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Drogue en prison :  » les guérir on s’en fout, les prendre en charge, c’est déjà bien ! »

Laurent Zanella
Laurent Zanella Journaliste

En avril dernier à Namur, un groupe de discussion s’est réuni à l’initiative des docteurs Hellemans et Skrzypek, médecins généralistes et référents SPF Justice en prison pour présenter leurs réflexions et projets à propos de la prise en charge des assuétudes des détenus, en particulier celle aux opiacés. Le constat ? Un manque d’uniformité dans la politique de prise en charge, de collaboration pluridisciplinaire, et de formation des médecins généralistes pour faire face au problème.

La population carcérale compte bon nombre de toxicomanes. C’est un secret de polichinelle. Selon l’étude ACCESS qui a réalisé des sondages auprès des médecins et des patients du milieu carcéral, 63% des patients ont une assuétude pendant leurs peines de prison. 85% des patients n’ont pas eu un choix de traitement. Une hérésie, pour le Dr Benoît Skrzypek : « le traitement de substitution aux opiacés (TSO) est récent en prison. Jusqu’il y a quelques années, c’était interdit d’utiliser de la méthadone en prison. De là à dire qu’il n’y avait pas de toxicomanes… Le pas n’était pas très dur à franchir. Mais cela n’avait aucun sens par rapport à la réalité. »

La situation évolue. La méthadone fait désormais partie du paysage carcéral, mais toutes les prisons n’ont pas la même vision de la toxicomanie. Il reste des préjugés tenaces dans le corps médical, carcéral et chez les détenus. Le patient carcéral est toujours crispé à l’entrée de la pharmacie. Il se demande s’il va recevoir un traitement ou s’il va être sevré. Il craint tout simplement d’être jugé. Jugé par un médecin, par une infirmière, par un maton.

La justice est également un rempart tenace face au changement. Le Tribunal d’application des peines (TAP) demande qu’un détenu n’ait plus de traitement comme condition à la libération. Les patients qui veulent entrer en postcure font face au même problème. Mais arrêter un traitement au sortir de la prison, ce n’est pas évident. « Ce n’est même pas conseillé du tout », s’insurge le Dr Skrzypek. Mais il concède : « Le TAP est pourtant ouvert et pourrait revoir sa position. Nous essaierons de les rencontrer à l’occasion parce que leur demande de sevrage total n’est pas cohérente d’un point de vue médical. »

Une maladie chronique selon l’OMS

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) reconnait l’assuétude comme une maladie chronique. Selon l’OMS des épisodes de sevrage ponctuels ne devraient pas être promus comme un traitement efficace, car des études ont montré que la plupart des patients reprennent leur usage d’opiacés dans les six mois après avoir commencé leur sevrage d’opiacés(1). Comme avec d’autres maladies chroniques, les taux de rechute sont élevés(2) et des stratégies pour une approche médicale à long terme sont déterminantes. L’OMS a mis la buprénorphine et la méthadone sur sa liste modèle des médicaments essentiels(3). En Belgique, ces deux traitements de substitution existent : la méthadone et le suboxone.

Des préjugés tenaces

Il faut casser l’image selon laquelle la toxicomanie est un problème strictement criminel. La toxicomanie est une maladie chronique. « Notre souci en prison, c’est de faire face à la réalité. Il ne faut pas faire comme dans le passé et ne pas traiter l’addiction », s’inquiète le Dr Skrzypek. « J’ai reçu beaucoup de commentaires du style ‘vous n’arrivez de toute façon jamais à la guérir.’ Non. Mais les guérir, on s’en fout. Les prendre en charge, c’est déjà une bonne chose. Il faut donc considérer la substitution comme un traitement et éventuellement le donner à long terme (toute la vie). »

Pour ce faire, il faudra une bonne dose d’efforts. Un premier effort est à fournir intramuros, au niveau de la collaboration interdisciplinaire et du changement des mentalités. « Il faut une bonne collaboration avec les infirmières, les gardes », explique le Dr Skrzypek. « Pour recueillir des informations au niveau médical. J’insiste sur le médical car il ne faut pas faire le gendarme. Combien de fois je n’ai pas entendu dans mes consultations : ‘il a consommé, il faut lui arrêter tout traitement’. C’est inconcevable. Un toxico, ça consomme. C’est comme un diabétique qui prend du sucre. On ne va pas lui arrêter son traitement pour la cause. » Et de continuer lorsqu’on lui demande quelle attitude il adopte devant un patient qui demande des suboxones ou de la méthadone, dans un but parfois illicite (revente sur le marché noir). « C’est un travail d’éducation, il faut être un peu naïf pour faire ça, c’est clair. Certains disaient : ‘ils ne les prennent pas tu te fais entuber!’. Oui je me fais entuber, mais je le sais : je ne suis pas dupe. Ils sont un peu mieux cadré et le but c’est ça. Punir le toxicomane, ce n’est pas le travail d’une infirmière par exemple. Le pénitencier et l’infirmerie, ce sont deux choses différentes. »

La communication entre le généraliste, le psychiatre, l’anesthésiste, celui qui gère la consultation Sida ou encore le gynécologue : il faut que chaque spécialiste, chaque médecin soit au courant de tout le dossier médical du patient qui est devant lui. « Un patient qui combine des antipsychotiques, des benzodiazépines et un traitement pour une assuétude avec de la méthadone, c’est dangereux, par exemple chez une femme enceinte », explique le Dr Skrzypek. De plus, Il y a beaucoup de sous-dosage en raison du manque d’informations et de connaissances concernant la substitution. Une remarque qui vaut pour le médecin généraliste en dehors de la prison, mais également pour les MG en prison, où le choix du médecin n’existe pas pour le patient.

Vers un mieux ?

Il faut donc une uniformisation de la méthode utilisée avec un patient. Avant, pendant, et après l’incarcération. Tout le monde est d’accord. Un patient peut actuellement être amené à voir changer son traitement, ou à complètement l’arrêter, alors qu’il n’y a pas de raison médicale à cela. Lors d’un transfert d’une prison à une autre par exemple. Il faut une continuité des soins.

Pour cela il faudrait travailler au niveau de la formation, de l’information. En Belgique, il n’y a pas de formation dédiée à l’addictologie. En France, il y en a. À l’UCL, un cursus d’un an existe, mais la plupart des personnes qui suivent cette formation ne sont pas médecin mais infirmier, assistant social, psychologue. « De toute façon on en a besoin. C’est un travail de collaboration », insiste le Dr Skrzypek.

(1.) Guidelines for the psychosocially assisted pharmacological treatment of opioid dependence. World Health Organisation. 2009.

(2.) McLellan AT, Lewis DC, O’Brien CP, Kleber HD. Drug dependence, a chronic medical illness: implications for treatment, insurance, and outcomes evaluation. JAMA. 2000; 284(13):1689-1695.

(3.) Herget G méthadonee and buprenorphine added to the WHO list of essential medicines. HIV AIDS Policy Law Rev. 2005; 10(3):23-24.

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