© Jonas Lampens

Bracelet électronique: « c’est plus stressant que la prison »

Stefanie Van den Broeck Journaliste Knack

Le nombre de détenus qui bénéficient d’un bracelet électronique ne cesse d’augmenter. Pourtant sa fiabilité technique est régulièrement remise en question. Nous avons suivi durant une journée des porteurs de bracelets et ceux qui les accompagnent. « J’ai vu des détenus enlever leur bracelet pour pouvoir retourner « à l’intérieur » ».

« Parfois, les euphémismes peuvent soulager la douleur. » Les hommes que nous avons croisés lors de notre voyage à travers le pays du bracelet – un monde inconnu et caché – étaient des durs. Pourtant, tous parlaient presque avec douceur de leur bracelet et ils leur arrivaient, comme inconsciemment, de le caresser. Ce bracelet à leur cheville est pourtant dur et très visible. C’est pourquoi Karel, trente ans, tente pour la plupart de le placer aussi haut que possible sur le mollet. Pour le cacher, c’est vrais, mais aussi pour mieux le sentir, car « quand je ne le sens pas, je panique » dit-il. « Ça m’inquiète quand je fais du sport, mais aussi quand je le cogne contre quelque chose j’ai peur qu’il soit cassé. » Karel est là pour sa visite mensuelle avec son assistante judiciaire, Joke. Durant leur rendez-vous, elle lui parle de son travail dans un restaurant et demande comment il va. Bien, semble-t-il. Il y a bien eu cette violation, il y a quelque temps. Deux cents minutes dans la pampa. « Oui, j’ai reçu une lettre à ce sujet. Mais j’ai dû me rendre chez le médecin. Je l’avais pourtant signalé, mais le message n’est visiblement pas passé. » Joke s’attaque ensuite à la partie la plus importante: le calendrier. Toutes les heures auxquelles Karel est autorisé à sortir sont enregistrées avec précision pour le mois à venir. Il y a les heures consacrées au travail, mais chaque détenu a également droit à des heures de temps libre.  » Tu ne travailles pas le mardi et mercredi. Alors on dit de 11 à 15 heures? « , demande Joke. « Oui, si tu veux bien. Comme ça, je peux faire mon sport. J’ai même songé à retourner nager, mais ce n’est pas réaliste.  » Joke soupire. « En fait, si, cela devrait être possible puisque le bracelet résiste à l’eau. Mais c’est vrai qu’en maillot, le bracelet est très visible. Karel acquiesce. C’est l’un de ces moments où le bracelet commence à peser. « Les week-ends sont aussi pénibles. Le dimanche, je peux sortir de deux à vingt-deux heures. Mais je suis un lève-tôt, donc ce serait bien si je pouvais sortir plus tôt. » « Heureusement, il y aura bientôt chaque week-end un CP « , dit Joke. Comprendre : un congé pénitentiaire. Tout comme les détenus dans une « vraie » prison, les porteurs de bracelet ont parfois un week-end de libre.

Bracelet électronique:
© Jonas Lampens

Karel travaille le samedi, mais veut tout de même garder son CP ce jour-là. « C’est une longue journée au restaurant et j’ai du mal à partir tôt. En plus, cela me permettra, pour une fois, de soulager mes collègues. » Il ne reste dès lors plus qu’à fixer un rendez-vous pour le mois suivant. « Cela va tellement plus vite que prévu. Dans la prison, les jours se traînaient, dehors le temps passe plus vite. »

Des horaires stricts

Pour Youssef *, la vie avec un bracelet commence aujourd’hui. Il a été libéré ce matin de la prison de Merksplas et a immédiatement été conduit à l’appartement de ses parents dans le quartier du Luchtbal à Anvers. Ensemble, avec l’assistante judiciaire Annick, nous arrivons dans l’appartement, situé au quatrième étage d’un immeuble un peu terne. À l’intérieur, toute la famille nous attend. Un technicien vient d’arriver et place le bracelet à Youssef. « Portez-vous des chaussures de travail normales? Si vous le souhaitez, il peut être placé légèrement plus haut. Vous connaissez le principe? Avez-vous une douche ou un bain? Une douche? Très bien, ce n’est pas un problème. »

Youssef connaît. Ce n’est pas la première fois qu’il est sous surveillance électronique. Il nous emmène au salon, où Annick réexplique toutes les règles. Il y a des heures dédiées à sa formation, mais aussi cinq heures de temps libres par semaine et quatre autres le samedi et le dimanche. Sans compter le congé pénitentiaire toutes les deux semaines. Dans les faits, cela se traduit par 36 heures où il peut aller où il veut. Tout le reste est très strictement consigné. On calcule le temps nécessaire pour rejoindre l’arrêt et prendre le bus pour rejoindre sa formation et le temps qu’il lui faut pour en revenir. Tout est minuté : à 7 heures du matin, pile, il peut sortir et doit être de retour à 18 heures tapantes. On s’arrange aussi pour libérer du temps pour son fitness. Par contre lorsqu’il demande s’il peut partir en vacances, la réponse est limpide : avec le bracelet, on ne peut pas sortir de Belgique. En 10 minutes, tout l’horaire de Youssef pour le mois qui vient est établi. S’il est malade, il doit le signaler avant midi. On lui octroie alors quatre heures pour se rendre chez le médecin et à la pharmacie. S’il veut changer quoi que ce soit à cet horaire, il doit prévenir trois jours à l’avance.

Bracelet électronique:
© Jonas Lampens

Youssef a pourtant encore de la « chance », car il a écopé d’une peine de plus de trois ans. Son horaire est du coup relativement souple et adapté à ses besoins. Pour les peines plus courtes, on applique des horaires standards où il n’y a, par exemple, pas de temps prévu pour du fitness.

Avant de partir, le technicien mesure le rayon d’action du bracelet. Youssef est debout dans un coin de chaque pièce, pendant que le technicien vérifie si la réception est bonne. Cette boîte, qui ressemble à un vieux téléphone, permet d’enregistrer les déplacements et vérifie que le porteur ne sort pas de l’espace prévu.

Bracelet électronique:
© Jonas Lampens

Une maison qui finit par ressembler à une sorte de prison

« On raconte qu’un détenu a retiré la prise de la boîte et est tranquillement sorti, ou encore que l’on a placé le bracelet sur un proche, ou encore sur son chien. Mais, dans la réalité, si l’on effectue de telles manipulations, une alarme se déclenche directement. Et même ces cas-là restent très exceptionnels », précise Annick dans la voiture. « Parfois, des détenus sont tellement frustrés qu’ils défont leur bracelet et s’enfuient. Ils sont néanmoins immédiatement rattrapés et arrêtés. La plupart du temps, ce ne sont en effet pas de véritables évasions, mais plutôt des appels à l’aide. La grande majorité des porteurs de bracelet sait la chance qu’elle a de ne pas être en prison et ne veut pas y retourner. »

Cela vaut également pour Youssef. « Je pense que ce bracelet est une bonne chose, c’est comme une passerelle vers la vraie liberté. Je veux de toute façon rester autant que possible à la maison. Est-ce que je ne me fais pas confiance dehors ? (hésite) Peut-être pas à 100 %, non. Lui aussi a peur de retourner en prison. Il craint que la police se tienne à sa porte. Annick le rassure: « Ils ne viendront pas vous chercher juste parce que vous avez une demi-heure en retard. Vous connaissez vos droits, n’est-ce pas? »

Bracelet électronique:
© Jonas Lampens

Youssef secoue la tête. Il n’a pas de droits, dit-il. « La chose la plus importante est que vous ne commettiez pas d’infractions criminelles et que vous ne consommiez pas de drogues », explique encore Annick. « Et il faut aussi respecter nos accords. Même si les choses tournent mal, il faut absolument garder le contact. »

Youssef semblait posé lorsqu’on était là, malgré l’agitation ambiante. De retour dans la voiture, Annick tempère pourtant : « Au début, la plupart sont euphoriques: ils goûtent à la liberté. Mais après un certain temps, ils sont rattrapés par la réalité. Ils sont libres, mais pas tout à fait. Leur maison finit par ressembler à une sorte de prison.

« Ils doivent garder un oeil sur l’heure et être toujours le premier à rentrer à la maison, ce n’est pas amusant. Et puis il y a les problèmes techniques. Il arrive qu’un message d’alarme soit envoyé par erreur au Centre flamand de surveillance électronique (VCET) à Bruxelles, où les clients sont surveillés 24 heures sur 24. Dans la minute, ils sont appelés. Il y a parfois aussi des bugs qui font que les moments de temps libres autorisés ne sont pas enregistrés. Tout cela entraîne de nombreuses frustrations. « 

J’en connais même qui ont retiré leur bracelet pour retourner « à l’intérieur »

Frank est d’accord avec ce constat. Lui porte un bracelet depuis neuf mois. « J’ai été neuf ans en prison, mais je n’ai jamais eu autant de stress que maintenant. Beaucoup de « collègues » m’avaient prévenu. J’en connais même qui ont retiré leur bracelet pour retourner « à l’intérieur ». C’est un peu excessif, je n’ai pas envie de retourner en prison. « Il n’empêche, j’ai sous-estimé les conséquences d’un tel bracelet. Je suis un garçon discipliné, et pourtant j’ai tout le temps peur de faire des erreurs, peur qu’on m’appelle. Si je rentre trop tôt, on m’appelle. Et si je rentre trop tard aussi, bien que cela n’arrive pratiquement jamais. »

« Une fois, j’ai aussi été injustement « puni »: j’avais demandé des heures libres pour aller voir mon avocat, mais cette demande n’a pas été enregistrée. J’ai trouvé ça très injuste. C’est aussi stressant pour mon travail. Je travaille dans la construction, une profession par essence imprévisible. Si une canalisation explose à 4 h moins 10, je dois tout de même laisser mes collègues en plan. »

« Parfois, lors de mes jours de congé, je rêve d’aller prendre l’air à la mer, mais je n’ose pas. On ne peut compter sur la ponctualité des trains. Cette peur est là tout le temps. Il y a aussi un sens des responsabilités qui est nouveau. En prison, vous ne décidez de rien et on ne peut rien demander. Dehors, vous devez le faire constamment. En prison, j’ai appris à toujours regarder le sol par peur d’attirer l’attention des gardes. Maintenant, je veux tout voir, mais parfois c’est trop. Ma tête est trop pleine. « 

* Karel, Youssef et Frank sont des noms d’emprunt.

La surveillance électronique a débuté dans notre pays en tant que projet pilote en 1998. En 2002, elle a été officiellement introduite pour prévenir le surpeuplement carcéral, réduire les coûts et accélérer la transition vers la libération. Au 1er mars 2002, 271 Belges avaient un bracelet à la cheville. Le 1er mars 2014, il y en avait 1.807. En 2015, la supervision électronique a été divisée en une section flamande et francophone.

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