Dyab Abou Jahjah

Bientôt un parti des migrants en Belgique ?

Dyab Abou Jahjah Président de Movement X

À l’image du parti DENK aux Pays-Bas, il pourrait bientôt y avoir un parti des migrants en Flandre, dit Dyab Abou Jahjah dans cette opinion. Mais il risque de ne pas avoir le même succès.

Le succès de DENK aux Pays-Bas, ce parti des migrants qui a obtenu trois sièges à la deuxième chambre lors des dernières élections, a donné des idées à certains politiciens en Belgique. Dyab Abou Jahjah nous éclaire sur les chances de succès d’un tel parti en Belgique.

En 2003, j’étais tête de liste pour RESIST – une alliance entre Ligue arabe européenne (LAE) et le PVDA (PTB) pour les élections fédérales. Pour moi, il s’agissait alors d’un signal. Un signal contre la criminalisation de notre mouvement et les critiques que personne ne nous représentait. RESIST a obtenu 17.604 voix et près de 9000 voix de préférence. À Anvers, avec mes 5000 voix de préférence, j’ai fait mieux que tous les allochtones présents sur les listes de partis traditionnels. Notre partenaire d’alors, le PVDA, a obtenu peu de voix. Pour moi, il était clair que chaque voix pour RESIST était en réalité une voix pour l’AEL, contre le racisme.

En 2003, il était cependant encore trop tôt. Aujourd’hui, par contre, la Belgique est prête pour ce genre de chose. Le pays est mur pour de nouvelles initiatives politiques issues de la communauté musulmane. Le succès de DENK aux Pays-Bas et les signes de l’arrivée d’un pendant flamand en sont la preuve.

L’idée qu’une politique identitaire n’est pas souhaitable en ces temps de polarisation et qu’il vaut mieux ne pas encourager ce genre d’initiative se défend. Mais je dois ajouter qu’en ce moment le plus puissant courant identitaire vient du nationalisme européen. On ne le retrouve pas seulement chez le Vlaams Belang, le Front National ou le PVV de Wilders aux Pays-Bas. Il est aussi, malgré leur ton plus polissé, chez la N-VA ou encore les VVD et CDA néerlandais. C’est ce genre de parti qui n’est pas souhaitable puisqu’il polarise et aiguise les différences qui existent entre les différents membres de la société. C’est d’ailleurs par le biais de ce nationalisme hollandais – réveillé même par un cadre identitaire de plus en plus présent – que des gens issus de l’immigration ont commencé à affirmer leur identité d’une autre façon. De cette façon, on peut dire que DENK ventile une autre forme de patriotisme hollandais. Un patriotisme qui met en exergue la séparation entre citoyenneté et identité. Celui qui défend les idées de DENK veut être un Néerlandais, mais sans se laisser dominer par le cadre identitaire hollandais. Ce qui fait de DENK un parti moins identitaire que le VVD et le CDA.

Vielle-école versus politique d’un genre nouveau

Ce contraste entre une politique à l’ancienne – qui associe encore la citoyenneté à l’État-nation et son identité – et celle d’un genre nouveau – où ce n’est pas nécessairement le cas – pourrait expliquer beaucoup des tensions auxquelles on est aujourd’hui confronté.

Il y a divers facteurs qui renforcent cette nouvelle vision politique. L’un des principaux facteurs est la diversité accrue et la globalisation. Un distinguo entre citoyenneté et nationalité semble en effet se faire plus pressant. Si on ajoute à cela des besoins concrets de la communauté allochtone et vous avez tous les ingrédients pour réaliser un projet politique viable. Je pense, par exemple, à une politique antidiscriminatoire pour le marché du travail et du logement, mais aussi dans l’enseignement.

Il est donc fort probable qu’un tel parti apparaisse en Flandre, mais pour diverses raisons celui-ci risque de ne pas avoir le même succès.

L’une des raisons est simplement institutionnelle. En Belgique, il existe un seuil électoral de 5% qui est valable à la fois pour les élections fédérales et régionales. Avec les 2% qu’a obtenus DENK, on n’irait pas bien loin en Belgique. D’autant plus qu’un tel parti n’obtiendrait jamais 2% et encore moins les 5% nécessaire. Si tous les musulmans de Flandre votaient pour ce genre de parti, ils n’atteindraient quand même pas ce pourcentage. Et puis, comme aux Pays-Bas, il n’est pas dit que tous les musulmans voteraient pour un tel parti. Ce dernier ne risque pas non plus de récolter les voix d’autres personnes. Ce genre d’initiative ne serait donc viable qu’au niveau communal. Là, si le parti est bien mené, qu’il fait une campagne forte et a un leader compétent et charismatique, il pourrait faire de bon score.

Il y a de la place

Une politique qui touche la communauté des migrants, qui dissocie la citoyenneté de l’identité, qui veut s’atteler aux problèmes de racisme et de discrimination en mettant en exergue les problèmes concrets des personnes est une chose souhaitable à mes yeux. Mais ce qui, à mes yeux, serait mieux est un projet encore plus ambitieux. Un projet politique capable de comprendre et de voir dans leur ensemble les besoins et exigences des nouveaux et anciens Belges. Un projet qui n’oublie pas les Belges de souche, mais qui sur certains aspects est capable de faire des compromis: le rejet de la discrimination sur la race, la couleur, la culture et les croyances. Mais aussi sur celle du genre. Un parti qui vise l’égalité sociale et la redistribution des biens. Si vous ajoutez à cela un choix pour la durabilité, l’innovation et une vision qui rassemble pour le 21e siècle, et vous obtenez un parti qui me manque actuellement.

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