Clémentine Moineau

« J’en ai assez d’entendre des discours politiquement corrects sur l’homosexualité »

Mesdames et Messieurs, vous qui ne vous définissez pas comme homophobes, je vous écris parce que j’en ai assez des malentendus. J’en ai assez d’entendre des discours politiquement corrects sur ce qu’on appelle « homosexualité ».

Ces discours politiquement corrects ne servent qu’à camoufler une gêne pourtant bien présente. L’inconnu vous fait peur, soit. Je trouve ça légitime. C’est normal d’avoir peur de ce qu’on n’est pas, c’est une forme de protection. Mais alors, assumez-la au même titre que nous assumons, nous, notre attirance pour les demoiselles. « Et là, je recroise ces deux filles longilignes / Qui se tiennent par la main / Exactement les mêmes que j’ai vues hier près de chez mon oncle / Je trouve ça touchant et étrange » Vous aussi, comme Fauve dans la chanson Juillet 1998, avez le droit de nous trouver étranges. Ce n’est pas méchant de le dire si vous le pensez sans dégoût.

Non, l’attitude « peace and love » tout le monde est beau, tout le monde est gentil n’est pas la bonne. Le positivisme est agaçant. Il est une façon de détourner le sujet pour éviter les sentiments de culpabilité. Où est donc partie votre objectivité quand vous affirmez que tous les LGBT (lesbien-gay-bi-trans) sont gentils ? Comme tout être humain, nous avons des défauts et des qualités et c’est pourquoi je vous demanderais de ne pas trop vite aduler un groupe, quel qu’il soit d’ailleurs. Tous les LGBT ne se ressemblent pas. C’est pour cette raison que des phrases telles que « Il faut les respecter, les accepter, ce sont des humains… Ah non, moi, je n’ai rien contre l’ho-mo-sex-u-a-li-té » sont agaçantes. Vous rendez-vous compte de ce que vous faites passer comme message ? Avec ce genre de remarque, vous nous stigmatisez, vous êtes condescendants alors que vous voulez faire le contraire ! C’est gentil, mais nous n’avons pas besoin qu’on nous tienne par la main pour nous intégrer dans la société.

A quoi bon dire « Ça ne me dérange pas, tu sais » si c’est pour nous renvoyer par le non verbal et l’implicite que nous sommes différents de vous ? Que je suis différente de vous ? Je vais vous présenter un exemple vécu. A table, je suis parmi cinq filles. L’une explique avoir rêvé de son petit copain embrassant un garçon. Elle s’exclame : « Lui, pédé ? Ça m’a fait bizarre… » Toutes les filles se sont retournées vers moi. Saperlipopette ! On parle de gay alors, forcément, on me regarde avec insistance. Mais nom d’un chien, ce n’est pas le mot « pédé » qui m’a rebutée : il n’y avait aucune méchanceté derrière. C’est la mise en évidence d’une partie de moi qui m’a dérangée, comme si, au même titre qu’une métonymie, je me retrouvais réduite au fait d’être lesbienne, comme si tout le reste de ma personne était mis entre parenthèses. Bien sûr, je pourrais passer outre, mais c’est difficile d’oublier des évènements de la sorte alors qu’ils s’accumulent. Il m’est malheureusement possible d’énoncer d’autres exemples, mais ce n’est pas le but de cette lettre. Notons que ce genre de situation est reconnu comme étant discriminatoire.

L’homophobie a en effet plusieurs formes ; elle ne se résume pas aux traditionnels mots insultants et pénibles à entendre tels que « gouine ou pédé » et autres dérivés. Ceux-là ont, par ailleurs, un impact qui varie selon l’intonation et l’intention avec lesquelles ils sont prononcés. S’ils sont dits comme de simples adjectifs, ils ne posent pas de véritables problèmes, mais il faut tout de même y prendre garde car ils blessent facilement. Pourtant, même si vous n’utilisez pas des mots injurieux, votre gène est décelable, c’est une gêne verbale (« je ne parle pas de toi » après une blague sur les gays, par exemple), c’est une gêne qui dissimule votre homophobie car vous la considérez (à juste titre) comme honteuse. Devant nous, vous choisissez vos termes pour ne pas nous choquer, mais vous ignorez que par des gestes (sourires coincés, regards insistants,…), vous nous mettez en évidence… De plus, par derrière (jeu de mot tout à fait subtil que vous aurez tôt fait de repérer), vous en utilisez de tout autres. Ou alors, pire encore, les dents serrées, vous tentez des « homo » à voix basse pour vous faire bien voir.

Il existe aussi une autre homophobie très courante et insidieuse. C’est une homophobie qui est sensée être perçue comme de l’humour ; elle est vicieuse car face à elle, on n’a pas le droit de rouspéter, on doit rire jaune ou se taire, sinon, nous sommes perçus comme des personnes susceptibles, dépourvues d’autodérision ou comme des personnes qui ne s’assument pas… C’est vrai que c’est vraiment drôle de s’entendre dire « Alors… Tu ferais bien la connaissance de la truie, là-bas… Hein ? Elle est comme toi, vous aimez les mêmes choses, si tu vois ce que je veux dire… » et d’être ensuite obligé d’ouïr le rire gras et de sentir la tape sur l’épaule qui semble signifier « tu vois, je te taquine, qu’est-ce qu’on s’amuse ». C’est si comique à entendre que maintenant encore, j’ai envie de m’enfuir en repensant à ces dires.

Notons aussi l’homophobie tactile, plus subtile que les coups violents dont on entend parler à la radio ou à la télévision. Celle que je veux mettre en évidence n’est pas connue de tous, c’est celle du non contact. Ne pas toucher, ne pas prendre dans les bras pour consoler, se contrôler pour ne pas frôler, beaucoup d’entre vous se sont déjà comportés ainsi par dégoût peut-être, ou par peur de contamination, je n’en sais rien. La semaine dernière encore, ça m’est arrivé. Une fille très tactile a appris mon lesbianisme. Elle a voulu me faire une frappe amicale dans le dos comme à son habitude, mais elle a arrêté là son geste : elle avait la main en l’air, ses doigts se sont rétractés puis son bras est retombé. A chaque fois, je reçois cette attitude comme une claque. C’est terrible de ressentir qu’on a le pouvoir de répugner les gens à ce point. Je n’allais pas lui sauter dessus, je n’allais pas la violer, je n’ai jamais eu de pensées perverses vis-à-vis d’elle ou de quiconque d’ailleurs, mais d’un coup, alors qu’elle avait confiance en moi, d’une seconde à l’autre, elle s’est contrôlée pour éviter de me toucher.

Il existe encore une autre sorte d’homophobie, une homophobie que les garçons ont envers les lesbiennes et les filles envers les gays. C’est celle qui se place dans les fantasmes, c’est celle qui éveille des envies de dominance, de prédation, de supériorité. Elle est plus courante chez les hommes, c’est vrai, mais je connais des femmes qui ont le même genre de comportements avides. Pourtant, « lesbienne » ou « gay » ne sont pas des mots pornographiques, non. Assumer notre lesbianisme n’est pas une manière parallèle de vous draguer, non. Si ma copine et moi nous tenons la main en rue ou nous embrassons en soirée, ce n’est pas un appel aux plans à trois, non ; nous ne voulons pas émoustiller le premier passant masculin, non. Quand un garçon est venu me trouver pour me dire « Tu sais, j’ai vu deux filles s’embrasser dans les toilettes… Ça m’a excité comme un porc », je l’ai vécu comme un véritable manque de respect, oui. Le même que celui que j’avais ressenti quand une fille m’avait dit, le regard aguiché « oh non, je ne suis pas homophobe : j’adore mater des mecs s’embrasser ».

Cette conduite revient à nous réduire au sexe, première chose à laquelle nombre d’entre vous pensent en entendant simplement parler de nous. D’ailleurs, le fait d’imaginer aussi rapidement deux femmes ou deux hommes coucher ensemble est suffisamment répandu pour que j’apprécie en plus le terme « homosexuel(le) » ; je ne me reconnais pas dans ce mot scientifique. En effet, il signifie littéralement « de même sexe », et, de ce fait, il est plus explicite que « gay » ou « lesbienne ». Avec lui, les images gênantes pour vous comme pour moi vous viennent plus vite en tête, alors que la sexualité est un domaine privé, n’est-ce pas ? Oserais-je vous imaginer, vous, nu(e) aux côtés de votre compagne (compagnon) ? Je ne suis pas certaine que si je le faisais, ça vous enchanterait… Je préfère le mot « lesbienne », oui, car il vient de « Lesbos », l’île grecque où la poétesse Sappho vécut du VIIe au VIe siècle avant Jésus-Christ. Elle écrivait amoureusement aux femmes : « Toi dont le trône est d’arc-en-ciel / Immortelle Aphrodite / […] Je te supplie de ne point dompter mon âme […] / ô Vénérable, par les angoisses et les détresses ». Ainsi, vous remarquerez sans doute que c’est la passion qui ressort en premier de ces vers, et peut-être qu’alors, en utilisant le terme « lesbienne », vous aurez plus d’images d’amour et moins d’images sexuées en tête ? Bien sûr, vous employez les mots que vous voulez, la seule chose que je vous demande vraiment, c’est de retirer les images de notre vie privée de votre tête, car c’est là que commence le respect, le respect réellement vécu et ressenti, le véritable respect. Mon identité, comme la vôtre (nous avons de nombreux points communs vous et moi, plus que vous ne pourriez le croire), est celle d’une personne qui peut être attirée par une autre, est celle d’une personne qui peut en aimer une autre. C’est tout. Mais c’est tellement plus facile de ranger les gens dans des boîtes…

Pourtant, c’est bel et bien possible de parler sans ambages. Il suffit d’avoir une conversation d’égal à égal, comme celle que deux amis pourraient avoir ensemble. Pour changer un peu de tonalité, considérons un exemple positif, un exemple ancien, certes, mais un exemple à suivre. Il s’agit d’un passage du film Quai des Orfèvres (1947). En ce temps-là, la tolérance étant moins politiquement correcte qu’aujourd’hui, elle était peut-être plus naturelle… quoi qu’il en soit, dans cet extrait, elle est bien présente. Louis Jouvet, incarnant le rôle de l’inspecteur, questionne le personnage de Simone Renand, Dora Monnier. A la fin de la conversation, le policier déclare : « Et puis, je vais vous dire, vous m’êtes particulièrement sympathique, Mademoiselle Dora Monnier […] Parce que, je vais vous dire… Vous êtes un type dans mon genre : avec les femmes, vous n’aurez jamais de chance. » Quelles belles répliques ! Elles synthétisent parfaitement ce que je réclame dans cette lettre : la sincérité, l’égalité, la simplicité… Ainsi, pour prendre un cas général, si une fille lesbienne vous parle d’une demoiselle qu’elle trouve jolie voire attirante, ne la regardez pas avec pitié ou étrangeté, ne ponctuez pas ses dires par des « j’essaye de comprendre ce que tu dis » ou des « ah, c’est bizarre… ». A la place, parlez de vous, de vos propres attirances, après tout, ce n’est qu’une discussion entre humains. Si vous êtes gênés, alors, coupez-la, surtout si vous la connaissez bien, dites-lui que vous préférez changer de sujet, simplement, et précisez que ce n’est pas contre elle. Au moins, les choses seront claires. Il y a d’ailleurs des chances pour qu’elle déclare vous comprendre car elle-même aura eu des difficultés à s’accepter.

Il m’a fallu passer par un long chemin de construction de l’identité pour comprendre que je suis lesbienne déjà, et pour l’assumer ensuite. J’avais besoin de me reconnaître chez d’autres pour enlever les effroyables sentiments de solitude. Bien entendu, chacun a une identité unique qui se détache de celle des autres par l’assemblage des divers éléments qui la constituent, mais il est agréable de sentir que chacun de ces points se retrouve chez autrui. Cette particularité n’est pas fréquente et par notre belle société hypocrite aux valeurs traditionnelles dissimulées mais pourtant existantes, elle n’est pas facile à vivre. Non, ce n’est pas un choix, non ce n’est ni la Gaypride, ni les films, ni les émissions spéciales sur l’homosexualité, ni l’enseignement (qui n’en parle pas, même lors de conférences sur la vie émotionnelle et affective) qui nous poussent à être gays. Non ce n’est pas une mode. Non, ce n’est pas pour se donner un genre décalé. Non, ce n’est pas pour essayer, tenter de nouvelles expériences. Non, nous n’avons pas besoin de « goûter » à l’autre sexe pour être certain que nous sommes gays. Non, non, non. C’est un fait, ce n’est pas possible d’en changer par la simple volonté. C’est possible de se refouler, oui, mais ça signifie vivre avec une fausse identité et ce n’est pas agréable.

Bref, je vous demande d’oser affirmer vos malaises, si vraiment vous n’arrivez pas à oublier que nous sommes gays, plutôt que de les camoufler par des phrases pseudo tolérantes et de les laisser transparaître par le non verbal et l’implicite. Laissez notre identité tranquille si vous n’êtes pas à l’aise avec elle. Ne vous définissez pas comme tolérants, soyez-le simplement en nous considérant comme votre égal. Je ne vous demande pas de comprendre nos sentiments, je voudrais que vous cessiez de réduire notre individualité à une partie de notre identité.

Une demoiselle anonyme.

PS : Si je vous ai écrit à ce sujet, c’est que, malgré les nombreux progrès officiels en Belgique, il y a encore beaucoup de chemin à faire avant d’être vraiment considérés comme normaux dans les coeurs.

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