Carte blanche

Et si on apprenait à l’école? (une alternative au Pacte d’Excellence, gratuite et probablement efficace)

Ce qui peut paraître curieux, au sein d’un certain nombre de réactions d’enseignants qui s’opposent globalement au « Pacte d’Excellence » (avec des arguments par ailleurs le plus souvent recevables), c’est qu’ils considèrent le redoublement -l’échec scolaire, donc- comme une nécessité.

Voici qui s’éloigne singulièrement du précepte évoqué dans le décret « Missions », selon lequel il s’agit de veiller à ce que l’estime de soi des élèves sorte renforcée de l’enseignement qu’ils reçoivent. On ne voit pas bien, en effet, comment l’échec scolaire, ce frein artificiel apposé à l’avancée des adolescents, puisse -sauf rare exception- produire davantage d’effets positifs que d’inconvénients, notamment psychologiques.

Mais par ailleurs, il est compréhensible que les professeurs attendent de leurs élèves un certain « niveau », qui conditionne l’accès à l’année supérieure. Tel est sans doute le défi principal relevé par les concepteurs du Pacte: faire en sorte, coûte que coûte, que les élèves acquièrent les connaissances et les compétences nécessaires pour pouvoir accéder aux années supérieures, et aussi pour pouvoir faire face avec succès aux tests internationaux.

Si l’objectif avoué du Pacte est donc louable, il est probable que certaines voies envisagées pour y parvenir soient sujettes à caution. La « remédiation », sous toutes ses formes, existe depuis le début du « Rénové », soit plus de 45 ans. Certes, elle permet à un certain nombre d’adolescents de faire face avec succès à des difficultés ponctuelles, qui peuvent être liées à des absences pour cause de maladie, par exemple. Mais, en 45 ans, très rares sont les élèves qui ont pu surmonter un échec global grâce aux remédiations telles qu’elles sont envisagées depuis leur mise en service, et quelle qu’en soit la dose. Je suis bien placé, je pense, pour connaître les conditions qui, seules, peuvent rendre une remédiation efficace. Mon père, professeur de latin et de grec, a consacré une bonne partie de son existence à tenter de remettre en selle -toujours gratuitement, et souvent avec succès- toutes disciplines confondues ou presque, des adolescents scolairement en perte de vitesse. Si l’on en croit cette longue expérience, la seule remédiation qui fonctionne vraiment, pour des élèves « non scolaires », « en échec », c’est l’accompagnement individuel, un professeur pour un élève, de manière assez régulière; et encore faut-il que le professeur soit un très bon pédagogue. Le Pacte ne pourra pas envisager ce type de remédiation, ne fût-ce qu’à cause du budget qu’elle exigerait.

Néanmoins, il existe, je crois, des solutions gratuites et simples -cette affirmation va à l’encontre de l’entrée en matière du Pacte, par laquelle il justifie son existence- permettant de remédier à l’échec scolaire, et d’améliorer considérablement les performances des élèves, de plus en plus nombreux à ne pas atteindre les niveaux souhaités.

« Et si on apprenait à l’école? »: une suggestion en forme de lapalissade, que l’évolution de notre société et des comportements adolescents devrait amener à prendre davantage en considération. Mais pour cela, il faudrait d’abord que les acteurs de l’enseignement (professeurs, directions, …) prennent conscience d’une réalité sur laquelle ils préfèrent encore trop souvent fermer les yeux, malgré cette évolution sociétale. Tout le monde, ou presque, continue à considérer qu’il est impensable que les élèves, y compris les plus jeunes, n’étudient pas le soir, que c’est leur « métier », et que s’ils ne le font pas, leur échec, dont ils porteront l’entière responsabilité, sera logique et justifié.

Mais la réalité, sans doute pas idéale, loin de là, mais qu’il est devenu impossible de nier, est la suivante: la grande majorité des adolescents, après l’école, consacrent en moyenne trois heures par jour à dialoguer sur les réseaux sociaux, parfois une heure à regarder la TV, et encore un certain temps, pour nombre d’entre eux, à s’adonner à des jeux-vidéo. De moins en moins nombreux sont les adolescents qui, d’eux-mêmes, fonctionnent autrement. Les parents qui parviennent encore à éviter ces phénomènes sont également devenus très rares ; il s’agit en effet d’un combat ardu, quotidien, et ceux qui peinent à s’y engager, de loin les plus nombreux, vu les pressions imposées par notre société, sont-ils encore réellement critiquables?

Avant d’en revenir au titre de cet article, prenons en considération une autre donnée incontournable. Les élèves passent environ 5h 1/2 par jour, en moyenne, assis sur les bancs de l’école. Or il est prouvé que l’attention d’un public adulte, face à un orateur, commence à s’estomper au bout de dix minutes. Quoi qu’il en soit, qu’ils soient « en mode écoute » ou « en mode production », la plupart des enfants et adolescents ne « profitent » de ces longues heures que dans une proportion réduite. Beaucoup de temps est perdu, du moins pour eux; les professeurs, eux, « voient leur programme ».

La majorité des élèves n’étudient pas (ou plus) le soir; or beaucoup de temps passé en classe n’est pas rentable. Donc… si on apprenait à l’école?

En effet, qu’on le veuille ou non, la plus grande partie de l’évaluation scolaire, ici comme ailleurs, demeure liée à la mémorisation. La didactique des compétences, à laquelle nous nous sommes particulièrement attachés en Communauté française de Belgique, ne remet nullement en cause ce principe, au contraire, puisque la bonne réalisation des tâches, quelles qu’elles soient, suppose la connaissance préalable des données à exploiter. L’effort de mémorisation reste essentiel, surtout dans un enseignement dit « de transition », qui doit donc notamment assurer la préparation aux études supérieures.

Certains professeurs, ou instituteurs, mettent déjà en pratique ce précepte, au moins dans une certaine mesure… et ça fonctionne! Les élèves sont priés d’étudier, en classe, dans le silence, pendant une dizaine de minutes, une portion de la matière vue ce jour, dont le professeur juge la mémorisation nécessaire. Une brève interrogation -cinq minutes- vient ensuite, éventuellement reprise le lendemain, puis sous forme de bilan récapitulatif. Les élèves, avec cette technique, réussissent. Dans des proportions variables, évidemment, mais tous. Ils sont fiers, naturellement, d’accumuler les notes positives. Ceux qui se croyaient incapables de réussir constatent l’inverse, et pourront peu à peu s’attaquer à des défis supérieurs. Car avec les années, en progressant dans le cursus, ils vont peu à peu s’apercevoir que ce temps d’étude, à l’école, n’est plus suffisant. Mais ils sauront comment s’y prendre, et que les résultats seront au rendez-vous. Et au passage, si telle est leur volonté, ils auront pu, après l’école, apprendre un instrument de musique, s’engager en faveur d’un projet humanitaire, faire du sport ou de la danse, produire des oeuvres d’art, participer à des mouvements de jeunesse, bref, prendre part à tout ce qui caractérise réellement notre humanité, sans que tout cela compromette en rien leur réussite scolaire.

Sauf pour les quelques enseignants qui s’y sont déjà essayés, cette technique, tellement éloignée des schémas traditionnels, est difficile à concevoir. Mais il faut savoir qu’elle est permise (les réglementations évoquent la nécessité de la mémorisation, mais elles ne précisent pas quand cet effort doit être réalisé). Et il faut prendre conscience que la société dans laquelle évoluent les adolescents d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir, justement, avec ces « schémas traditionnels »: c’est le moment, donc, d’envisager des pistes totalement neuves dans l’enseignement.

Encore faudrait-il, pour que ce système soit généralisé avec succès, que quelques obstacles soient levés. Notamment la conscience professionnelle globale des professeurs, parfois gênés de « ne rien faire » pendant que leurs élèves étudient en classe. Ou la « constante macabre » évoquée par le psychopédagogue André Antibi, selon lequel beaucoup d’enseignants ont inconsciemment besoin d’une certaine proportion d’échecs (quel que soit le niveau moyen des élèves qu’ils ont en face d’eux), sans laquelle ils jugent leur enseignement imparfait, ou craignent le jugement de leurs collègues. Ou la dictature des programmes, très chronophages -difficile donc pour les professeurs de certaines disciplines d’imaginer « perdre du temps à laisser leurs élèves étudier en classe »-, qui allient trop souvent le manque d’efficacité à la production de nombreux échecs. Mais je laisse à des spécialistes le soin de parler mieux que moi de cet aspect du problème, que le Pacte d’Excellence n’évoque pas vraiment. Il est une énorme machine coûteuse qui n’engendrera, au mieux, que de maigres profits. Et sans doute l’inverse pour certaines disciplines (je pense aux langues anciennes, carrément « oubliées » dans la deuxième version du Pacte, malgré les 300 écoles qui organisent l’option latine), et pour certaines formes d’enseignement.

J.-Ph. Mogenet – Ancien directeur de collège et ancien professeur de langues anciennes

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