Pierre Neuray et Frédéric Naedenoen

Faut-il créer l’intérim à durée indéterminée ?

Dans un monde globalisé, complexifié et toujours plus instable, le marché du travail belge requiert indéniablement des mesures d’assouplissement, tout en veillant à préserver, au mieux, la stabilité et la sécurité d’emploi. A cet égard, les nouvelles mesures proposées par le Ministre fédéral de l’emploi sont à saluer !

Des 10 mesures proposées, celle portant sur la création de l’intérim à durée indéterminée est sans doute la plus surprenante, tant elle semble susciter peu d’enthousiasme de la part des acteurs de terrain.

Ainsi Federgon, la Fédération des sociétés d’intérim, manifeste un intérêt modéré pour la mesure, affirmant il y a quelques jours sur La Première que « selon des modalités à imaginer », il s’agirait pour eux d' »une option à étudier, parmi d’autres ». Du côté des représentants des travailleurs, même type de réaction : si offrir un contrat à durée indéterminée pour tous les travailleurs fait partie des revendications historiques, le modèle leur apparaît toutefois offrir une sécurité très illusoire et revêt, à leurs yeux, des zones d’ombres préoccupantes liées à cette banalisation du travail au projet imposé, et susceptible d’avoir un impact négatif sur les conditions de travail effectives de ces intérimaires en CDI.

Que nous apprend l’Europe ?

La proposition est également surprenante au regard des enseignements que l’on peut tirer des expériences européennes en la matière.

En Allemagne par exemple, où la mesure existe depuis plus de 40 ans et bien qu’elle soit devenue la norme, plus de la moitié des contrats sont rompus avant la fin de la période d’essai, et une récente décision de justice met à mal l’idée même d’intérim à durée indéterminée.

En France, après près de deux ans de fonctionnement, les premiers résultats sont aussi plutôt mitigés, puisqu’ils auraient permis la création de « seulement » 3.000 emplois, en regard d’un objectif initial qui devait concerner 4% de l’ensemble des intérimaires français, soit environ 20.000 nouveaux contrats.

Les explications sont nombreuses. Tout d’abord, du côté des sociétés d’intérim, la mesure est peu promue, avant tout en raison de l’évolution organisationnelle que réclame cette nouvelle continuité des parcours professionnels des intérimaires. Du côté des travailleurs, les principaux griefs portent sur le manque de liberté de choix des missions ainsi que sur la perte d’indemnités de fin de mission prévues par le législateur français. Enfin, du côté des entreprises utilisatrices, la circonspection est également de mise car, selon elles, le dispositif contrevient à l’essence même de l’intérim : les missions de courte durée !

La nécessaire quête de Flexicurité

À nos yeux, l’initiative du Ministre de l’emploi est pourtant louable puisqu’elle cherche à concilier flexibilité et sécurité, concepts de plus en plus réclamés tant par l’employeur qui désire adapter sa main-d’oeuvre aux fluctuations de son activité tout en évitant de devoir former successivement de nouveaux collaborateurs ; que par les travailleurs désireux de concilier vie privée et vie professionnelle, tout en obtenant une stabilité d’emploi, nécessaire à leur projet de vie.

Le groupement d’employeurs : une alternative à envisager !

Néanmoins, plutôt que de chercher à faire le grand écart en dévoyant l’objectif initial de l’intérim, un autre dispositif pourrait s’avérer mieux approprié pour rencontrer ces différents objectifs : le groupement d’employeurs. Il permet aujourd’hui aux entreprises de se réunir pour engager ensemble tous types de travailleurs, à temps plein ou à temps partiel. Objet d’une évolution législative importante en 2014, ce dispositif a pour essence même d’offrir une solution adéquate pour rencontrer les intérêts respectifs des employeurs et des travailleurs à long terme.

Fondé sur l’engagement des entreprises utilisatrices à occuper régulièrement le travailleur, le système offre une grande prévisibilité des prestations et écarte de la sorte un certain nombre d’écueils que pourrait présenter l’intérim en CDI. Pour l’utilisateur, qui a participé au recrutement du candidat, c’est la garantie de retrouver de cycle en cycle (chaque semaine, chaque saison, etc.) le même travailleur compétent et directement opérationnel. Pour ce dernier, il offre stabilité, diversité et prévisibilité. Stabilité, car il existe une coresponsabilité limitée pour les entreprises utilisatrices, garantissant de la sorte un engagement responsable des donneurs d’ordre et la recherche continue d’une occupation adéquate. Diversité, car il alterne plusieurs missions dans différents environnements de travail, ce qui permet au travailleur d’engranger rapidement une expérience précieuse. Et prévisibilité, car les entreprises utilisatrices sont connues à l’avance, et les prestations respectent un agenda précédemment établi. Les taux d’absentéisme et de turn-over qu’affichent les groupements ayant fonctionnés jusqu’à présent en Belgique – nettement plus faibles que ceux en cours au sein même des entreprises utilisatrices – témoignent à suffisance de l’intérêt du dispositif pour chacun. C’est ainsi que la Commission européenne, dans un récent rapport de l’Eurofound, place également le dispositif des groupements d’employeurs comme la meilleure solution pour faire face aux défis du marché du travail du 21e siècle.

Il nous semble par ailleurs que l’Intérim à durée indéterminée revêt deux risques majeurs qui lui sont spécifiques, liés au fait que les entreprises utilisatrices ne s’engageront probablement pas à occuper le travailleur selon une charge préétablie. Tout d’abord, le risque est grand que les agences d’intérim se limitent au partage de travailleurs les plus fortement demandés sur le marché du travail et pour lesquels les risques de non-occupation seront les plus faibles. Autre risque, le besoin pour l’agence de placer le travailleur à tout prix pour éviter une non-occupation couteuse, sur des missions ne répondant peut-être pas aux attentes et/ou compétences du travailleur. Pour ces différentes raisons, le dispositif des groupements d’employeurs nous semble une alternative plus intéressante à investiguer par le Ministre de l’emploi dans sa politique visant « un travail faisable et une agilité dans l’emploi » !

Frédéric Naedenoen Chercheur et Maître de conférences à HEC Liège

Pierre Neuray Président de l’ASBL CRGEW*, Centre de Ressources pour les Groupements d’Employeurs en Wallonie.

*Financée par la Région wallonne, l’ASBL CRGEW accompagne gratuitement les entreprises dans leur projet de création de Groupement d’Employeurs.

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