Les Jeux d'enfants, Brueghel l'Ancien, 1560 (118 cm × 161 cm). © KUNSTHISTORISCHES MUSEUM WIEN

Le saltimbanque

Une personnalité dévoile ses oeuvres d’art préférées. Celles qui, à ses yeux, n’ont pas de prix. Pourtant, elles en ont un. Elles révèlent aussi des pans inédits de son parcours, de son caractère et de son intimité. Cette semaine : l’humoriste Alex Vizorek.

Loin du temps où il peinait à se qualifier d’humoriste ou de celui où son papa riait très fort à ses premiers spectacles pour entraîner le reste du public, Alex Vizorek est devenu – comme le précise le public relations de Radio France –  » une véritable petite star dans la maison « . En se dirigeant vers le studio 611, nous croisons quelques vedettes et de nombreux exemplaires de Chroniques en Thalys – le livre de Vizorek – dans la vitrine de la boutique de la Maison de la radio. A cinq minutes du direct (Si tu écoutes, j’annule tout, émission phare de France Inter), aucun membre de la joyeuse équipe de Charline Vanhoenacker n’est encore arrivé ; seul l’invité de l’émission – Dick Annegarn – gratte sa guitare dans un coin. Les chroniqueurs débarquent au compte-gouttes, chacun fidèle à son style : Charline Vanhoenacker en marinière et coiffée de couettes, Guillaume Meurice en jeans et sweet à capuche, André Manoukian en combinaison de motard et casque sur la tête et Alex Vizorek, fier comme un soleil dans son pull ultramoulant et ses chaussettes muticolores. L’émission démarre par le traditionnel et choral  » Bonsoir Charliiiine « , entonné dans une ambiance bon enfant qui fait un peu songer à la série Hélène et les garçons, version 2.0. Une heure plus tard et après quelques coups de fils toniques à une productrice d’émission qui ne semble pas partager la même conception que lui de la liberté d’expression en période pré-électorale, Alex Vizorek, tout sourire, s’installe enfin pour vous parler avec complicité de ses oeuvres d’art préférées.

Son premier choix ? Jeux d’enfants, de Brueghel, une peinture qui – en représentant des enfants issus de milieux populaires et non des princes et des princesses – évoque la vraie vie des  » petites gens  » et pas celle des  » grands  » comme le précise notre humoriste, pas très confortablement installé dans le canapé de la salle de repos de la radio.  » Ce n’était pas courant à l’époque, reprend-il en pliant les jambes, et ça me touche terriblement. Si je me souviens bien de ce qu’on m’a appris à l’école, ce sont plus de 50 jeux qui sont répertoriés sur cette toile, c’est dingue ! Quand on regarde aujourd’hui à quoi les gosses jouent, on n’aurait plus jamais une image pareille ; je ne suis pas antitechno mais je reconnais que je le déplore quand même un peu. Je ne pense pas que le théâtre soit repris dans ce tableau, mais pour moi, le jeu évoque la scène, qui est mon terrain de jeu à moi. D’ailleurs, enfant, j’aurais été bien incapable de choisir un de ces jeux, tant j’aurais voulu tous les essayer. C’est encore un peu mon problème aujourd’hui, la dispersion… Peut-être parce que je ne suis « pas mauvais » dans pas mal de trucs mais que je suis « très très bon » en rien.  »

Une dispersion qui, en l’espace de dix ans, emporte le jeune humoriste des planches (Alex Vizorek est une oeuvre d’art) à la radio (RTBF), de la radio (France Inter) à la télé (France Télévision), de la télé à un spectacle pour enfants (Pierre et le loup) pour terminer cet été dans Madame, un film d’Amanda Sthers, qui sera dans les salles en octobre prochain. Très content de cette dernière expérience qui l’a vu donner quatre répliques en anglais à Harvey Keitel, Alex Vizorek reconnaît ne laisser passer aucune opportunité.  » Je ne sais pas si j’ai confiance en moi mais j’ai la chance de ne jamais me sentir limité et de penser que si je tente quelque chose, c’est toujours susceptible de réussir. Je ne suis pas plus con qu’un autre et si, in fine, je me plante – lors d’une émission par exemple -, ce sera plus de la faute de la personne qui m’aura choisi que de la mienne : moi, quand on me donne la place pour m’exprimer, je la prends.  »

Les ancêtres polonais

Son second choix d’oeuvre d’art ? Les célèbres Glaneuses, de Jean-François Millet :  » Ce tableau, c’est pour le travail manuel, pour l’abnégation que nécessite ce métier ; moi, le petit bourgeois qui a toujours eu la belle vie, ça me touche. Ce qui m’émeut, c’est le côté « terrien » du métier de fermier ou d’ouvrier en comparaison avec le côté aérien, plus intellectuel, du mien ; ça me rappelle mes ancêtres polonais forcés de quitter leur pays pour travailler dans les mines du Borinage, comme dans Misère au Borinage (NDLR :film muet d’Henry Storck et de Joris Ivens, 1933). Ça me fout les larmes aux yeux tant l’émotion est forte. C’est marrant parce que, il y a peu de temps, je jouais mon spectacle à Mons et, chose assez rare pour moi, je décide de m’épancher un peu en expliquant que, quatre générations plus tôt, c’était ma famille qui travaillait dans les mines. Aujourd’hui, je suis sur scène à quelques kilomètres de là et c’est moi qu’on applaudit.  »

Ma vie de labrador

Un peu ému, il reprend :  » Dans le même genre, il y a le film Billy Elliot où un fils d’ouvrier rêve de devenir danseur classique. L’usine dans laquelle travaille son père est en grève et pour pouvoir payer les cours de danse de son fils, cet homme rompt le mouvement et retourne travailler. Cette scène me met les poils, c’est fou. Finalement, l’histoire se termine sur la réussite de Billy Elliot, devenu danseur étoile et ce n’est qu’en découvrant l’amour du public que le père réalise que Billy a réussi. L’ascenseur social a fonctionné. Quoi de plus bouleversant que d’échapper à une destinée ? Moi, en sortant de Solvay, j’étais à ça (il mime un écart d’un centimètre entre le pouce et l’index) de la vie de labrador !  »  » Autour de moi, tout le monde faisait la même chose, genre la baraque quatre façades, la BM, la femme, les gosses et le labrador, explique-t-il, ravi de sa formule. Pour moi, « le rail », c’est véritablement une angoisse. Je n’ai pas peur de la mort mais j’ai l’angoisse du regret, celui de ne pas avoir vécu assez d’expériences.  »

C’est pour ça qu’Alex Vizorek, diplômes de Solvay et de journalisme en poche, plaque tout.  » Pour aller vivre des choses rigolotes à Paris.  » Initialement prévue pour un an, l’expérience au cours Florent en dure quatre ; et bien qu’il se destinât aux grands textes (Corneille, Racine…), c’est le stand-up qui révèle le talent du jeune premier. Encouragé par ses profs à suivre la voie de l’humour, il écrit Alex Vizorek est une oeuvre d’art, qui, encore aujourd’hui, le voit chauffer chaque semaine les scènes parisiennes.  » Voilà, conclut-il ; Millet, c’est mes origines et la vie à laquelle j’ai voulu échapper. Je ne sais toujours pas comment j’ai fait – l’éducation ou la force intérieure – mais j’ai eu la chance de ne pas me faire attraper.  »

Toulouse Delon

Son troisième coup de coeur, c’est une affiche représentant Aristide Bruant, par Toulouse-Lautrec.  » Les affiches de spectacle, ça me parle. Elles me rappellent celles que je voyais quand j’étais gosse, à Bruxelles, mais aussi celles des colonnes Morris à Paris. Evidemment, quand j’ai vu la mienne, ça m’a fait un truc. Ce n’était pas le choc, parce que j’avais beaucoup travaillé pour y arriver, mais c’était tout de même une étape de vie. Ici, j’ai choisi une affiche de cabaret mais j’aurais pu autant en prendre une de cirque. C’est un hommage à ces gens qui vivent dans des roulottes et qui, arrivant dans une ville, placardent leurs affiches et trois semaines après s’en vont. Cette vie me séduit terriblement, j’adore tellement les tournées que j’en fais encore tous les samedis. Mais Aristide Bruant, c’est aussi les cabarets, les chansonniers, c’est le Caveau de la République. J’y ai joué d’ailleurs, c’est un endroit fantastique, à Paris, qui a accueilli des générations entières d’artistes – Pierre Dac, Laurent Ruquier, Laurent Gerra… Tout le « milieu » y a fait ses dix minutes.  »

A l’évocation de ces artistes qu’il admire, Alex Vizorek a l’oeil pétillant et le verbe enthousiaste. Et confesse ses prouesses d’adolescent, au temps où lui-même chassait l’autographe :  » J’ai toujours eu une fascination pour la célébrité, pour ces gens un peu hors norme, aux vies extraordinaires… Alors je collectionnais leur signature. J’avais des filons dans des hôtels, je les attendais à la sortie. C’est idiot mais ça m’a donné une culture : ma mère m’obligeait à assister à leurs spectacles avant, en échange de quoi elle venait me chercher au théâtre. Aujourd’hui, même si je reste très admiratif des gens qui créent des choses, mon rapport à la célébrité s’est inversé et je préfère envisager toutes ces stars comme des gens normaux. Peut-être parce que maintenant, je les rencontre pour de vrai. Mais c’est clair que parmi les gens qui viennent à la radio, je reste toujours un peu minet devant ceux que j’aime.

Et puis, Toulouse-Lautrec, cela me rappelle l’enseigne du magasin de chaussures de ma maman ! C’est grâce à cette enseigne que j’ai découvert qu’il s’agissait d’un peintre. En plus, le mec était marrant : on dit que, quand il recevait à dîner, il mettait des poissons rouges dans les carafes d’eau, pour empêcher les gens d’en boire. C’est le Paris d’avant, celui de Midnight in Paris, de Woody Allen (NDLR : où le protagoniste remonte le temps et revit l’espace d’une soirée le Paris des Années Folles, entouré des plus grands artistes de son temps). Peu de gens ont aimé ce film. Il est pourtant pertinent en ce qu’il exprime l’idée selon laquelle on n’est jamais que la continuation de l’héritage artistique qui nous a précédé. Parfois, l’artiste le sait, parfois pas, mais souvent ce qu’il fait a déjà été fait par un autre avant lui.  »

Et s’il devait retourner dans le passé, lui ?  » Dans l’après-guerre et les années 1960, le temps où les mythes comme Gabin ou Delon étaient forts.  » Avec des référents comme les siens, Isabelle Aubret plutôt que Beyoncé, Alex Vizorek semble plutôt tourné vers hier. Il s’en défend :  » Je ne suis juste pas fan de mon époque.  »

Dans notre édition du 27 janvier : Edouard Vermeulen.

PAR MARINA LAURENT – PHOTO : DEBBY TERMONIA

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