects éducatifs, reprend Jean Kindermans, on peut perdre l’esprit de réussite. Ce n’est pour autant pas une meilleure idée de n’entraîner les joueurs que pour gagner. Il doit y avoir un équilibre. C’est pour cette raison qu’on a mis au point un programme qui produit non seulement de grands footballeurs, mais aussi des joueurs accomplis. Si tout se passe bien dans le processus, alors là on gagne des matchs. On prépare nos jeunes à battre chaque adversaire en ayant recours à des vidéos et des tactiques – que cela soit du ‘high-press’ (pressing haut) ou du ‘spider-web press’ (quand les équipes sont attirées dans une zone avant d’être attaquées). Toutefois, ça n’aurait pas de sens d’imiter le style et la formation de la première équipe, vu qu’on n’a pas eu de manager plus de trois saisons d’affilée ces quinze dernières années ! »

« Notre centre fonctionne sur un dispositif 3-4-3 qui se transforme en un 4-3-3 pour les U15 – mais on se doit de garder une certaine flexibilité, raconte Jean Kindermans. Cela dépend de nos atouts et de nos faiblesses, de l’adversaire, de la période de la saison et de l’importance du match. Une fois qu’ils ont 16 ou 17 ans, on attend d’eux qu’ils gagnent, tout en défendant le jeu d’Anderlecht. Les groupes plus jeunes ont une zone de confort où ils jouent sur un dispositif 3-4-3, et où les joueurs changent de position régulièrement. Je ne suis pas le Parrain, mais je pense que former des joueurs polyvalents permet de façonner des êtres humains intelligents et complets. S’ils obtempèrent, écoutent et travaillent dur ici, qui sait quels sommets ils peuvent atteindre ? »

Le soleil se couche sur le centre de formation, et les U21 ont terminé leur journée. Alors qu’ils quittent le gymnase, ils entonnent des chants d’encouragement à l’adresse des plus jeunes qui, eux, endurent encore les exercices de musculation et de conditionnement à l’étage d’en bas. Au mur, placardé derrière eux, on peut lire « Le travail acharné bat le talent. »

Par Alex Clapham pour Caño Football du Sport Network. Traduction : Charlotte Cornet

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